
RENCONTRE
Pierre Carles crève l’écran
Le réalisateur invité à Nantes
Réalisateur impertinent, Pierre Carles était l’invité, jeudi 14 avril, du Nouvel Obsen et du magazine Europa, dans le cadre de la sortie du dernier numéro consacré à l’enfance et à son éducation. Au cœur du débat, le lien entre les jeunes et les médias. Une rétrospective lui était également consacrée, du 13 au 17 avril, par le Cinéma Bonne Garde. Rencontre avec celui qui traite Charlie Hebdo de conservateur.
Contre les préjugés et autres idées reçues, Pierre Carles ne manque pas à sa réputation et critique tout un système médiatique, qu’il connaît bien.
"Aujourd’hui, il est difficile de faire autre chose que de la merde"
Les jeunes journalistes peuvent-ils encore croire en leur métier ? N’y-a-t-il pas une certaine désillusion ambiante ? "Je pense qu’il faut revenir à la source, c’est-à-dire, pouvoir travailler dans de bonnes conditions économiques ce qui n’est pas le cas aujourd’hui", souligne-t-il, posant un constat amer. Dégradation des conditions de travail, rapidité du traitement de l’information, de la diffusion... "Donner deux-trois heures pour réaliser une enquête sur un quartier difficile, sans contacts au préalable, oblige à rester superficiel". Un travail qu’il qualifie d’industriel, à la chaîne avec pour seule logique, l’audience et encore l’audience. Les grandes chaînes de télévision sont les premières visées, car principaux médias de masse. "Dans l’urgence, on reproduit des conneries, on illustre ce que l’on connaît déjà, donnant une vision étriquée du monde, comme véhiculent les programmes télévisés". Les journalistes, eux, sont peut-être victimes de ce système économique limité mais restent "responsables de l’usage des mots et doivent s’autocensurer pour pouvoir continuer à travailler", précise Pierre Carles. David Pujadas ou encore Yann Barthès, "faux impertinent", sont alors épinglés par le réalisateur. "Aujourd’hui, il est difficile de faire autre chose que de la merde".
La déformation de la formation
Pierre Carles, diplômé d’une école de journalisme bordelaise, s’en prend farouchement au formatage de ces écoles reconnus. Pour lui, il est clair que Sciences Po façonne une élite et rappelle, comme une évidence, à l’assemblée, l’ordre des choses, la hiérarchie en place : "Vous n’allez pas diriger la France depuis la fac de Nantes !"
"Vous n'allez pas diriger la France depuis la fac de Nantes !"
"Les écoles de journalisme enseignent une forme d’équilibre, règle pseudo-démocratique des temps de parole. C’est bidon", souligne-t-il. "Pour contrer la connerie des médias, il faudrait du temps de parole inégalitaire. Être inégalitaire pour rétablir une égalité" Et de prendre, comme exemple, le Front National, écarté des débats. "On ne peut pas lutter contre, il faut plutôt créer des contre-médias, alternatifs". Proposer un autre type d’information, un autre point de vue que celui des médias de masse, corrompus selon lui.
"Je suis un artisan du documentaire"
Auteur de nombreux documentaires critiques du monde des médias et de celui du travail, Pierre Carles se qualifie comme "un artisan du documentaire". Indépendant, il crée sa société de production C-P Production après le montage de Pas vu, pas pris. "On a fabriqué un outil de production atypique, permettant de faire mes documentaires de manière indépendante, explique t-il.
Viré de TF1 pour avoir réalisé des reportages caustiques pour l’émission Ciel mon mardi, il ne restera pas plus longtemps à M6 qui le remerciera aussi. Véritable rebelle, son travail ne plaît pas, ces concepts sont refusés, ses documentaires censurés comme Pas vu à la télé, réalisé en 1995 et qui ne sera jamais diffusé sur le petit écran. Il deviendra Pas vu, pas pris, au cinéma. "Je suis l’un des rares documentaristes français qui sort ses documentaires au cinéma, c’est un luxe", commente-t-il.
S’ensuivent de nombreux films comme Volume rien foutre al pais, Attention Danger Travail, Enfin pris ? ou encore La sociologie est un sport de combat. Un choix de format clairement revendiqué. "Je peux revenir à mes aprioris de départ, car j’ai le temps pour le doute, le temps pour l’hésitation. J’ai le droit de me planter". Montrer le réel, "rendre visible, ce qui est invisible", c’est ça la vraie motivation de Pierre Carles. "Je ne fais pas de film-dossier. Je fonctionne plutôt en fonction d’images qui m’ont marquées". Les images déclenchent des envies.
"Dans l'urgence, on reproduit des conneries, on illustre ce que l'on connaît déjà, donnant une vision étriquée du monde, comme véhiculent les programmes télévisés"
Mais c’est surtout Fin de concession, sorti en 2010, qui lui vaut sa réputation. Véritable enquête audiovisuelle sur la privatisation de TF1 en 1987, le film revient sur l’environnement médiatique actuel avec tout ce qui s’en suit : censure, pouvoir des "puissants" ou "de la haute bourgeoisie dominante" comme il les qualifie.
"Internet, ce n’est pas que de l’indépendance ou un truc génial pour l’avenir"
Pierre Carles et les nouveaux médias. "Il ne faut pas utiliser le terme alternatif car personne ne représente une véritable alternative. Aucun média indépendant ne peut se substituer au JT de TF1. Il ne faut pas surestimer la force de ces nouveaux médias". Il explique : "Internet n’a pas encore trouvé une bonne économie de production qui lui permette de faire un vrai travail journalistique. Ce sont plutôt des révélations et le concept de média-citoyen, du témoignage".
Est-ce qu’on fait autant de merde sur Internet ? "Ce n’est pas du journalisme au sens noble du terme. Il n’en existe pas sur Internet". Un journalisme noble en référence aux journalistes d’investigation Pierre Péan ou encore Florence Aubenas avec son travail d’enquête exposé dans son livre Sur le quai de Ouistreham. "Du journalisme au long cours financé par l’édition". Un paradoxe.
Alors, si Pierre Carles est contre tout, a t-il au moins une solution à leur donner, à tous ces jeunes journalistes ? "Je pense qu’il faut créer des espaces qui n’existent pas pour faire du journalisme, s’associer et ne pas se dire, le canal du web est libre donc je vais pouvoir faire de l’information indépendante". Un avenir difficile à moins qu’une révolution éclate... "Je ne la vois pas venir...", dit-il, évasif parcourant du regard l’assemblée.
Texte : Marine Lomellini et Caroline Dubois
Photos : Caroline Dubois
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