Reconsidérer la richesse
La Crise sera-t-elle salutaire ?
Entretien avec Patrick Viveret
Au moment où le système ultra capitaliste mondial s’ébrèche de tous côtés et menace de s’écrouler, les voix qui jadis s’évertuaient dans l’indifférence à prôner un système alternatif semblent enfin être prises en compte par ceux qui les considéraient alors comme utopistes. Catastrophes écologiques, fractures sociales et menaces boursières imminentes sont les symptômes de la fin d’un monde qui secouent l’ensemble de la planète. La nécessité du changement se fait entendre dans les discours officiels. Serait-on à l’aube d’une nouvelle ère ?
Conseiller référendaire à la Cour des comptes, philosophe et essayiste altermondialiste, auteur du rapport Reconsidérer la Richesse [1], Patrick Viveret est une de ces voix qui travaillent à changer les rapports à l’économie, au pouvoir, et à la place de l’homme dans le système mondial. Présent à Nantes dans le cadre du festival Solid’Air de la Chapelle-sur-Erdre, il a répondu à nos questions.
Pour parvenir à un système mondial respectueux de l’écologie et de l’être humain, quels sont les moyens que vous préconisez ?
Tout d’abord repartir de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et rajouter deux éléments fondamentaux qui n’y sont pas présents : la composante écologique et la composante citoyenne. Il faut construire les éléments d’une véritable citoyenneté terrienne. De ce point de vue, il n’y a aucune légitimité à ce qu’il y ait des sans-papiers : tout être humain a le droit d’être reconnu comme citoyen de la terre. Il faut que l’organisation des Nations Unies se fasse le vecteur de cette application de la Déclaration des Droits de l’Homme et de cette avancée vers la régulation écologique et la citoyenneté.
Nous avons aussi besoin de nouveaux systèmes de représentation de la richesse. Actuellement ces indicateurs (comme le Produit Intérieur Brut ou les indices boursiers ndlr) sont largement contreproductifs par rapport aux enjeux humains et écologiques. Quantité de destructions dès lors qu’elles génèrent des flux monétaires vont être comptées positivement –comme le naufrage de l’Erika. En revanche, quantité de biens ou d’activités, aussi nécessaires soient-elles (activités domestiques, activités du bénévolat, activités liées à la formation à l’éducation), quand elles ne sont pas dans un circuit monétaire, vont être considérées sans valeur. Pour penser les éléments d’une gouvernance démocratique mondiale qui soit à la fois humaine et écologique, on a besoin de ces nouveaux indicateurs.
Toutes les grandes crises financières sont des crises comparables à des crises religieuses (…) qui sont l’occasion de rouvrir nos imaginaires sur une autre approche de la richesse et du pouvoir
La crise sonne le glas du concept que vous nommez « écoligion ». Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
J’ai utilisé le terme "Ecoligion" (religion de l’économie) dans mon rapport Reconsidérer la Richesse. Le système de croyances et de crédulité de la pensée économique dominante a été fondé ces dernières années autour de ce qu’on peut appeler la pensée TINA (la phrase clé de Margaret Thatcher : There Is No Alternative). La crise a révélé à quel point ce qui est en train de s’effondrer est réellement un système de croyances. Finance vient de fides en latin, c’est-à-dire la confiance, mais aussi la foi. Toutes les grandes crises financières sont des crises comparables à des crises religieuses. Ce sont des crises civilisationnelles qui sont l’occasion de rouvrir nos imaginaires sur une autre approche de la richesse et du pouvoir.
Nous avons besoin d’un pouvoir qui soit catalyseur d’énergies créatrices, un pouvoir de création démultiplié par la coopération, et non pas un pouvoir de domination qui stérilise les énergies. Et pour avoir un pouvoir créateur, il faut aussi décoloniser l’imaginaire et se donner le droit de revisiter le sens des mots. Un mot très fort comme valeur veut dire force de vie dans toutes les langues latines. Quand ce mot est utilisé uniquement dans un sens réducteur comme le sens économique, comme par exemple dans l’expression création de valeur pour les actionnaires, on voit bien que toute la créativité potentielle de la force de vie d’une société se trouve canalisée et en grande partie stérilisée.
Il faut des politiques publiques qui ne soient pas simplement des politiques de gestion à court terme de la crise mais qui permettent de faire émerger de nouvelles formes de développement humain durable
Cette crise serait-elle salutaire pour une nouvelle organisation mondiale ?
Dans histoire de l’humanité, les moments de crise sont aussi des moments de bifurcation. A l‘heure actuelle, on s’aperçoit que ce qu’on nous affirmait impossible n’était pas si impossible que çà. On est bien obligés aujourd’hui de rouvrir nos imaginaires sur des enjeux qui étaient considérés comme marginaux, hétérodoxes.
Les choses bougent car les gouvernements sont obligés de s’orienter dans l’urgence vers des directions qui n’étaient pas celles des dernières années, comme par exemple s’attaquer aux paradis fiscaux ou aux rémunérations exorbitantes des chefs d’entreprise ou des responsables de banques. Cependant elles bougent sans véritable cohérence. On réagit en urgence sur le problème de la crise financière mais on ne fait rien de sérieux par rapport à la crise sociale et écologique où l’on va continuer à dire que les caisses sont vides. C’est une crise systémique qui appelle une réponse systémique. Par conséquent il faut avoir des politiques publiques qui ne soient pas simplement des politiques de gestion à court terme de la crise mais qui permettent de faire émerger de nouvelles politiques publiques de développement humain durable dans les années qui viennent.
Tout l’enjeu de la reconstruction est de ne pas tomber dans le piège du sauve-qui-peut ou des phénomènes totalitaires qui amènent à terme à des logiques de guerre. On se doit de répondre au sauve-qui-peut par un surcroît de solidarité et aux logiques totalitaires par la citoyenneté et la démocratie.
Propos de Patrick Viveret recueillis et mis en forme par Elisabeth Chanard
Photos : Régis Hémon
A lire :
- L’économie au service de l’homme.
- Le projet Sol, pour une monnaie citoyenne.
- La voix des objecteurs de croissance prend de l’ampleur et Comment changer nos modes de vie.
- Le festival Solid’Air, du 12 au 14 Mars, à La Chapelle sur Erdre, agglomération nantaise.
[1] Reconsidérer la Richesse est paru en livre de poche en 2002 aux éditions de l’Aube
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