"Litvinenko", documentaire sur l’assassinat du dissident russe
Dans la Russie de Poutine, les assassinats politiques, ce n’est pas du cinéma…
Le vent moscovite souffle jusqu’Ã Nantes
La sortie du docu de Andreï Nekrassov et Olga Konskaïa coïncide dramatiquement avec la prolongation du régne de Poutine : guerre sans fin en Tchétchénie, hégémonie du parti "Russie Unie" au Parlement, élection probable de Dimitri Medvedev [1]. Et assassinats de 21 journalistes dissidents. Alors que se tenait à Nantes, le festival "Univerciné" dédié à la Russie, "Litvinenko, empoisonnement d’un ex-agent du KGB" a été déprogrammé à la dernière minute. On évoque des pressions de l’Ambassade russe.
On se souvient de l’affaire Litvinenko, et du malaise qu’elle avait créé outre-manche durant l’hiver 2006. Un ex-agent du KGB, arborant le nom de code Sasha, réfugié à Londres, devait y trouver la mort, victime d’un empoisonnement au polonium 210, une substance hautement radioactive. Tous les regards s’étaient alors tournés vers un ancien du KGB, Andreï Lougovoï, depuis élu à la Douma [2]. La suspicion est légitime, car le KGB est toujours aussi sordidement actif. Rebaptisé FSB en 1991, il a conservé ses fonctions et ses membres -une nébuleuse d’espions retors et de brutes formées à toutes les exactions… Une de ses spécialités héritée de l’ère soviétique : l’empoisonnement.
La vérité sur la guerre en Tchétchénie
Sans vouloir mener l’enquête sur les circonstance plus qu’obscures qui entourent la mort de Litvinenko, le cinéaste Andreï Nekrassov décide lui de nous offrir le portrait d’un homme à l’image de son époque, tiraillé entre un idéal et une réalité plus que sordide. Russe typique, lui-même agent du KGB, Alexandre Litvinenko avait fait la guerre en Tchétchénie. Il en est revenu transformé à jamais.
Dès 1998, Andreï Nekrassov remarque Litvinenko à la télé russe, ce dernier reprochant à ses responsables du FSB des meurtres, leur corruption, et des liens avec la mafia. En 2000, alors qu’il est exilé à Londres, l’officier désigne Poutine comme étant à l’origine des attentats meurtriers de Moscou attribués aux Tchétchènes... attentats qui avaient légitimé la reprise de l’offensive en Tchétchénie.
Rebaptisé FSB en 1991, le KGB a conservé ses fonctions et ses membres -une nébuleuse d’espions retors et de brutes formées à toutes les exactions
Ses prises de positions ont donc coûté sa vie à Litvinenko, et c’est cet homme que nous dépeignent Andreï Nekrassov et Olga Konskaïa : un homme menacé qui a fait primer sa raison sur les raisons d’Etat, et qui défendra la vérité jusqu’à la mort [3].
La main de Moscou planerait-elle sur le Katorza ?
Cécile Ménanteau, directrice de la salle nantaise Le Katorza [4], est formelle : des pressions ont été exercées par la diplomatie russe pour déprogrammer le film. Les films du festival Univerciné Russe, non encore distribués en France, étaient entreposés à l’ambassade de Russie : celle-ci aurait refusé de donner les copies si le documentaire sur Litvinenko était diffusé en avant première. C’est ce que précise une dépêche AFP publiée sur le site internet du Monde.
Les organisatrices n’ont aucun lien avec cette affaire. Elles, avaient travaillé d’arrache pied, en étroite collaboration avec l’association Kinoglaz pour offrir au public nantais un panorama du cinéma russe contemporain [5]. Elles déclarent par ailleurs, dans un démenti envoyé au Monde, que les conditions de déprogrammation auraient été bien différentes de celles avancées par la directrice du Katorza.
Mais cependant, les programmes du festival Univerciné Russe ont tous été bel et bien modifiés [6], éclipsant le film polémique.
Critiquer le système Poutine, c’est jouer à la roulette russe
Ces évènements sont à replacer dans un contexte journalistique russe exécrable. La liste des sujets tabous ne cesse de s’allonger, tout comme celle des journalistes assassinés : 21 depuis l’élection de Vladimir Poutine selon Reporters Sans Frontières. Critiquer les pouvoirs politico-financiers moscovites revient à jouer à la roulette russe. Tandis que Litvinenko dénonçait les crimes du KGB-FSB depuis Londres, la journaliste dissidente Anna Politkovskaïa restée à Moscou, désignait les responsables des ravages qui s’abattent sur la Tchétchénie. Nommément : l’armée russe autant que les chefs de guerre tchétchènes – et précisément Ramzan Kadyrov. Une à une, les personnes qu’elle verra témoigner disparaîtront. Elle sera assassiné le 07 octobre 2006 [7] sur le pas de sa porte, presque à la même date que Litvinenko.
En Russie, la liste des sujets tabous ne cesse de s'allonger, tout comme celle des journalistes assassinés : 21 depuis l'élection de Vladimir Poutine
Une dénonciation internationale…ou presque
L’affaire Litvinenko a jeté le plus grand trouble dans les relations entre le Royaume-Uni et la Russie. Cette affaire n’est pas la seule. Récemment, presque toute la communauté internationale s’est indigné des manipulations électorales de la dictature russe lors des dernières élections législatives [8] qui ont donné lieu à des fraudes massives . Les médias russes, muselés ou au service du pouvoir, ne les ont pas -ou très peu- évoquées. Le président Sarkozy, lui, avait choisi d’adresser ses "chaleureuses félicitations" à son homologue russe Vladimir Poutine lors de la victoire de son parti Russie Unie à ces législatives… [9]
Le thème du festival Univerciné Russe était Le Destin. Si on s’en tient à cette prétendue résignation russe, celui de Litvinenko était donc de mourir. Sous les auspices d’un tel fatalisme, l’avenir du peuple russe s’annonce décidément bien sombre...
Régis Hémon
Renaud Certin
[1] Dimitri Medvedev est le successeur désigné de Vladimir Poutine
[2] La Douma est la seconde chambre, dite ‘basse’ du Parlement Russe
[3] Peu de temps après la sortie du film, la maison d’Andreï Nekrassov a été saccagée.
[4] Le Katorza, Cinéma d’Art et d’Essai de Nantes
[5] La programmation présentait, entre autresAlexandra,Franz + Polina,Le gros Lapin stupide,Le Bannissement
[6] Lorsque l’on télécharge le programme sur le site de l’université de Nantes, le fichier PDF porte la mention "modifié"...Sur le site officiel du festival, aucune note ne fait mention de la déprogrammation du film et celui-ci ne figure plus au programme.
[7] …le jour de l’anniversaire de Vladimir Poutine
[8] Décembre 2007
[9] "Les élections locales (françaises) sont un enjeu national" avait déclaré le président français, avant de se rétracter sur l’avis de ses conseillers. Le résultat des élections législatives russes semble aussi être devenu un enjeu pour l’Elysée.
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