Festival des 3 Continents 2010
Gesher : "L’industrie écrase beaucoup de choses"
Rencontre avec Vahid Vakilifar, jeune réalisateur iranien
Venu présenter Gesher, son premier long-métrage, à l’occasion du Festival des 3 Continents, Vahid Vakilifar nous dresse un sombre tableau de l’Iran d’aujourd’hui. Un pays qui se développe avec des industries aussi nourricières que destructrices. Chronique du quotidien de trois travailleurs iraniens, livrés à cette réalité mais qui ne s’effondrent jamais.
Gesher, c’est l’histoire de trois hommes qui quittent leur foyer pour Oslouyeh, l’une des villes iraniennes les plus riches en gaz. Avec la raffinerie comme élément de décor et des pipelines en guise d’abri pour la nuit. L’un récure les toilettes, l’autre est soudeur et le troisième est chauffeur occasionnel.
Le film marque par son réalisme, car c'est ça l'Iran d'aujourd'hui.
L’Iran mis à nu
Le film marque par son réalisme, car c’est ça l’Iran d’aujourd’hui. « J’ai fait tout ce que je pouvais pour que le film soit très proche de la réalité des ouvriers. C’est important que le spectateur croie ce qu’il voit. » Il y a cinq ans, Vahid réalisa un documentaire sur commande dans le plus grand site de gaz entre l’Iran et le Qatar. Choqué par les conditions de vie des ouvriers, il décide d’en faire un film. « Quand j’ai réalisé le documentaire, j’ai vu des ouvriers qui habitaient dans les pipelines. Je ne connaissais pas vraiment les personnes là-bas, mais j’en ai vu un qui débouchait les toilettes et un autre qui travaillait dans le bâtiment. »
A mi-chemin entre la fiction et le documentaire, Gesher ne critique pas. Il montre. Vahid nous explique : « Aucun art ne peut aider pour que la situation de l’Iran change. Ce n’est pas le travail de l’artiste. Il raconte, met en avant, évoque les problèmes. » En effet, Gesher montre, s’attache aux images, aux plans longs évocateurs de sens : la peluche que l’on vide pour y mettre des billets afin d’envoyer de l’argent à sa famille ; des habits qu’on essaie pour se donner un autre look et se trouver une nouvelle identité ; une baignade quotidienne dans la mer pour se purifier d’une puanteur qui colle à la peau ; un dîner que l’on partage entre amis.
Survivre malgré tout
Ces ouvriers vivent dans des conditions difficiles, mais ne se découragent jamais.
Alors, qu’a voulu montrer le réalisateur ? « Quand l’industrie entre dans une société moderne, elle amène beaucoup de choses, comme le modernisme, mais elle écrase aussi beaucoup d’autres choses. Les gens qui sont dans cette société par exemple. Ces ouvriers vivent dans des conditions difficiles, mais ne se découragent jamais. L’ouvrier qui débouche les toilettes subit des conditions très dures mais a de l’espoir. Il veut changer de travail. » Ils sont comme ces plantes qui sont toutes molles au début puis qui se durcissent avec le temps pour se former une protection : le gesher. « Les travailleurs se forment une carapace. Ils ne montrent pas à l’extérieur ce qu’ils ressentent à l’intérieur. La société ne peut pas les atteindre. C’est un combat qu’ils mènent à l’intérieur d’eux-mêmes. La démarche pour leur combat va s’installer, comme le gesher sur un rocher. Ils peuvent ignorer les problèmes et vivre leur vie à l’intérieur comme dans les pipelines. Ils sont passifs. »
A l’image des conditions de vie des ouvriers, tourner dans un tel endroit ne fut pas chose facile. L’usine n’était pas accessible à tous et même avec une autorisation, la peur que les responsables se rétractent restait toujours présente. « On a tourné le film en 20 jours, à 12, travaillant jours et nuits. Il fallait aller très vite car si ça trainait, notre travail aurait pu être interrompu. » Mais après le tournage, restait encore à passer la barrière du gouvernement iranien : « Il faut savoir que pour diffuser un film, en Iran comme à l’étranger, le gouvernement doit donner un visa au réalisateur. » Pour ce film, Vahid n’a pas reçu de visa. Il est passé outre et l’a présenté à San Sebastian. Malgré quelques réprimandes, il n’y a pas eu de répercussions. Mais pour son prochain film, le barrage se fera sûrement avant le tournage. Actuellement, un nouveau scénario est en route, et le thème, qui tient particulièrement à cœur au réalisateur, sera sûrement des personnages tenaces, à l’image du gesher.
Marine Lomellini et Laurette Bouysse
Portrait de V.Vakilifar : Marine Lomellini
Site du festival des 3 Continents
Cet article a été réalisé conjointement par une équipe d’étudiants du Département Infocom de l’Université de Nantes.
Equipe : Laurette Bouysse, Xavier Pennec, Marine Toux, Corentin Vital. Coordination éditoriale et pédagogique : Emilie Le Moal.
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