Festival des 3 Continents 2009
Kiyoshi Kurosawa : entre rupture et continuité
Le cinéma de Kiyoshi Kurosawa décrypté en six films cultes.
Kiyoshi Kurosawa, c’est l’homme qui se cache derrière des films tels que « Cure  », « Kaïro  » ou « Tokyo Sonata  ». Ce réalisateur talentueux, qui fait partie des cinéastes phares de la nouvelle génération nipponne, voit son cinéma devenir une référence en France et en Occident depuis une dizaine d’années. Sa présence comme invité d’honneur au dernier Festival des 3 Continents nous donne l’occasion de décrypter six de ses œuvres majeures pour tenter de mieux cerner ce personnage et les genres qu’il affectionne : le thriller, les films de yakusa, l’horreur et l’érotique.
La vengeance d’un héros obsessionnel : The Revenge
Avec le diptyque The Revenge - A Visit From Fate (1996) et The Scar That Never Disappears (1997) - Kiyoshi Kurosawa adopte un parti pris plus noir, plus sombre. De l’aveu de Kurosawa, ce diptyque est la véritable œuvre de transition dans sa carrière. L’histoire d’un homme, héros obsessionnel, qui rejoint la police pour enquêter sur l’assassinat de sa famille survenu durant son enfance. Une investigation sur fond de trafic de drogue qui débouche sur le meurtre de sa femme. C’est alors que le désir de vengeance prend forme dans son esprit. Le film se termine par son départ de la police pour assouvir ce désir. .
La trame de The Revenge 2 conserve la vengeance comme objectif. Entre thriller et série B, ce deuxième film adopte une forme très épurée, d’une froide rigueur, qui permet de porter un regard distancié sur la violence. A Scar That Never Disappears incarne une espèce de cicatrisation en s’attachant, dans la trame, aux blessures psychologiques du personnage principal, Goro Anjo, et à son hypothétique guérison par la vengeance.
Plongé dans l’univers des yakuza, Kurosawa y trouve matière à d’étonnantes expérimentations de mise en scène, comme en témoigne ce plan séquence en voiture au début du film, dans lequel les protagonistes errent sans but particulier dans la ville, s’arrêtent pour changer de place et se remettent en route. La mafia japonaise apparaît alors en désuétude, décrédibilisée par un Kurosawa qui s’en amuse. Voir les yakuza jouer aux fléchettes, toute hiérarchie confondue, est stupéfiant.
Une vision inquiétante et violente de la société japonaise d’aujourd’hui
Une trilogie troublante et expérimentale : Cure/Charisma/Kaïro
C’est avec la sortie de la trilogie fantastique Cure (1997), Charisma (1999) et Kaïro (2001), dans laquelle il exprime une vision inquiétante et violente de la société japonaise d’aujourd’hui, que Kiyoshi Kurosawa est révélé au public occidental. Ses choix artistiques, troublants mais justes, qui font la force de sa mise en scène, ont su toucher et conquérir les spectateurs qui semblent avoir intégré la logique particulière de Kurosawa.
Dans Kaïro, une épidémie ravage Tokyo et touche toute personne ayant été au contact d’images vidéo dont l’origine est inconnue. Les images se succèdent à un rythme hypnotique. Les couleurs sont récurrentes, les corps s’effritent, le brouillard s’étend et la mort prend de l’ampleur. La force de la mise en scène est de rendre logique la disparition de ces personnes. Ici, la technologie hostile renforce la métaphore du caractère morbide de la communication. Kurosawa fait preuve d’une grande imagination et élève Kaïro au rang de requiem.
Cure tire toute sa force du subconscient. C’est un film glacé et source de frayeur entre rêve et réalité. L’histoire est celle d’une série de meurtres particulièrement violents qui laissent la police perplexe. Les victimes ont les deux carotides tranchées de coups de couteau formant un X. À chaque fois, les assassins sont retrouvés sur les lieux du crime en état de grande confusion mentale et semblent n’avoir aucun motif susceptible d’expliquer leur geste. L’inspecteur, chargé de l’enquête, est bientôt sur la piste d’un jeune homme énigmatique, frappé d’amnésie et pratiquant l’hypnose. Tout au long du film, le spectateur ressent une frustration. Petit à petit, les dialogues se font plus rares et le film s’assombrit. En somme, Cure révèle la noirceur instinctive de l’homme et le malaise de notre société.
"Pour la façon de filmer, j’ai surtout remplacé l’ombre par la lumière"
A la suite d’une prise d’otages qui a mal tourné, un inspecteur de police prend quelques vacances. Il atterrit au milieu d’une forêt en voie de dépérissement, habitée par un groupe d’individus plus féroces les uns que les autres. Hormis un jeune homme à l’esprit rebelle, tous cherchent à abattre un mystérieux arbre à l’aura maléfique. C’est le synopsis du dernier volet de la sombre trilogie du réalisateur : Charisma. Dans ce film, Kurosawa nous plonge dans une spirale troublante de désirs violents, de sexe et d’illogismes. Tout parait incohérent dans les actes des personnages, semblables à des automates possédés. Leur comportement et leur apparence ridicule semblent être la conséquence de nombreux actes honteux et criminels qui, selon le cinéaste, caractériseraient l’espèce humaine.
Chronique d’une famille nippone ordinaire : Tokyo Sonata
On ne lui connaissait pas ce genre : le home drama ou drame familial et social. Tokyo Sonata (2008), dernier film de Kiyoshi Kurosawa récompensé au Festival des 3 Continents l’an dernier, est l’occasion pour le cinéaste d’une remise en question et d’une mise en perspective de l’autorité paternelle, qui n’est plus qu’une apparence dans le Japon actuel. À mille lieux des contes fantastiques, horrifiques et autres thrillers qui lui avaient accordé une certaine reconnaissance en Occident, Tokyo Sonata dresse le portrait d’une famille nippone ordinaire. Le noyau familial va peu à peu imploser lorsque le père de la famille est licencié. Un regard grave et bouleversant sur une société et ses contradictions.
Dans Tokyo Sonata, Kurosawa met en place une dominante de teintes claires qui symbolisent une espérance, en contradiction avec ses précédentes réalisations, teintées de noir et d’horreur. « Pour la façon de filmer, j’ai surtout remplacé l’ombre par la lumière » [1]. Si ce drame familial semble être en rupture avec ses précédentes réalisations, il s’agit en réalité d’une évolution cohérente de l’œuvre du cinéaste qui traite plus frontalement les problèmes sociétaux de son pays. Pour lui, cet aspect social est présent depuis ses premiers films, de manière plus discrète cependant. La scène finale, sous forme de sonate jouée au piano par le jeune fils, offre au film une dimension bouleversante.
Six œuvres, différentes et singulières, qui illustrent parfaitement toute la complexité de l’œuvre de ce cinéaste. Le trop méconnu Kiyoshi Kurosawa, souvent confondu avec Akira, s’est fait un nom et est devenu un personnage important du paysage cinématographique japonais. Adulé ou jugé trop obscur, Kiyoshi Kurosawa ne laisse personne indifférent.
Caroline Dubois et Thomas Cléraux
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Plus d’infos :
Cet article a été réalisé conjointement par une équipe d’étudiants du Département Infocom de l’Université de Nantes.
Equipe : Solène Castex, Jean Annaix, Thomas Cléraux, Caroline Dubois. Coordination éditoriale et pédagogique : Emilie Le Moal.
[1] Entretien du 13 février 2009 pour Critikat
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