CARNET DE FESTIVAL
Utopiales 2010 : de mille frontières naissent les mondes
LES UTOPIALES 2010 : QUATRE JOURS DE SCIENCE-FICTION A NANTES
Au dehors, la tempête fait rage, des éclairs de plasma zèbrent le ciel. Comme sur ces vieilles affiches du XXème siècle. La Station Utopiales 20-10 se détache maintenant de ce ciel chaotique. C’est l’ultime refuge des voyageurs spatiaux engoncés dans leur combinaison trop lourde, ils avancent avec peine le long du rail magnétique face au vent de particules qui atteint déjà les 260 km/h. Même les holo-drapeaux, qui d’habitude ornent fièrement le dôme de la station, ont été désactivés. Tous le savent : une fois atteint le portail immense et ses convertisseurs surpuissants, le cocon délicieux de la Grande Réunion les accueillera pour quatre jours de plaisir.
Cet univers merveilleux, dont les portes s’ouvrent après un périple chargé en humidité sous le doux climat nantais, c’est celui des Utopiales. Festival international de science-fiction qui se déroula du 10 au 14 novembre. Il accueille cette année plus de quarante-deux mille visiteurs en quête d’ailleurs, tel un havre de paix, de prospérité... et de climatisation.
La Force était bel et bien présente pendant ces quelques jours, elle nous a fait oublier le décor si monotone de la Cité des Congrès, le parfum délicat des vêtements détrempés lors des files d’attente et la fatigue qui s’est manifestée dès le 1er jour, au bout de neuf heures de films...
L’immersion a été totale, dans cette vaste matrice aux couleurs sombres, déclinaison de noirs, de bruns et de pilosités décomplexées, au-dessus : l’affiche majestueuse de Philippe Druillet.
Hagards et émerveillés
Si la journée du dimanche a sans doute connu la plus grande affluence (grâce à la journée asiatique notamment), avec ses familles en balade et leurs ados surexcités. Dès jeudi, on pouvait voir errer habitués et nouveaux adorateurs, les yeux rougis par les séances de cinéma enchaînées, survivant de sandwichs et de canettes de soda. Contre leur flanc, le précieux Graal : des livres dédicacés à la librairie du festival.
Ceux d'entre nous qui possédaient le don d'ubiquité ont pu se régaler des cinquante-six films et de la cinquantaine de débats.
Ceux d’entre nous qui possédaient le don d’ubiquité ont pu se régaler des cinquante-six films et de la cinquantaine de débats. Quant aux autres, il leur a fallu faire des choix délicats dans cette grande convention qui s’est achevée dimanche soir, sous un ciel redevenu bienveillant. Tous ont alors quitté à regret la Cité, épuisés et heureux, comme déconnectés pendant quelques jours du fil de la réalité...
Malgré la froideur du cadre et le charme pour le moins minimaliste des tables-rondes avec leurs micros qui crachotent et leurs bouteilles d’eau sagement alignées, la magie a vraiment opéré, nous emportant bien loin, entre débats philosophico-futuristes et pépites cinématographiques vintage sélectionnées avec soin. Cest une autre dimension, peuplée par une tribu accueillante et fascinante en tout cas, avec ses codes, ses fans et ses acteurs passionnés.
Vers l’infini... et au-delà des clichés
La science-fiction demeure en effet un « marché de niche » aux dires mêmes de ses spécialistes, restant malgré tout assez underground (à l’exception du cinéma qui attire toujours plus de spectateurs, grâce entre autres à des mastodontes comme Avatar).
Néanmoins, si elle semble parfois réservée à un certain type de population (jeune et masculin...), ce n’est pas lui rendre justice que de se limiter à ces stéréotypes, au contraire, ce serait occulter la puissance intellectuelle et l’intérêt que peuvent avoir ces domaines et ces genres. Il y a bien plusieurs maisons et des genres très variés au sein de ce qu’on appelle communément la SF : la Science-Fiction.
Mettre en valeur cette diversité de publics et d’œuvres, c’est aussi la mission des Utopiales, cela passe par le dépassement du clivages loisir/réflexion et par l’association des sciences dures (participation de l’INSERM) et des sciences humaines avec tous les autres univers : asiatique, fantasy, anticipation, science-fiction pure et fantastique.
Des enjeux fascinants
Aller au-delà des clichés, c’est aussi reconnaître que le véritable personnage de la science-fiction c’est la société, ses évolutions possibles et ses bouleversements.
Ainsi, nous avons pu vérifier le pouvoir politique et la pertinence sociale de ces genres à travers les films projetés mais aussi durant les conférences, regroupées cette année autour de la notion de « Frontières ».
De « Big brother aux frontières » à « La mort : une limite à repousser ? » en passant par « Frontière et spiritualité », les questions posées ont été pour qui en doutait la confirmation que la science-fiction et ses variations ne peuvent être gentiment cantonnées à un passe-temps pour nerds et autres créatures fantasmées.
Ce thème très politique a été approché sous des angles multiples :
Spatial : possibilité du voyage dans l’espace, limites de l’univers, transports du futur.
Temporel et biologique : jusqu’où pourra t-on repousser la mort, ou réparer le corps ? Quelle sera l’évolution des robots et de l’interface cerveau-machine ?
Politique et géopolitique : les communautarismes récréent-ils des frontières ? D’où La multiplication des murs symboliques entre cultures et les liens entre guerre et frontières.
Littéraire : qu’est-ce qui sépare la littérature jeunesse de la littérature adulte ? Qu’en est-il de du rapport nouveau entre numérique et livre papier ?
De genre : l’hybridation et la rencontre des styles au cœur de la science fiction (avec par exemple les connexions entre musique et sf, jeux-vidéos et littérature, divertissement et apports scientifiques).
Numérique : le réseau mondial est-il un espace sans frontières, qu’en est-il de la surveillance aux frontières de ce nouveau monde ?
Philosophique, voire métaphysique : l’imagination a t-elle des limites ? quelle est la frontière entre réel et imaginaire, recherche scientifique et créativité ?
Pour des auteurs de sf engagés, Alain Damasio ou Laurent Kloetzer pour ne citer qu’eux, impossible de faire l’impasse sur le déplacement de la frontière entre vie privée et vie publique à l’heure de la globalisation des réseaux sociaux et des technologies de communication ou de surveillance. [1]
Conscience et subversion
Au final, si on devait ne retirer qu’un message de ces journées marathon, cela serait de décloisonner la science fiction, la sortir d’une caricature véhiculée par certains types de productions pour mettre en avant son utilité sociale et intellectuelle, sa force de subversion et d’alerte.
Lucidité et créativité, deux notions fortes au sein des Utopiales. Les visiteurs en sont les porte-paroles les plus enthousiastes : retrouvez leurs portraits dans l’épisode 2 de nos aventures sur la Planète Utopie 20-10...
Georgina Belin
[1] Nous reviendrons plus amplement sur les enjeux de ces rencontres, en nous intéressant tout particulièrement à la thématique du « réseau » plusieurs fois mis en jeu.
Bloc-Notes
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