
Festival Loud and Proud au Lieu unique
Austra : intérieur queer
Le festival Loud and Proud, dédié à la culture queer, mettait à l’honneur Austra, mené par Katie Stelmanis. Une voix rare qui se veut aussi emblème d’une certaine culture queer. Portrait.
Katie Stelmanis, on l’a connue face à son laptop et ses moogs, les claviers analogiques dont sortaient les mécaniques ondulatoires d’un premier album discret. Déjà, le prisme d’une voix au-dessus des nuages d’une génération Soundcloud et Bandcamp donnaient à voir une Zola Jesus de jour, dans la lignée de quelques prêtresses pop toutes plus psychédéliques les unes que les autres.
Femme actuelle
À l’époque du premier album, parmi les envolées lyriques de ses compositions, il fallait attendre le dernier effort pour savourer l’étonnante cover de Natural Woman d’Aretha Franklin, une version au piano martelé et aux cordes vocales percussives. La vidéo accompagnant cette production d’estime montrait une forêt de jour - on la croirait sortie d’un fait divers - avec comme protagoniste un jeune Tomboy au Marcel blanc et petit short bleu. L’étonnant androgyne déambule en errances aux allures d’étudiant en L2 d’Arts Plastiques pour progressivement devenir femme - à coup de soutien-gorge verdâtre et robe vieux rose. En arrière-plan, deux femmes, qui oscillent entre grandes sœurs qui travestissent le petit frère et ondines en noir, cheveux perox’.
Déjà, la question du genre transparaît dans ce que l’artiste donne à voir. Un premier succès confidentiel qui lui vaudra par la suite d’embrasser une carrière de groupe, avec Austra et un plus large succès, notamment grâce à une diffusion de ses pop songs plus électroniques et synthétiques, dont le diamant noir Beat and the pulse. Toujours auréolé d’une culture queer et d’une voix envoûtante. Le short bleu est ici laissé au profit de lingerie vintage et de corps dénudés de femmes qui nonchalamment répètent une chorégraphie de danse contemporaine tantôt sexuelle, tantôt rituelle. Pendant ce temps là, Katie Stelmanis, qui aime décidément les caméos, reste immobile au milieu des seins qui se découvrent et des monts de Vénus floutés par la bienséance de Youtube.
Des camionneurs et des hipsters
Cette dualité fait d'Austra un projet aux contours expérimentaux, réellement aventureux dans un pré carré en triangle isocèle.
Ce passage à l’acte, celui du collectif Austra, affirme une direction prise par l’artiste, qu’elle mentionnera pendant l’entretien. Celui de créer cette énergie commune, d’affirmer un ton délibérément poseur et arty. Quitte à passer sur D17. La précédente venue de Katie Stelmanis à Nantes était à Stereolux, et on se rappelle d’un public hétérogène, de camionneurs nancéens et de hipsters aux chinos retournés. C’était un soir de tempête - un titre était tout trouvé, Austra : the wind waker - et certains profitaient d’une escale dans la ville de l’éléphant pour assister au show de la jeune Katie Stelmanis, à l’époque en franges et en imprimés ethniques. D’un succès d’estime, elle devient une certaine icône mainstream à grands coups de formatage pour les chaînes d’entertainment avec sa voix intouchable, et toujours impeccable. Cette dualité dans la manière d’être une icône queer et mainstream fait d’Austra un projet aux contours expérimentaux, réellement aventureux dans un pré carré en triangle isocèle, celui d’une génération qui l’a toujours sur le bras, mais plus sur le tote bag.
L’ire des queers
Cette culture, en arrière-plan, moins normative, est de fait plus complexe à englober dans un tout homogène
3 Juillet 2015, 17h. Dans l’open-space désert du Lieu Unique, le rendez-vous est pris avec Katie Stelmanis. Vedette d’un soir pour ce festival de la culture queer, Loud and Proud, elle arrive sans les parures ethniques ni la grâce habituelle d’une diva pop. L’ambiance est plutôt Nike-chaussettes et grosses lunettes, pour cacher une mine fatiguée d’une longue tournée européenne. Le soleil de plomb - sur des tôles d’acier - ne laisse que peu d’air pour discuter. Pourtant, on divague sur la Rochelle, où la musicienne ira se reposer, et sur ce Premier Ministre canadien voué aux gémonies par Austra. Si l’interview demeure centrée sur la culture queer, c’est aussi car la chanteuse se fend régulièrement d’actions de soutien et de mobilisation qui, il faut le dire, reste encore assez méconnue pour un public français.
Du déplacement de la question du genre à celui de l’identité, Katie Stelmanis relève qu’il n’y a pas d’événements comparables et dédiés à cette culture aux USA. Pour elle, un tel line-up relève de l’exception. Et pour cause, la frontière est fine pour le novice entre la culture LGBT en France et le milieu queer.
Ici, le terme queer désigne avant tout cette « manière de vivre dans des alternatives », et aussi dans l’ombre de la culture gay. Quitte à enfoncer des portes ouvertes, l’artiste s’attache à nuancer le propos sur le mariage homosexuel, tout juste adopté aux USA. Selon elle, il profiterait principalement à une partie de la population déjà aisée, et intégrée socialement. Elle dénonce la discrimination d’une communauté queer qui dépasse genres, couleurs de peau ou milieux sociaux. Cette culture, en arrière-plan, moins normative, est de fait plus complexe à englober dans un tout homogène. Tant mieux diront certains.
Un Olympia sans Olympe
Pour le concert du soir, au bout d’un festival marqué par la doucereuse poésie de Perfume Genius, la musique d’Austra se fait moins subtile qu’à l’époque de Katie Stelmanis. On insiste surtout sur la lourdeur du kick et les envolées des synthétiseurs. Dans un grand atelier rempli à son tiers, il faudra la voix de Katie Stelmanis, cette fois-ci apprêtée, pour enchanter un festival suffisamment freak et queer pour attirer les trans en militaires américaines 50’s et autres parures bariolées ou straight edge.
La voix, grâce, et l’atout sexe
Tant mieux, tant l’ambiance y est particulière et ouverte, avec comme maîtresse de cérémonie une chanteuse entourée notamment de l’impeccable batteuse Maya Postepski, fidèle au poste. La tournée d’Olympia ne tutoiera pas les sommets de la carrière, mais offrira quelques beaux instants de grâce menés par ce chant définitivement à part ; en tête : Forgive me, Home, I don’t care I’m a man. On attendra quand même Beat and the pulse, pour sa version live où la basse électrique donne le change à ce gimmick ronronnant.
Romain Ledroit
Bloc-Notes
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