
Rencontre avec Orelsan
Orelsan ou une jeunesse ordinaire
Olympic, 14 novembre 2009
Orelsan "27 ans, célibataire, rappeur, des fois il rappe, des fois il fait des sons, des fois une dépression" a investi l’Olympic, le samedi 14 novembre, pour l’antépénultième date de sa tournée. Avec cette phrase le décor est planté, nous sommes loin des clichés qui amusent, hélas, encore une partie du rap français. Amateurs de quartiers en feu, d’excès de testostérone, de flingues, de gros cubes et de filles siliconées, passez votre chemin. Avec Orelsan, laissez la place à l’ennui, aux villes de province tristes et sans vie, aux boulots dégradants, aux soirées ratées, et aux filles dont on a déjà oublié le nom au petit matin.
Pour le titre Saint Valentin, les textes sont crus, le clip rudimentaire, mais il se dégage une fraîcheur et une autodérision qui renouvelle le genre.
Les origines
Grandir à Alençon, Basse-Normandie, 28 000 habitants, dans les années 80/90, alors qu’internet n’existe pas encore, et que "le seul disquaire de la ville, Nuggets, ne possède qu’une poignée de disques de rap", difficile de devenir un spécialiste en la matière. Orelsan passe d’abord, comme beaucoup de jeunes de l’époque, par différents styles de musique liés aux radios. D’abord l’euro-dance vers 10 ans, puis "une grosse période Queen et Elton John", pour arriver au collège et basculer vers les guitares plus saturées de Nirvana à Guns N’Roses en passant par Korn, Deftones, System Of A Down, Sepultura. Enfin, il s’inscrit dans "un club de basket, et là c’est la rencontre avec le rap. Il y a toujours eu un lien entre le rap et le basket, reflet de cette culture américaine". La passion pour cette musique nait à partir de ce moment. Après un rapide détour par le rap commercial de Coolio ou Mc Solaar, il devient "plus exigeant et découvre NTM, IAM, Jay Z, Public Enemy, NAS, Notorious Big. Et au lycée, avec des copains qui avaient monté un groupe de rock, j’ai commencé à rapper dessus. J’ai toujours écouté ces deux styles de musique, j’étais très fan de Rage Against The Machine, pour moi le seul groupe qui ait réussi aussi bien le lien entre ces deux courants. A cette même époque, je faisais énormément de Street Roller, des vidéos circulaient où la bande son était un véritable melting-pot entre le rap et le rock, on passait de Dj Shadow à NOFX. Puis avec internet j’ai découvert des groupes plus underground. Ma musique de prédilection reste le rap, mais j’écoute toujours beaucoup de rock". Toute cette éducation nourrit son rap aujourd’hui, il n’est donc pas surprenant de voir Orelsan accompagné sur scène d’un guitariste, et d’entendre, sur son album, un solo de guitare dantesque de Ron "Bumblefoot" Thal, guitare-héros des célébrissimes Guns N’Roses.
Son bac en poche, Orelsan débarque à Caen pour des études supérieures et rencontre Skread, l’homme qui confectionne tous ses sons, Gringe avec qui il forme les Casseurs Flowteurs et Ablaye, qui sont toujours présents à ses côtés ce soir. Il fait ses gammes, comme tout bon rappeur, en participant à des mixtapes et des compilations. C’est en 2007, avec le clip de Saint Valentin, titre en duo avec Gringe qui fait son effet sur le net, qu’il se fait remarquer. Les textes sont crus, le clip rudimentaire, mais il se dégage une fraîcheur et une autodérision qui renouvelle le genre. Dès lors "je suis contacté par beaucoup de maisons de disques pour un contrat, mais c’est avec le 3ème Bureau-Wagram, via le label de Skread et d’Ablaye, 7th Magnitude, que je signe". Rejeton d’internet, même s’il y perd quelques ventes, il sait en reconnaître l’importance : "je n’ai vendu que 25 000 albums, mais en même temps, avec Hadopi, on se trompe de cible. On est encore dans le répressif, et c’est les gens qui vont en faire les frais. En coupant internet à ceux qui téléchargent, les politiques ne se rendent pas compte de l’impact que cela va avoir dans leur vie. Sans internet, dans les petites villes comme celle d’où je viens, difficile d’avoir accès à la culture, je n’aurais certainement pas une si bonne connaissance du rap américain sans le web".
L’album
Son premier album, Perdu d’avance, paru en février 2009, aborde le quotidien d’Orelsan, dans cette province morose. On est plus proche d’un "brit-rap" de The Streets ou Jamie T que du gangsta-rap américain. Ici pas de revendication ethnique, de conflits permanents avec la police, de quartier en feu, de deal, on se retrouve au plus près d’une jeunesse sacrifiée, qui ne croit en rien : "qu’est-ce qu’on s’en branle du futur quand on comprend pas le présent" (No Life), "si t’as pas confiance en moi, tant mieux parce qu’on est deux" (Courez Courez). Ces jeunes, perdus dans une société qui ne leur laisse pas de place, à qui il ne reste que l’alcool, les soirées sous les abris-bus et la quête illusoire du grand amour : "Avant j’voulais construire ma vie avec mes beaux diplômes, depuis j’ai vu 8 Mile et j’rêve d’habiter dans un mobil home" (Différent). Mais on trouve aussi quelques respirations, avec des chansons en mode ego-trip telles que Logo dans le ciel ou Jimmy Punchline.
On trouve, parfois, de mauvais jeux de mots, de l’humour second degré plus ou moins réussi, mais on est quand même loin des textes misogynes et racistes de Michel Sardou.
A la lecture de certains textes, on peut tout de même noter que ce garçon semble avoir quelques difficultés de communication avec la gente féminine, comme il le dit lui même sur Étoiles invisibles : "c’est pas en insultant les meufs dans mes refrains qu’j’deviendrai quelqu’un, mais j’aime bien". On y trouve de mauvais jeux de mots, de l’humour second degré plus ou moins réussi, des propos déplacés, reflet du langage des jeunes. Mais on est quand même loin des textes misogynes et racistes de Michel Sardou, chanteur intouchable aux millions de disques vendus, qui écrit, sans une once de dérision ou d’humour pour le coup, dans Le temps des colonies, en 1976 : "[…] Autrefois à Colomb-Béchar [Algérie], j’avais plein de serviteurs noirs, et quatre filles dans mon lit, au temps béni des colonies. […] Y a pas d’café, pas de coton, pas d’essence, en France, mais des idées ça on en a, nous, on pense […]". L’indignation se trouve-t-elle toujours là où il faut ? Toute cette polémique aura valu à Orelsan plus de soucis que de véritable publicité. "Puisque sur les 40 dates prévues pour ma tournée, je n’en aurai effectué que 10, connu 3 annulations de dernières minutes et les 27 autres salles ont fait le choix de ne pas me confirmer de peur des problèmes encourus".
La scène
Sur scène, Orelsan nous invite dans sa chambre d’adolescent où trainent des baskets, une vieille console Nintendo, et sa panoplie de Batman, super-héros sans pouvoir au tempérament trouble. Le concert est énergique et efficace, alternant les moments réalistes, dépressifs et les moments de pure euphorie. Ce soir à l’Olympic, aucun débordement, aucun appel au meurtre ou à violenter les femmes n’auront lieu. Nous assistons plutôt à un concert bon enfant, où plaisir et facéties sont au rendez-vous, avec un Orelsan soucieux de son audience et disponible pour parler au public une fois le concert terminé.
A noter la présence en première partie de Blacksad, très bon rappeur mayennais, qui lui aussi se tient loin des clichés du rap, et propose un discours sage, apaisé et lucide, mêlant la difficulté de la société d’aujourd’hui, le racisme, les enfants-soldats, et l’autodérision. Nous avions déjà rencontré Blacksad pour son tout premier concert impressionnant à la BaraKason de Rezé, dans le cadre du dispositif Premières Scènes. Actuellement il prépare le tournage de son premier clip, mais Fragil vous en reparlera prochainement.
Texte : Vincent Hallereau
Photos : Régis Hémon
Bloc-Notes
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