
Festival des 3 Continents 2010
F3C 2010 : l’Empire du Milieu fait son cinéma
A l’heure où la Chine est sur le point de devenir la première puissance économique mondiale, le Festival des 3 Continents de Nantes consacre pour cette 32e édition un gros plan au cinéma indépendant chinois de la sixième génération. L’occasion de dresser un état des lieux du septième art dans l’Empire du Milieu, encore peu structuré, qui laisse peu de place à ses réalisateurs.
Parler de cinéma indépendant chinois, c'est avant tout parler de cinéma « hors studio »
Pour Jérôme Baron, programmateur du F3C, faits de sociétés et cinéma chinois sont indissociables : « Alors que le pouvoir politique maintient sa domination, le brusque passage à l’économie de marché dans les années 90 défait les repères collectifs et sociaux, instaure de nouveaux ordres hiérarchiques, entraîne un remodelage profond des mentalités et du paysage. Ce sont ces changements jusque dans leurs répercussions les plus intimes que le jeune cinéma chinois enregistre, raconte, avec une conscience archivistique et critique exceptionnelle ».
Un art qui peine à exister
Trois cent films produits par an, un nombre de salles inférieur à celui de la France, seulement une vingtaine de films étrangers projetés durant l’année 2009... Voilà en quelques chiffres le bref tableau que Marie-Pierre Duhamel Müller, programmatrice à la Mostra de Venise et traductrice de films chinois, dresse du cinéma chinois. La faute à un art encore en grande partie sous l’emprise de l’État tant sur le plan économique qu’artistique. Le scénario doit par exemple être préalablement lu et approuvé par le bureau du cinéma. Pour autant, « nous ne sommes plus en 1952 » proclame M-P. Müller. Le cinéma chinois souffre avant tout d’un manque de structure et d’intérêt à l’intérieur même de ses frontières. Hormis certaines supers productions de studios officiels, censées promouvoir le pays, une grande partie du cinéma reste encore peu visible : « Le public est plus occidental que chinois » précise t-elle. Malgré tout, à un niveau local, des petites diffusions sont organisées dans certaines sphères intellectuelles.
Un pragmatisme propre à la sixième génération
Parler de cinéma indépendant chinois, c’est avant tout parler de cinéma « hors studio ». En refusant de se soumettre au circuit officiel, les cinéastes indépendants se privent des réseaux de distribution et se tournent vers les circuits alternatifs (galeries, cinés-clubs). La sixième génération de cinéastes, qui débute après Tienanmen, est un ensemble hétérogène. Réalisme documentaire, esthétique brute, inspiration tirée de la vie des jeunes urbains, voilà les principaux traits de caractère de cette génération de réalisateurs. Ils abordent des thèmes comme le chômage, la prostitution, la criminalité, l’individualisme ou la perte de repères. Tels des sociologues, ils filment la vie telle qu’elle est, sans attendre ou même demander les autorisations. Ce cinéma se situe davantage dans le témoignage social que dans une contestation structurée du système politique en place. Néanmoins, Marie-Pierre Duhamel Müller note que ces préférences thématiques relèvent plus « d’un pragmatisme lié aux manques de moyens » que d’un réel choix artistique. Un cinéma de l’urgence en somme, qui profite en partie des nouvelles technologies numériques.
Peindre la réalité
Quête de financement, débrouille sont les mots d’ordre de ces jeunes artistes qui font du cinéma en marge des institutions. Lui Jian est de ceux-là. Peintre de formation, photographe à ses heures perdues, il a réalisé un long métrage d’animation, Piercing 1 projeté dans le cadre du Festival des 3 Continents. Pour monter ce film, qui lui a pris trois ans de travail, il a revendu son appartement pékinois : « Une réalisation solitaire, pour une liberté artistique totale ». Piercing 1 relate l’errance d’un jeune pékinois au chômage, accusé à tort d’un vol, qui tente tant bien que mal de s’en sortir. Lui Jian peint ici une certaine réalité sociale avec pour toile de fond la crise financière contemporaine. Un tableau froid et fataliste, même si il dit laisser à chacun le choix de l’interpréter comme il le souhaite. A l’instar de Lui Jian, la plasticienne Cao Fei a décidé de peindre la réalité, mais d’une manière plus conceptuelle. Sous l’égide de l’artistique, la réalisatrice présente dans Live In RMB City une sorte de satire de la ville chinoise contemporaine. Ce court-métrage se déroule entièrement dans l’univers du jeux vidéo Second Life. Il pourrait s’apparenter à un film d’animation numérique alors qu’il ne l’est pas. Ce mixe, entre critique d’une société contemporaine et futurisme, s’apparente en réalité à un véritable conte philosophique.
Présentés dans divers festivals européens, ces films n’ont bénéficié d’aucune diffusion officielle en Chine. Même s’il est difficile de généraliser, ces cinéastes sont symptomatiques de ces réalisateurs reconnus dans les festivals européens et méconnus dans leur propre pays. Malgré une créativité foisonnante, une grande muraille institutionnelle et structurelle persiste encore en Chine.
Xavier Pennec et Corentin Vital
Site officiel du Festival des 3 Continents
Cet article a été réalisé conjointement par une équipe d’étudiants du Département Infocom de l’Université de Nantes.
Equipe : Laurette Bouysse, Xavier Pennec, Marine Toux, Corentin Vital. Coordination éditoriale et pédagogique : Emilie Le Moal.
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