
Fragil au festival Les Orientales 2009
Les guignols sacrés de Java
Timoun Mas et Dewa Ruci, deux spectacles de Ki Enthus
Sur l’île de Java les dalangs sont des artistes investis de prêtrise. Depuis des siècles leur wayang, le théâtre d’ombres et de marionnettes, narre en conte, en chant, en musique les histoires les plus sacrées ou les plus profanes. Découverte de cet art populaire avec Ki Enthus, le plus innovant des dalangs. Un aperçu en sons et images de ses spectacles. L’intégrale de Fragil aux Orientales 2009
Le sémillant Ki Enthus Susmono est le plus innovant et un des plus fameux dalang : ce directeur de troupe maintient autant la tradition ancestrale qu’il investit la modernité sous la forme de comique populaire. Personnalité publique de la société javanaise, il porte de main de maître les deux variantes du Wayang, il leur adjoint un esprit moderne qui rappelle les Guignols de l’Info.
L’Indonésie d’aujourd’hui compte des milliers de Dalangs, qui manipulent des figures, content, chantent et commentent l’actualité. Ils ont pour fonctions d'amuser, mais aussi de donner à réfléchir
Un peu d’histoire
Le Wayang Kulit est né au 11°siècle : art du théâtre d’ombres, il relève du sacré. Le dalang remplit alors un rôle cérémoniel, puisqu’il est chargé de mettre en relation les divinités et les humains et de transmettre les épopées fondatrices. Au 19°siècle, le Wayang Kulit s’enrichit du Wayang Golek, un art profane orienté vers la marionnette, support de narrations toujours édifiantes et souvent comiques. Parmi un nombre incalculables d’histoires, Ki Enthus a mis en scène des sujets relevant des deux genres : L’Histoire du Dewa Ruci et Le Concombre d’Or. (Ici en live.)
Solennité et grosse farce
L’histoire du Dewa Rici est la déclinaison d’un épisode du Mahâbhârata : la quête de Bhima Pandava. Avec l’aide du divin serpent Naga qu’il délivrera son double spirituel, le Dewa Ruci, il accédera à une intelligence du Monde sans cesse renouvelée. La Légende du Concombre d’Or, elle, repose sur des schémas universels du conte. Ici, un couple de paysans sans enfant se voit offrir l’aide d’un génie ambigü, qu’il leur faudra vaincre pour retrouver la paix.
La véritable surprise de ces deux spectacles réside en leur mélange des genres : les scènes solennelles et édifiantes alternent avec des séquences grotesques ou satiriques, qui franchissent parfois sans vergogne la barrière du vulgaire. Deux histoires en une, en somme. Ki Enthus lui-même intègre la galerie de personnage : la marionnette qui le représente prend part à l’action, quand il ne se fait pas commentateur des intrigues et moraliste de l’actualité.
Si le public français moderne est surpris -voire choqué- de ce mélange, c’est que depuis le classicisme, le genre théâtral hexagonal est catégorisé. Pourtant, avant le 17° siècle, le Théâtre de Foire remplissait des fonctions identiques à celle du Wayang, et présentait des caractéristiques analogues. Cette ambivalence de son art, Ki Enthus la revendique totalement et la rattache au rôle du Dalang dans la société indonésienne.
Rencontre avec Ki Enthus
Découvrez en images et en sons L’Histoire du Dewa Ruci et Le Concombre d’Or, présentés en Juillet 2009 au festival des Orientales.
Fragil : En Indonésie, le Dalang est bien qu’un simple montreur de marionnettes.
Ki Enthus : L’Indonésie d’aujourd’hui compte des milliers de dalangs, qui manipulent des figures, content, chantent et commentent l’actualité. Ils ont quatre fonctions : amuser les gens, mais aussi leur donner à réfléchir ; éclairer la population sur les actions politiques, mais aussi renvoyer au gouvernement une image de l’opinion publique. Ils s’expriment dans les campagnes, dans les entreprises, à la télévision et adaptent leurs narrations en fonction des auditoires.
Fragil : Ki Enthus, vous êtes un Dalang unique en votre genre.
Ki Enthus : Je suis l’héritier d’une famille de dalangs, les Susmono. Enthus est mon prénom ; Ki, mon titre, se réfère à l’identité religieuse initiale des Dalang. Je me différencie pourtant des autres dalangs. D’abord, parce qu’en général ils ne pratiquent qu’un seul type de wayang, contrairement à moi qui maîtrise et mêle le profane, le comique, le sacré, l’édifiant ; d’autre part parce que j’ai introduit une part d’improvisation ; enfin parce que j’ai renouvelé la mise en scène.
Fragil : Vous vous représentez par une de vos marionnettes, qui joue un rôle important dans les séquences comiques ou moralisantes.
Ki Enthus : Dans chaque pièce, les scènes narratives alternent avec des interventions plus comiques, qui font intervenir deux ou trois personnages modernes. Le mien commente, intervient dans l’histoire et finit par donner son opinion ; celle-ci se réfère plus souvent à l’actualité qu’aux histoires mythologiques ou traditionnelles sur lesquelles se basent les pièces.
Avant le 17° siècle, le Théâtre de Foire français remplissait des fonctions identiques à celle du Wayang indonésien
Fragil : Vous avez à disposition un grand nombre d’histoires et de personnages.
Ki Enthus : J’ai plus d’histoires sous la main que vous ne pouvez en imaginer ! En ce qui concerne le wayang kulit, il repose sur des histoires épiques issues des grandes mythologies présentes en Indonésie : l’hindouïsme, l’islam, le christianisme…Le wayang golek, lui, est riche des histoires traditionnelles de cette partie du monde, comme celle du Concombre d’Or. Je m’inspire aussi énormément de l’actualité pour alimenter les scènes de satire et de morale. Cela explique que parmi mes centaines de marionnettes, on compte des figures divines ou magiques, mais aussi Osama Ben Laden ou Georges Bush.
Fragil : Ce spectacle est largement musical. Sur scène, vous chantez et vous êtes accompagné d’une demie-douzaine de musiciens qui se synchronisent avec vous quand vous improvisez.
Ki Enthus : Nous sommes une troupe et nous répétons sans cesse ; ainsi mon compositeur Dedek Wahyudi connaît-il les trames de toutes mes histoires autant que les passages où j’improvise. La musique et les paroles chantées sont totalement écrites de sa main, mais les six musiciens sont capables de comprendre mes expressions pour suivre les improvisations. Quant aux instruments ce sont essentiellement des Gamelans, des xylophones indonésiens, adossés à des percussions et des flûtes. Je chante moi-même presque tous les dialogues, en donnant à chaque personnage la voix qui lui convient.
Découvrez en images et en sons L’Histoire du Dewa Ruci et Le Concombre d’Or, présentés en Juillet 2009 au festival des Orientales.
Le site de Ki Enthus.
Renaud Certin
Photos : Romain Ledroit
Fragil au festival Les Orientales L’équipe de Fragil a suivi l’édition 2009. Retrouvez portfolios sonores, entretiens et articles d’analyse sur ce festival des arts traditionnels.
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