Festival des 3 Continents 2009
Le cinéma muet d’Asie centrale : une remise en cause de la tradition
Rencontre avec Cloé Drieu, spécialiste du cinéma d’Asie centrale des années 20 et 30
L’an dernier, le Festival des 3 Continents nous faisait découvrir des films kirghizes. Cette année, ce sont trois films muets d’Ouzbékistan et du Tadjikistan, soigneusement sélectionnés par Cloé Drieu, spécialiste du cinéma d’Asie centrale des années 20 et 30, qui sortent de l’ombre et auxquels trois talentueux musiciens iranien, ouzbek et tadjik ont redonné vie. L’occasion pour le public nantais de découvrir des films rares aux thèses progressistes et engagées.
l'homme intelligent est celui qui casse la chaîne paternaliste par la réflexion, sans suivre bêtement les préceptes des siècles précédents
Les début du cinéma en Asie centrale
Le cinéma muet d’Asie Centrale a très largement été influencé par le régime soviétique : dans les années 1920, la plupart des cinéastes ont été formés à l’Institut Supérieur Cinématographique d’État, célèbre école de Moscou. Le cinéma était alors un moyen pour les réformistes musulmans de véhiculer des idées de modernisation politique, suite aux révolutions de 1917. Dans ce contexte, il ne faut pas négliger l’importance des films populaires, faits par les natifs pour les natifs, tels que le film tadjik et les deux films ouzbeks retenus par Cloé Drieu pour le Festival : l’Émigrant, réalisé par Kamil Yarmatov (1934), Avant l’Aurore de Suleiman Khojaev (1934) et La fiancée de l’Ishan par Oleg Frelikh (1931).
Des conditions de diffusion aléatoires
Il est très difficile de connaître les conditions de diffusion de l’époque, du fait de la rareté des archives ouzbeks et tadjiks. Pourtant, par leurs sujets révolutionnaires, on ne doute pas que l’Émigrant et la Fiancée de l’Ishan aient pu marquer les publics de l’époque. Les thèmes centraux de ces deux films sont la critique de la religion musulmane et de la relation à la tradition. Avant l’Aurore, qui traite des révoltes anti-coloniales de 1917, n’a par contre jamais été diffusé. Cela a même valu à son auteur, Suleiman Khojaev, l’emprisonnement et la mort lors les purges staliniennes. Devenus obsolètes vers 1936-1937 avec l’apparition du cinéma parlant, les films muets n’ont pas eu de renouvellement d’autorisation de diffusion.
Des films en musique
Dans les années 1920, les films n’étaient pas toujours accompagnés de musiciens pour des raisons techniques et financières. Généralement, ils étaient traduits par des conteurs, une manière de réinventer l’image. Dans le cadre du Festival des 3 Continents, trois musiciens ( Hamid Khezri, Shavkat Matyakubov et Ikbol Zavkibekov ) ont revisité la musique traditionnelle de leurs pays pour composer en exclusivité une Bande Originale à chacun de ces trois films. Cet accompagnement musical a su apporter couleurs et rythmes à cette sélection.
L’Émigrant : remise en cause du religieux et de la relation aux ancêtres
Réputé pour ses films révolutionnaires, Kamil Yarmatov a été le fondateur du cinéma tadjik et ouzbek. Son tout premier film, l’Émigrant (1934), invite le spectateur à questionner l’ordre établi des traditions religieuses et de la relation aux ancêtres en prônant la réflexion individuelle. Dans l’Émigrant, Kamil Yarmatov quitte le kolkhoze à la recherche d’un « pays où l’Islam est sacré » (peut-être l’Afghanistan) sur les conseils de son père et de l’Imam et à cause de l’émancipation de sa femme. Il se rendra vite compte que la perfection de ce monde religieux est une illusion. Et retournera dans son kolkhoze accueilli chaleureusement par les paysans. Selon Kamil Yarmatov, l’homme intelligent est celui qui casse la chaîne paternaliste par la réflexion, sans suivre bêtement les préceptes des siècles précédents.
La question du rapport à la religion et à la tradition est encore un thème d’actualité. Ces réflexions déjà importantes dans les années 1930 sur les rapports aux textes sacrés et à la tradition continuent à nourrir certains débats de nos jours.
Antoine Bernier et Caroline Tanguy
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