
Festival du Cinéma Espagnol 2011
"Balada triste de trompeta" : une balade d’épouvante au cœur de l’Espagne franquiste
Rencontre avec Alex de la Iglesia
Pour sa 21ème édition, le Festival du Cinéma Espagnol a encore une fois l’honneur d’accueillir Alex de la Iglesia, ancien Président de l’Académie espagnole du cinéma, pour son film «  Balada triste de trompeta  ». Lion d’Argent et Meilleur Scénario à la Biennale de Venise de 2010, il est cette fois récompensé par le Prix du Jury Jeune du festival nantais. Son film, interdit aux moins de 16 ans, met en scène deux clowns terrifiants et pathétiques, s’affrontant à mort pour les beaux yeux d’une acrobate, dans un pays marqué par la dictature franquiste.
Dans « Balada triste de trompeta », les clowns sont clairement une métaphore de la vie pendant la dictature de Franco.
1937, les opposants nationalistes réquisitionnent une troupe de cirque itinérante. Javier, enfant à l’époque, voit son père clown se faire enrôler de force, machette à la main. Après avoir découpé ses ennemis à tout va lors d’une bataille sanglante, il se fait emprisonné. Le jeune Javier promet alors à son père de se venger et de devenir un clown, un clown triste. En 1973, il entre dans une troupe. Son collègue, Sergio, qui joue l’Auguste, terrorise les membres du cirque et bat sa compagne, l’acrobate Natalia. Javier va tomber amoureux d’elle et là va commencer un terrifiant et sanglant combat entre les deux clowns.
" Les gens les plus mauvais ne sont pas toujours comme ils paraissent "
Dans Balada triste de trompeta, dont la sortie en France est prévue en juin 2011, les clowns sont clairement une métaphore de la vie pendant la dictature de Franco. Les bons deviennent les mauvais, les gentils deviennent les méchants. « Dans le film j’ai essayé de rendre Franco gentil pour mieux pouvoir lui mordre la main » explique Alex de la Iglesia (Lors d’une scène de chasse, Javier lui mord la main). « Les gens les plus mauvais ne sont pas toujours comme ils paraissent. Ils peuvent rire, caresser les chiens. C’est ça le plus terrible », ajoute le réalisateur. « J’’étais à Berlin le jour de la sortie de « La Chute ». Une dame est venue vers moi en me disant qu’elle n’avait pas aimé le film, car Hitler paraissait humain. Je lui ai répondu que ces personnes étaient des personnes comme vous et moi. C’est plus facile pour nous de se dire qu’ils sont méchants. Cela explique et rend légitimes leurs actes. Le pire c’est qu’il était convaincu de faire le bien de l’humanité ». Le bien et le mal se trouvent dans chacun de nous, c’est ce que cherche à nous dire De La Iglesia. Un manichéisme apparent dans ce film, un bon qui devient mauvais, un mauvais qui devient bon. « C’est machiavélique de voir Franco comme quelqu’un de gentil dans le film. On l’imagine souvent idiot. En fait, pendant 40 ans le peuple espagnol a été sous la houlette d’un idiot ».
Métaphore d’une guerre encore dans les esprits
Il y a un lieu symbolique dans le film de De La Iglesia, c’est "la valle de los caidos" ou la vallée de la mort. Gigantesque monument espagnol situé dans la vallée de Cuelgamuros dans la Communauté autonome de Madrid, il a été commandé par le caudillo pour rendre hommage aux martyrs et aux héros de la croisade. C’est à cet endroit que se terminera le film, lieu de l’ultime combat entre les deux clowns. « Les gens du village ne voulaient pas qu’on filme ni qu’on entre à l’intérieur. Seuls les Japonais avaient l’autorisation. Mais après quelques coups de fil, j’ai pu entrer », explique De La Iglesia. Réunissant plus de 34 000 cadavres des vainqueurs et des vaincus, la vallée de la mort est un endroit terrible pour l’Espagne.
« C’est un endroit emblématique pour le pays. C’est un couteau planté dans son cœur. Mettre des clowns là-bas, c’est comme mettre de l’acide sulfurique sur une blessure », ajoute le réalisateur en terminant : « Il génère de l’angoisse, mais aussi du respect, car Franco l’a construit en hommage aux morts de la guerre mais c’est aussi sa propre tombe ».
« C’est mon film le plus personnel »
Avec Balada triste de trompeta, Alex De La Iglesia réalise un film très personnel : « C’est le film dont je suis le plus fier ». Après deux années difficiles sur le plan personnel et professionnel - il a divorcé et démissionné de la présidence de l’Académie espagnole du cinéma -, le réalisateur avait besoin d’un bon exutoire : « Je parle de ma vie dans ce film ». À l’instar de Javier, il confie par moment « être sur le point de se brûler le visage avec un fer à repasser ». Tiraillé entre les deux clowns, l’auguste et le triste, De la Iglesia se refuse pourtant à nous livrer celui qui lui ressemble le plus : « Je suis peut-être les deux, peut-être ni l’un ni l’autre, peut être l’auguste. Je ne vous le dirai pas ». Seule certitude, le réalisateur souffre et le cinéma lui permet de continuer à vivre. « Si je ne faisais pas de films, je serais un assassin », reprenant ainsi à son compte une réplique des deux clowns.
Si je ne faisais pas de films, je serais un assassin
En début d’année 2011, Alex De La Iglesia a quitté sa fonction de président de l’Académie du Cinéma Espagnol, l’instance qui délivre les Prix Goya, pour protester contre la récente loi Sinde, l’équivalent ibérique de la loi Hadopi : « Je suis sur une position intermédiaire entre le tout gratuit et le tout payant ». Il faut selon lui changer le modèle économique dans le marché de la culture : « Internet doit rester une zone de partage tout en respectant les droits d’auteurs ».
Autre coup dur, le réalisateur espagnol n’adaptera finalement pas au cinéma la célèbre bande dessinée des aventures de Black et Mortimer La marque jaune, faute de budget .« Nous avions récolté les deux-tiers du budget mais nous ne voulions pas amputer le film en supprimant des scènes », explique le réalisateur. Dans un autre registre, De la Iglesia a récemment bouclé le tournage de L’étincelle de la vie (slogan de Coca Cola en Espagne). Film « très dramatique » critiquant le monde des médias, où l’humoriste espagnol José Mota, joue le rôle d’un publiciste au chômage rejeté par toutes les agences. Si depuis quelque temps, Alex De La Iglesia explore avec succès le genre dramatique, que ses fans se rassurent, il jure ne pas en avoir terminé avec les "comédies".
Marine Lomellini et Xavier Pennec
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En savoir plus
Cet article a été réalisé conjointement par une équipe d’étudiants du Département Infocom de l’Université de Nantes.
Équipe : Laurette Bouysse, Xavier Pennec, Marine Toux, Corentin Vital. Coordination éditoriale et pédagogique : Emilie Le Moal.
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