
Prise de risque à l’opéra Bastille
Le Roi Roger est nu
Création scénique de Karol Szymanowski
L’Opéra national de Paris vient de créer l’évènement en proposant la création scénique en France du Roi Roger, opéra du compositeur polonais Karol Scymanowski (1882-1937) représenté pour la première fois à Varsovie en juin 1926. Cette oeuvre qui rappelle Théorème de Pasolini pose la question du trouble et du désir. La mise en scène de Krzysztof Warlikowski était-elle la mieux adaptée pour découvrir cette partition, par ailleurs d’une rare sensualité ?
L’enregistrement du Roi Roger chez EMI en 1999, dans le prolongement d’une version de concert au Festival de Salzbourg, dirigée par Sir Simon Rattle et avec Thomas Hampson dans le rôle titre, a provoqué énormément d’émotion. Des versions concertantes ont suivi dont une mémorable au Théâtre du Châtelet en 2003, avec le regretté Wojtek Drabowicz qui devait être, quelques mois avant sa mort, en 2006, un poignant Simon Boccanegra pour Angers Nantes Opéra. On attendait avec impatience une création scénique en France.
La faillite des certitudes
L’oeuvre, qui a pour cadre la Sicile du 12ème siècle, rappelle Les Bacchantes d’Euripide où Dionysos vient dynamiter l’ordre établi, en prônant le plaisir et les désordres des sens, au coeur du royaume sclérosé de Penthée. Le roi Roger reprend la thématique contenue dans la tragédie grecque, avec, en creux, le désir homosexuel du compositeur. Le berger tentateur annonce l’ange de Théorème de Pasolini, dont la perturbante beauté sème le désordre dans toute une famille. L’arrivée de l’étranger dans un monde qui semble figé est de ces rencontres qui transforment profondément, de ces passages fulgurants après lesquels rien n’est plus pareil. La partition prolonge une lumineuse méditation sur l’énigme de la beauté et la naissance du trouble par des accords irréels. L’oeuvre débute sur un choeur aux influences du chant grégorien, apaisé et grave, ritualisé comme un oratorio. Le monarque est, durant tout l’opéra, déchiré entre l’ordre rigide qu’il incarne et la tentation de suivre son désir. Sa femme, Roxane, suit le berger dans sa démesure avec des vocalises aériennes en forme d’arabesques. Le roi Roger est aussi l’oeuvre de l’affirmation de soi et tout le troisième acte est consacré aux errances et aux doutes du roi, qui prend fin dans un hymne au soleil, victoire de la lumière et de la beauté, quand on s’autorise enfin à être soi-même.
Une interprétation exceptionnelle dans une mise en scène sans réelle unité
Est-il si difficile de montrer sur scène les affres du désir et de la sensualité, alors qu’ils sont si fortement suggérés par la partition ? Comme l’atteste la référence implicite à Euripide et au théâtre antique, la portée du Roi Roger est universelle et intemporelle. Or, le parti pris de Krzysztof Warlikowski est de situer l’action dans un univers de sitcom, avec piscine, invités blasés en costumes de soirée, et caméra diffusant simultanément à ce qui se passe sur scène, sur grand écran, et particulièrement l’arrivée du berger au premier acte. Ce dernier a tout de l’illuminé, à la fois figure christique et gourou d’une secte des années 70. Le trouble qu’il produit semble être une question de verbe et de rhétorique. Pour le ballet du deuxième acte, des maîtres nageurs aux physiques avantageux s’ébattent dans la piscine avec des personnes âgées ou ventripotentes. Serait-ce une illustration qu’un accomplissement de ses désirs, selon ses idéaux, est possible pour tous ? Cette idée pourrait être belle mais elle n’est pas approfondie dans le troisième acte, où le berger et ses disciples portent des masques de souris qui les tournent en complète dérision. Durant les premiers accords de l’opéra, les images projetées sur l’écran nous montraient un bel éphèbe entièrement nu. La piste de la beauté est très vite détournée, dans un discours dont on a du mal à comprendre l’unité. Le spectacle proposé est surtout très réducteur par rapport à la richesse de l’oeuvre. On n’y trouve ni poésie, ni sensualité, ni mystère. Le metteur en scène poursuivra l’exploration du désir en montant la saison prochaine au théâtre de l’Odéon Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams, une proposition qui a de quoi laisser perplexe. La mise en scène n’a pas rendu pleinement justice à la partition, surtout pour une création scénique.
La mise en scène de Krzysztof Warlikowski n'a pas rendu pleinement justice à la partition de Karol Scymanowski
L’interprétation musicale était en revanche exceptionnelle et on ne peut qu’espérer que cette oeuvre sublime et forte s’inscrive durablement au répertoire et suscite le désir du plus grand nombre de directeurs d’opéras en France de la programmer. Parmi les artisans du succès, il faut citer l’orchestre de l’Opéra national de Paris, dirigé par l’immense Kazushi Ono, qui propose une lecture fiévreuse et pleine de nuances de la partition. Le choeur, dans cette oeuvre aux allures d’un oratorio, a une fonction essentielle qui rappelle celle du choeur antique. Son investissement confère une puissance incroyable à l’action. Il sait aussi soutenir le propos par quelques polyphonies d’une douceur éthérée et irréelle. Mariusz Kwiecien donne beaucoup d’émotion à l’égarement du rôle titre. Il parvient, durant le poignant acte 3, à retrouver les gestes émouvants d’un enfant perdu, presque nu face au public. Cette création française a permis une puissante émotion musicale, en décalage avec la mise en scène, comme si cette dernière n’avait pu se hisser aux sommets qu’elle explore.
Christophe Gervot
Photos : Ruth Walz / Opéra national de Paris
Orchestre et choeur de l’Opéra National de Paris
Direction : Kazushi Ono
Solistes : Mariusz Kwiecien, Olga Pasichnyk, Stefan Margita, Eric Cutler, Wojtek Smilek, Jadwiga Rappe
Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Décors : Malgorzata Szczesniak
Compositeur : Karol Szymanowski
Livret de Jaroslaw Iwaszkiewicz
Production : Bel Air Media (François Duplat )
Bloc-Notes
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