
FESTIVAL DU CINEMA ESPAGNOL 2009 - NANTES
Quand taire sa foi devient une arme
Rencontre avec Helena Taberna, réalisatrice de La Bonne nouvelle / La Buena Nueva, prix du public
La Bonne nouvelle (La Buena Nueva) a définitivement marqué les esprits du public du 19ème Festival du cinéma espagnol de Nantes. Le film de Helena Taberna est un film historique sur le silence de l’Eglise durant la Guerre Civile espagnole. Mais au-delà du rôle trouble de l’Eglise dans l’accession de Franco au pouvoir, la réalisatrice a su montrer le conflit intérieur qui tourmentait l’Institution. Coopérer et renier par son silence les valeurs chrétiennes ou briser ce silence meurtrier ? Un jeune prêtre qui se dresse contre le silence de ses supérieurs, et c’est un espoir pour les faibles qui surgit. Retrouvez cet article en version espagnole.
L’Eglise déchirée entre la soumission au Franquisme tout puissant et la défense des faibles : c’est ce qu’a voulu raconter Helena Taberna en réalisant La Bonne nouvelle (La Buena Nueva). Durant la guerre civile espagnole, alors que les autorités catholiques se soumettaient en silence aux directives du gouvernement, une autre Eglise, progressiste et anonyme, faisait son apparition, incarnée dans La Bonne nouvelle (La Buena Nueva) par le jeune et déterminé prêtre Miguel. Le spectateur assiste à sa lutte pour venir en aide aux villageois, croyants ou non, alors que les phalangistes imposaient la foi par la violence, d’où le sous-entendu menaçant du capitaine des phalangistes, « nous les ramènerons comme des moutons dans leur enclos, de gré ou de force. » Ce sont là toutes les contradictions de l’Eglise filmées par Helena Taberna : le choix entre se soumettre à un pouvoir violent mais accommodant, ou résister. Deux conceptions de la foi aussi : l’une où les enjeux politiques comptent et l’autre où les valeurs chrétiennes seules sont importantes.
Un « héros romantique » inattendu
Le personnage de Miguel incarne symboliquement une conception nouvelle du catholicisme : tout juste arrivé du séminaire, le jeune homme arrive dans une église délabrée, à l’abandon, à laquelle il va redonner tout son éclat. Le symbole est fort et montre un certain renouveau de l’Eglise dont la terreur franquiste fut le révélateur. Il est également l’incarnation d’une remise en cause de la toute puissance de l’Eglise elle-même : « comme si la soutane faisait de nous des Anges » explique-t-il, pragmatique. Mais il est aussi un personnage déchiré entre son statut de prêtre et son histoire d’amour avec l’institutrice : « Miguel est un héros romantique » soutient la réalisatrice.
Comme si la soutane faisait de nous des Anges
Le silence de l’Eglise aujourd’hui
« La principale réaction de l’Eglise vis à vis du film a été le silence » déclare Helena Taberna. Elle ajoute, pourtant sans désabusement : « Si l’Eglise critique trop, elle sait que cela fera de la publicité pour sa cible. » Certaines institutions ne se sont pourtant pas limitées au silence, telle la radio catholique Cadena COPE, qui a tenté de dissuader les gens d’aller voir le film qualifié par certains d’ « opportuniste ». « Je suis pourtant restée objective et respectueuse, on m’a même demandé si j’étais croyante ! D’ailleurs, ce n’est pas tellement l’Eglise qui est pointée du doigt dans mon film, mais l’usage qu’on en a fait en tant qu’institution. » Le film a pourtant reçu les louanges de certaines associations luttant pour la protection de la mémoire historique qui ont souligné la proximité du film avec la vérité des faits de cette sombre période.
Une tragédie toujours d’actualité
Si le film a suscité des réactions aussi diverses, c’est à cause des liens peu clairs entre Etat et Eglise : « En Espagne, il y a un vrai problème avec la laïcité. L’Eglise intervient toujours » rappelle Helena Taberna, et ce, directement ou non. « Lorsque j’ai présenté mon projet à la télévision publique qui était partenaire, on m’a même demandé : a-t-on l’accord de l’Eglise ? ». L’Eglise pèse en effet encore de tout son poids sur les consciences espagnoles. Le film trouve malgré cela une résonance dans l’esprit du public, son succès en est une preuve, d’autant que la guerre civile espagnole a laissé des traces indélébiles dans les mémoires : « Les disparus de la guerre civile constituent encore un sujet très sombre en Espagne. 70 ans après, certaines familles ne savent toujours pas où sont les corps de leurs proches disparus sous Franco ». Le film est finalement un moyen de défense face à ceux qui nient l’existence des purges, ou qui y ont participé, « les organisateurs de l’oubli » comme les appelle Helena Taberna.
Le jeune prêtre Miguel est un « juste » dans le combat pour la mémoire : « on ne peut pas les ramener à la vie mais on peut empêcher qu’ils meurent une deuxième fois, avec l’oubli. » dit-il en creusant la tombe de victimes des phalangistes, privées de sépultures. 70 ans après cette tragédie, voilà qui sonne toujours comme une belle réplique faite à l’oubli.
Retrouvez cet article en version espagnole.
Alexis Annaix et Antoine Bernier
Portrait d’Helena Taberna : Patrice Molle
Interprète : Pablo Gonzales
Lien vers le site du Festival du Cinéma Espagnol de Nantes
Ces articles ont été réalisés par une équipe d’étudiants de la filière Infocom de l’Université de Nantes. Equipe : Alexis Annaix, Antoine Bernier, Erwin Eninger, Aurélien Lahuec, Marco Streit.
Coordination éditoriale et pédagogique : Emilie Le Moal
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