
Tissé Métisse Pôle 2ème/3ème génération
La France "multicouleurs" d’une jeunesse nantaise engagée, toujours venue d’ailleurs ?
Conférence-performance ce samedi 14 mai
Récolter la parole, la diffuser et la mettre en valeur, tel est le but que s’est fixé Tissé Métisse en développant, en parallèle de l’exposition Nantais venus d’ailleurs au Château des ducs de Bretagne, le pôle 2ème/3ème génération, Nantais toujours venus d’ailleurs ? Une initiative portée par huit jeunes, tous originaires d’un ailleurs, mais aujourd’hui nantais à part entière. Une double culture et un héritage parfois lourds à porter. La parole est à cette nouvelle génération engagée.
"Mes amis à l’école s’appelaient Charlène ou Hervé", "Je me sens d’ici et de partout", "On nous met dans des cases et on nous stigmatise", "On a tous le même rêve d’avoir une maison, un jardin...", "Je suis ce que je suis" : des mots forts, symboliques sortis tout droit de la bouche de jeunes de vingt ans en moyenne, habitant Nantes et ses quartiers. Dure réalité pour un débat de société encore sensible. Comment se perçoivent-ils et quelle image la société leur renvoie-t-elle ? Véritables nantais mais toujours venus d’ailleurs ?
Une goutte d’eau dans l’océan
Ce sont des hommes et des femmes du monde entier, engagés et très occupés malgré leur jeune âge, de 16 ans pour la plus jeune à 31 ans. "Ils portent une parole et c’est ça qui compte", souligne Cyrille Prévaud, coordinateur et chargé du développement et de la communication au sein de Tissé Métisse. Le pôle 2ème/3ème génération ? Une contre-proposition à l’exposition organisée au Château des ducs de Bretagne. "L’idée reste la même, développée depuis quelques années par l’association : donner la parole et un espace d’expression aux jeunes des quartiers", souligne Cyrille Prévaud. Un projet d’expression autour de l’identité et des liens d’appartenance au pays et à la culture d’origine pour ces jeunes nés en France pour la plupart. Face aux tensions et crispations perçues au sein des quartiers, au sentiment de rejet et de difficultés, le projet se veut un parallèle entre les discours politiques et la réalité de chacun : "Il est nécessaire de poser des valeurs de mieux-vivre ensemble pour une société apaisée. Pas besoin de montrer du doigt ou de se dire, "c’est pas moi, c’est les autres", pour citer Abd Al-Malik. Cette attitude est trop facile". Une goutte d’eau dans l’océan face à un combat permanent et vieux comme le monde. La peur de l’autre, de l’étranger. La stigmatisation.
Très vite, un petit groupe s’est formé, un noyau dur, issus de différentes associations nantaises. "La sphère associative est aujourd’hui l’endroit idéal pour faire bouger les choses". Un travail collectif autour d’un même projet : une conférence-performance, organisée le samedi 14 mai prochain, sur cette question d’identité, entre danse, rap, slam, lecture de texte et échange avec le public, sans oublier la diffusion d’extraits de portraits sonores réalisés par les jeunes. Un événement protéiforme, riche, à l’image de ses acteurs. Rencontre avec quatre de ces jeunes, quatre parcours de vie.
Dis-moi d’où tu viens, je te dirai qui tu es
"Pour me faire recenser, on m'a demandé un livret de famille, mon passeport, un justificatif de domicile et une attestation des parents alors que pour mon ami "français", une carte d'identité a suffi..."
"Je suis Nantais et venu d’ailleurs, c’est vrai, des Comores exactement et je raconte ce vécu à travers mes textes". Rappeur et slameur, Mohamed, 20 ans, habite le quartier des Dervallières. Ce qui ne l’aide pas dans sa recherche de stage, avoue-t-il. "Les gens nous le font sentir... Pas tellement dans les gestes, mais plutôt dans le regard, tu vois s’ils t’aiment ou pas". Ses revendications, il les traduit dans son engagement au sein de l’association Tak-apres, qui favorise la solidarité locale et internationale et dans l’écriture. "À travers mes textes, je veux agir à ma manière, faire entendre mes revendications... et il y a matière !"
À ses côtés, son frère, Nasser, 19 ans. Ce jeune métisse apporte du rythme au projet, une ambiance hip hop. "Je revendique cette culture urbaine, d’origine afro-américaine, bien loin de la France donc...". Un jeune nantais, d’origine comorienne, qui défend une danse afro-américaine : une mixité défendue à l’extrême. En quelques pas de danse, Nasser tente de traduire le débat et les idées soulevées, de lui donner une forme artistique. Il sera alors seul sur scène, devant le public. "Une première", confie-t-il.
Arrivés tous deux vers l’âge de trois ans en France, avec leur famille, le projet de Tissé Métisse est l’occasion de s’exprimer, de prendre la parole. "Pour me faire recenser, on m’a demandé un livret de famille, mon passeport, un justificatif de domicile et une attestation des parents alors que pour mon ami "français", une carte d’identité a suffi...", explique Nasser.
Le tour de table se poursuit, comme un tour du monde des cultures. Himène, 19 ans, est l’énergie et le sourire du groupe. À la question, qui es-tu aujourd’hui, elle répond, catégorique : "Je suis française, pourquoi ?". De mère marocaine et de père algérien, la jeune fille se sent avant tout française, mais tient à conserver des liens avec ses origines, en parlant arabe notamment. "On peut se créer une culture, qui n’est pas uniquement celle de nos origines". Comme un mixe personnel. "Je suis ce que je suis. Plus jeune, je n’ai pas souffert des remarques ou regards des autres, contrairement à certains. Mes amis à l’école s’appelaient Charlène ou Hervé..." Elle, c’est Himène.
Face à elle, Carine, 31 ans, camerounaise. Un regard différent puisque la jeune femme n’a pas encore la nationalité française. "Je suis arrivée en France il y a neuf ans. Aujourd’hui, je suis à la recherche de travail et je suis sûre que si je n’en trouve pas, c’est à cause de ma nationalité et de mon nom. Les entreprises ne se prennent pas la tête..." Elle se rappelle de son premier appartement, quartier de la Boissière. "Il n’y avait presque que des Noirs ou des familles aux profils difficiles, c’était flagrant. Personne ne s’occupait de nous. Je me suis sentie parquée".
"Ce type de débat fait régresser la société et a forcément un impact sur moi, sur nous. C'est quand même dommage qu'en 2011, on réfléchisse encore à la question de l'identité nationale... Le but est vraiment de manipuler les gens, de leur faire peur avec des thèmes sensibles"
Crispations et débats politiques
Identité nationale, immigration, discrimination... Autant de débats qui touchent en première ligne ces jeunes, stigmatisés malgré eux : "Ce type de débat fait régresser la société et a forcément un impact sur moi, sur nous. C’est quand même dommage qu’en 2011, on réfléchisse encore à la question de l’identité nationale... Le but est vraiment de manipuler les gens, de leur faire peur avec des thèmes sensibles", souligne Carine. Très vite, les langues se délient. "Le président n’est même pas d’origine française, sa femme encore moins. Sans parler de Rama Yade, Natalie Kosciusko-Morizet...". "Les politiques se sont emparés du débat, en faisant croire, soit-disant, que les black sont là pour voler", commente Mohamed "et avec ce genre de manipulation politique, on divise la population pour élire une minorité". "On fait douter les jeunes surtout", souligne Himène.
Eux, ne doutent pas. Les débats télévisés ? Ils ne les regardent pas, ou très peu. "Nos parents en parlent discrètement, au téléphone après, ils se disent "t’as vu, ils ont dit ça..." mais c’est tout, ça reste en interne". Des parents discrets sur la question de leur venue en France, de leur intégration dans la société. "Ma mère est venue pour vivre sa vie, c’est tout...", précise Himène. Aussi simple que ça.
"Certains trouvent que la mixité n'est pas flagrante à Nantes... Mais il faut aller dans les quartiers pour la voir !"
Aujourd’hui, quel regard portent-t-ils sur ce pays, leur pays qu’est la France ? "La France, elle est belle et multicouleurs", lance, dans un éclat de rire, Carine. Tous acquiescent, unanimes. "Quand je suis arrivée à Paris, au pays des Blancs, j’ai été très surprise de voir autant de Noirs, d’Arabes, d’Asiatiques... En un instant, tu croises toutes les nationalités, même si chacun a son propre quartier". Quid de la situation à Nantes ? "Certains trouvent que la mixité n’est pas flagrante à Nantes... Mais il faut aller dans les quartiers pour la voir !", ajoute Himène. "Les gens évitent ces quartiers périphériques, mais à force de les regrouper, ça dérape, on parle de "racailles" et on les "stigmatise", souligne Carine. Pour Nasser, "ce n’est pas la faute aux enfants, ni aux parents, on a tous le même rêve d’avoir une belle maison, un jardin...". Et justement, où habitent-ils aujourd’hui ? "Bellevue, Dervallières, Nantes Nord... rien d’étonnant !", s’exclament-ils avec beaucoup d’humour et de recul. "Il faut un mental fort pour faire face aux critiques". Et peut-être pour revendiquer haut et fort ce parcours et ces quartiers qui font ce qu’ils sont aujourd’hui.
Aucune colère n’est perceptible dans leurs voix, mais des revendications, des constats, parfois amers et surtout des envies, des idées, de l’espoir... Tout le monde n’est pas revendicatif, certains se replient, se taisent. Eux, choisissent de se déplier. Fiers.
Texte et photos : Caroline Dubois
Crédit bannière : Association Tissé Métisse
En savoir plus
Conférence-performance "2ème, 3ème génération : Nantais toujours venus d’ailleurs ?", le 14 mai à 14h30, au Musée du Château, salle du Harnachement, Nantes. Accès libre mais réservation recommandée.
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