FOCUS
La carrière Miséry, laboratoire urbain pour l’association Fertile
Vaste territoire à la frontière du centre de Nantes, la carrière Miséry est en lieu atypique et fascinant. C’est un territoire dont la richesse écologique est indéniable, aux potentiels multiples, et au futur encore indéterminé. "Fertile", une association de jeunes architectes, paysagistes et urbanistes, a investi le site au printemps 2010 pour y mettre en place une réflexion sur la ville et le devenir de ce jardin insolite. Rencontre avec ces aménageurs à la démarche inédite et poétique.
Depuis un an déjà, les volontés se sont liées pour mettre en place un projet original sur le site méconnu de la carrière.
Le Printemps des Voisins et la Balade des ateliers auront permis aux Nantais de découvrir ce jardin extraordinaire aux portes de la ville. Depuis, l’hiver est venu et a gelé les interventions. Mais il leur a aussi donné le temps de revenir sur les actions déjà mises en place, sur leurs initiatives et leurs envies. Avec le retour du printemps, le temps du bilan s’achève et Fertile espère récolter les graines des idées semées l’an dernier.
Vers une friche publique
Le mouvement que les membres de Fertile ont amorcé a déjà permis à beaucoup d’habitants de se réapproprier un lieu symbolique de Nantes, d’attirer le regard et les attentions de ceux qui pouvaient n’y voir qu’un terrain vague impénétrable. Ainsi, on ne peut plus ignorer son incroyable diversité végétale. Tout un écosystème s’y est en effet développé depuis 25 ans : fougère, genêt, roncier, fenouil, arbuste, jusqu’aux arbres majestueux qui bordent la falaise.
Cela constitue bien entendu un patrimoine naturel immense, qui vient s’ajouter à celui, historique et humain, de la carrière. Cette richesse plurielle fait vraiment du lieu un laboratoire pour l’urbanisme et l’aménagement du territoire tel que le pensent les membres de l’association. Selon Vianney Cottineau : « C’est quand même une autre manière de voir la méthode de construction de l’espace, une autre politique d’aménagement aussi : là, on a un lieu potentiel qui va évoluer d’ici peu en même temps que le quartier, on a un espace qui, pendant une durée indéterminée, est un espace des possibles, en terme d’expérimentation, d’usages, d’évènements, d’expériences, avec toutes les catégories de la population. On est venus ici aussi parce qu’on voulait expérimenter ce qu’on avait imaginé en bureaux, notre vision de la construction de cet espace […], montrer dans l’espace public, concrètement, nos intentions, et le type de projet qu’on aimerait porter. »
On a un espace qui, pendant une durée indéterminée, est un espace des possibles
Une fois lancé, le discours ne tarit pas : « C’est un quartier qui mute tout doucement, il y a quelques éléments de renouvellement urbain. […] Mais ça va s’accélérer car il y a un véritable projet urbain, qui va de la gare maritime à la gare de Chantenay. Cet espace va être véritablement construit d’ici une décennie, et d’ici là on peut déjà construire quelque chose de temporaire, mais qui peut aussi être pérenne sous une certaine forme.
Par exemple, il y a certains espaces ici qui peuvent quand même être conservés en tant qu’espaces semi-publics pour des collectifs, car, ici, il a déjà été question d’implanter des collectifs. On peut expérimenter ça, après on peut expérimenter d’autres échelles, si un jour il y a des bâtiments qui se construisent, et pourquoi pas , on pourrait appeler ce projet “Vers l’habité”. Mais c’est vrai qu’on préfèrerait pour ce lieu là qui est extrêmement symbolique dans Nantes, où il y une végétation déjà en place, que tous les Nantais puissent en profiter. »
C’est dans cette optique qu’ils proposent deux appellations pour leur projet :
Vers une friche publique, dans l’idée d’amener ce lieu à devenir public,
Une carrière évolutive, où l’on peut tenter avec peu de moyens toutes sortes d’usages dans une vision à long terme.
« On ne sait pas exactement où l’on va , puisque ça va dépendre des rencontres, on n’a pas un projet dessiné, carré.. ». À l’image de la friche, leur posture aussi est évolutive. Malgré les diagnostics et les analyses solides qu’ils ont produits pour l’étude du secteur, rien n’est pour eux gravé dans le marbre en ce qui concerne leur approche.
Tout comme lors des ballades urbaines qu’ils proposent en parallèle et baptisées Explo, ils se laissent avant tout guider par l’inattendu qui peut survenir, optant pour une sorte de dérive volontaire, sans points fixes ni agenda optimisé. Cette démarche adaptative leur permet sans doute d’aborder les changements futurs de la friche sans y voir forcément un terme à leur action.
La friche est un entre-deux, un temps entre 2 projets urbains, qui peut être investi afin de proposer des réflexions alternatives pour la fabrique de la ville.
Quel avenir pour ce lieu ?
Aujourd’hui, une surface importante de la carrière fait donc office d’aire de stockage pour des matériaux de construction destinés aux chantiers du centre-ville (Bouffay, Ilot Neptune..), qui devraient s’achever en 2013.
Le jardin de lignes est en partie recouvert de hauts tas de sable et gravier et l’œuvre des étudiants de l’École de design (La cicatrice, longue plaie creusée dans le sol suturée avec des barres de métal souple) laisse passer camions et bennes. L’inévitable portail a fait son apparition, cadenassé, même s’il est encore très aisé de pénétrer dans la friche en escaladant les barrières.
Bien entendu, ces quelques modifications ne sont pas pour décourager les explorateurs urbains ni les volontés farouches. Au contraire, on peut même considérer que cela rajoute du piment à la visite de la carrière, redevenue un lieu“ interdit”.
Preuve en est l’arrivée d’une nouvelle installation spontanée, un imposant mât jaune fait de tronçons de bois circulaire. Il élève joyeusement sa couleur énergique, comme un clin d’œil plein d’espoir face aux gravas et aux pavés.
On peut tout à fait faire côtoyer des activités dans le même lieu, c'est même plutôt intéressant de voir ce lieu comme un lieu de recyclage, de dépôt, de transformations, un lieu dynamique où il y a quand même du mouvement de matière.
Selon l’association, les modifications ne représentent pas encore une menace bien grande : « Il y a toute espèce d’entrée possible ailleurs, on pourra passer derrière ce n’est pas gênant. On peut tout à fait faire côtoyer des activités dans le même lieu, c’est même plutôt intéressant de voir ce lieu comme un lieu de recyclage, de dépôt, de transformations, un lieu dynamique où il y a quand même du mouvement de matière. [...] Rien ne nous fait peur, ce site là il sera fermé mais il reste toujours ouvert. Il y a toujours moyen de rentrer, la question se pose pas tout à fait comme ça. »
Mais quid de ceux qui l’avaient découvert et apprécié durant le printemps et l’été 2010 ? Le caractère public de la friche semble tout de même compromis de ce point de vue.
Alors que le projet de loi Loppsi 2 vient d’être adopté par le Parlement le 8 février, le devenir de ce type de lieu d’actions alternatives se pose plus que jamais. La loi prévoit l’évacuation des campements illicites en cas de risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique et l’incrimination des squatters (passibles d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende). Les squats pourront être expulsés sous 48 heures sur décision du préfet et sans passer par un juge.
« Effectivement, il y a des questions de fond qui se posent comme : est-ce que c’est un squat ? En vivant ici régulièrement on a vu que ce n’était pas un espace potentiellement dangereux. […] Quand on voit par exemple l’ancienne École d’architecture complètement détruite, lacérée par cette énergie de destruction, qui est une énergie assez incroyable prise comme ça au vif, ça pose la question du gardiennage, quand on squatte, on devient aussi gardien d’un endroit. »
Quel peut être le statut des actions d’investigateurs urbains comme Fertile dans ce contexte sécuritaire particulièrement rigoriste ? La seule solution passera sans doute par un dialogue avec les institutions de Nantes Métropole.
L’actualité en 2011
Pour le moment, Fertile se consacre au bilan de cette année d’expériences, à travers la constitution d’un livret retraçant l’aventure de la carrière et leurs volontés pour le futur. Car l’avenir de cette structure et de ceux qui s’y greffent reste ouvert : leurs propositions alternatives sont déjà une richesse pour l’étude et la connaissance du site, à une échelle plus globale.
Ils contribuent à faire entendre une vision alternative de l’aménagement de l’espace, ainsi leurs idées pourront essaimer dans d’autre sites de l’estuaire, sous des formes nouvelles, motiver les initiatives personnelles et pourquoi pas, guider les décideurs. Leurs perspectives de recyclage, d’éducation à la biodiversité, s’insèrent alors naturellement dans le projet d’une éco-métropole évolutive.
« La friche Meuse-Miséry se doit d’être un lieu de rencontre ouvert aux pratiques artistiques et éducatives, un lieu délocalisé pour des évènements organisés sur la métropole (de quartier, sportifs, musicaux, autour des questions de nature, d’habitat-architecture...) lors de la semaine biodiversité ou de Week-end au jardin par exemple. Nous voyons dans cette expérience urbaine hybride, un projet exemplaire local qui donne forme au concept d’éco-métropole en utilisant les ressources, le potentiel en place. Nous souhaitons rendre visible ce territoire en mutation depuis la route comme de la rive d’en face. »
Entretien et photos : Sidney Léa Le Bour, Juan Cardona, Georgina Belin
Photo de Une : Midas, d’Adrien Guigon.
Texte : Georgina Belin
Pour aller plus loin
Pour revenir sur l’histoire du lieu et les débuts de Fertile, voir la première partie de cette rencontre : La carrière Miséry, une parenthèse insolite dans la ville
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