Musiques improvisées
Will Guthrie, la passion du bruit
Will Guthrie, Pannonica, Nantes, 30 novembre 2007
Chaque trimestre, le Pannonica donne carte blanche à un artiste pour une soirée. Will Guthrie y présentait le 30 novembre dernier trois projets très différents, mais manifestant tous la même passion pour la matière sonore et le déploiement de toutes ses potentialités.
Will Guthrie, musicien australien, est arrivé en Europe en 2003. Après avoir vécu quelque temps à Londres, le jeune percussionniste s’est finalement installé à Nantes. Will est ce que l’on pourrait appeler un hyperactif. Loin de se contenter de ses divers projets musicaux, il est aussi l’un des piliers de la scène expérimentale nantaise et organise régulièrement des concerts avec l’association Cable#. Il dirige également un petit label de musique expérimentale, Antboy Music.
L’approche musicale de Will Guthrie est éclectique. “En Australie, c’est vraiment différent. Quand tu es musicien, tu fais beaucoup de choses différentes. Tu ne fais pas de la musique improvisée, ou du jazz, ou… J’ai donc joué dans des groupes de rock, de hip-hop, de jazz, avec une compagnie de danse flamenco, beaucoup de choses comme ça. Et puis je suis allé au Conservatoire pour étudier l’improvisation.” C’est finalement l’improvisation qui est devenue le dénominateur commun de tous ses projets. L’improvisation, et surtout une recherche constante sur la matière sonore et sur ses potentialités, Will suivant en cela l’exemple de son ami et collaborateur occasionnel Keith Rowe (voir notre chronique sur (N:Q)).
Edgar : free the jazz !
C’est tout à fait par hasard qu’est né Edgar, le duo free jazz qu’il forme depuis deux ans avec Sébastien Coste. “Je ne bosse pas à Apo33 [1], mais j’utilise l’espace comme salle de répétition. J’avais acheté une batterie et j’étais là, avec ma nouvelle batterie… Et puis un mec est arrivé avec un saxo, qui m’a dit "ouais, je viens d’arriver à Nantes" et tout ça – parce que Sébastien, il est de Nancy, et il est arrivé à Apo33 pour rencontrer des gens. Moi j’étais tout excité avec ma nouvelle batterie, donc j’ai demandé “qu’est-ce que tu fais maintenant, est-ce que tu veux jouer un petit peu, juste comme ça ?" On a joué, c’était superbe, et on a continué.”
Tour à tour, on le voit jouer avec une cuiller, un diapason, jeter l'une de ses cymbales à terre
Depuis, une vraie complicité s’est installée entre les deux musiciens, qui leur permet de proposer une musique à la fois exigeante et pleine d’humour. Sébastien Coste, au saxophone soprano, est inspiré et volubile, mais évite l’écueil techniciste de beaucoup de musiciens de jazz actuels. “Souvent les saxophonistes de jazz jouent trop de notes, trop de "licks". Sébastien, je l’aime beaucoup parce qu’il joue vraiment autrement qu’un saxophoniste de jazz.” Sébastien Coste délaisse d’ailleurs parfois son instrument pour… des ballons de baudruche ! Geste humoristique autant que revendication artistique : les baudruches, objets banals, indignes, lui permettent d’étendre son vocabulaire musical d’une manière originale. Will Guthrie n’est pas en reste dans l’utilisation de techniques de jeu – très – étendues. Tour à tour, on le voit jouer avec une cuiller, un diapason, jeter l’une de ses cymbales à terre. De ces gestes inhabituels surgissent des sonorités inattendues.
Charlie Charlie, laboratoire d’expérimentations sonores
C’est en effet une recherche constante sur la matière sonore qui caractérise le travail de Will Guthrie, qu’elle soit menée dans le domaine du free jazz ou dans celui de la musique électroacoustique. La performance de Charlie Charlie, duo formé avec Erell Latimier, le confirme. Les deux musiciens, attablés, épaule contre épaule, manipulent des équipements électroniques low-fi. Erell, munie de walkmans et de magnétophones à cassettes, diffuse des enregistrements de ses textes, pendant que Will, pédales d’effets et micros sous les doigts, déforme et recompose les sons au gré de son inspiration.
La performance, qui rappelle celle de (N:Q) au Musée des Beaux-Arts il y a quelque temps, est cependant plus intense, plus violente. Quelques spectateurs, oppressés, quittent la salle. C’est qu’un effort particulier a été fait quant à la diffusion du son. “Cette soirée, on a utilisé une autre diffusion. On a utilisé la sono du Pannonica, et puis aussi une petite enceinte chacun, derrière. On a pas mal parlé de ça [avec Erell]. Ça permet d’ouvrir l’espace, de créer un autre espace.” Au final, une atmosphère claustrophobique, qui n’est pas sans rappeler celle de Thought Provoking, troisième projet de Will Guthrie.
Au final, une atmosphère claustrophobique, qui n’est pas sans rappeler celle de ‘Thought Provoking’
Concerto pour tuyaux d’orgue et sèche-cheveux
La diffusion de Thought Provoking, pièce composée en 2006, invite les spectateurs plongés dans le noir à un voyage dans les méandres sinueux de l’imaginaire d’Helmut Schäfer. “C’est une pièce composée par Helmut Schäfer pour moi (percussions et électroniques), Elisabeth [Gmeiner] (violon) et Helmut (ordinateur, tuyaux d’orgue et sèche-cheveux). Cette pièce a été jouée une fois comme un duo pour Helmut et Elisabeth, puis ils m’ont invité à jouer la même pièce dans une église de Gratz, en Autriche. C’est là qu’on l’a enregistrée. Cinq mois plus tard, Helmut est mort, alors j’ai rassemblé les enregistrements des répétitions et du concert, les ai mixés et préparés pour un CD que nous sortirons, je l’espère, un peu plus tard. Cette soirée-là au Pannonica, je l’ai diffusée parce que personne ne l’avait encore entendue. Je ne sais pas encore quand elle sortira, ni qui la sortira, alors je voulais le faire ce soir-là. C’était aussi une sorte d’hommage.”
Thought Provoking est une pièce passionnante. “Sombre, intense, elle se construit lentement, avec une atmosphère vraiment spécifique.” Une atmosphère lourde, pesante, presque industrielle. Un jeu sur la discontinuité confère à la pièce une qualité dramatique. Discontinuité verticale – hauteurs extrêmement aigues et extrêmement graves s’affrontent sans cesse – autant qu’horizontale – la pièce est toute de ruptures mélodiques. Dans le public, on halète, en écho à la pièce qui se conclut sur un clin d’œil aux clichés les plus éculés du cinéma d’horreur : des bribes de violon stridentes… des halètements menaçants… une tension extrême…
Gageons qu’Helmut Schäfer aurait apprécié un si bel hommage.
Sophie Pécaud
Photos : Régis Hémon
À écouter :
Charlie Charlie, La Respiration des saintes, Antboy Music (disponible sur le site de Metamkine).
Lien :
Plus de photos d’Edgar et de Charlie Charlie dans notre portfolio
[1] Association nantaise se présentant comme “laboratoire artistique et technologique transdisciplinaire qui développe des projets collectifs divers alliant recherche, expérimentation et intervention dans l’espace social”. Pour plus de renseignements, voir son site.
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