Mozart et Verdi sous les étoiles

Le miracle de La Flûte enchantée se reproduit le lendemain au château de Montal, dans une cour Renaissance ouverte sur la campagne, avec une représentation de “La Traviata” de Verdi. Olivier Desbordes, directeur du festival, règle une mise en scène extrêmement intime du drame de Violetta. Les invités de la fête de l’acte 1 ont des visages blafards et semblent rongés par l’ennui. Dans une société qui juge et qui montre du doigt ceux qui lui échappent, l’héroïne achève sa trajectoire amoureuse en mourant dans l’indifférence générale. Dans les restes d’une fête désincarnée, les visages se tournent vers elle sans la voir et les regards sont vides. Burcu Uyar, reine de la nuit la veille, aux aigus éclatants (Elle interprétait ce rôle pour Angers Nantes Opéra début 2006), donne toute la richesse de son timbre et des accents d’une bouleversante humanité à ce personnage de femme exclue, victime d’une société trop étroite. A la rentrée 2009, cette belle artiste trouvera certainement dans “Manon”, l’opéra de Jules Massenet, inspiré du roman de l’abbé Prévost, de fascinantes expressions, pour incarner une héroïne dévorée par ses désirs et en quête d’une vraie vie.

“Berlin années 20 !” : le triomphe d’artistes éclectiques

Dans le cadre chaleureux et convivial du théâtre de l’usine de Saint Céré, Olivier Desbordes propose une revue créée à Berlin en 1929, avec Marlène Dietrich, sur une musique de Mischa Spoliansky : “Berlin années 20 !”. Le propos du spectacle, né dans une époque troublée, est d’une vertigineuse modernité. On y croise des fantoches qui ont troqué leur âme contre un besoin obsessionnel de consommer, dans un monde malade. Ce qui fascine, c’est l’engagement total des artistes, avec quelques troublants et beaux moments de travestissement. Ils racontent l’urgence, comme en équilibre au dessus d’un gouffre.

Eric Perez, metteur en scène de “La flûte enchantée” et magnifique interprète, offre des instants joyeux, où pointe parfois une mélancolie lucide et touchante. Dominique Trottein, chef d’orchestre de “La Traviata” la veille, dirige l’ensemble instrumental avec une même énergie et un bonheur communicatif. Un tel mélange des registres constitue une réjouissante ouverture, et un affranchissement possible de tout ce qui enferme et cloisonne dans l’art. Béatrice Burley se hisse à de tels sommets dans de mémorables numéros de cabarets. Elle affiche un éclatant bonheur de jouer. Cette artiste lyrique, aux graves d’une grande profondeur, est tout aussi habitée et investie dans Verdi, Wagner, dans les pages les plus sombres du Requiem de Mozart que dans un spectacle de revue, proche du music hall. Elle donne énormément d’émotion à chacune de ses interventions, avec beaucoup de générosité. C’est sans doute là que résident la singularité et la force de ce festival qui fêtera ses 30 ans l’été prochain. Dans un esprit de troupe sans cesse renouvelé, les artistes sont capables de tout faire, de l’opéra le plus dramatique au numéro de travesti le plus débridé, dont on trouve également quelques traces dans la fête triste de Traviata. Le festival de Saint Cèré est avant tout un festival d’artistes, où l’on ose beaucoup de choses, avec passion. “Berlin années 20 !” sera repris cette saison en tournée...À ne pas manquer !

Christophe Gervot

  Toutes les dates de tournée de “La flûte enchantée” et de “Berlin années 20 !” sur le site internet du festival de Saint Céré (Lot)