
Don Juan à l’opéra de Rennes
Don Juan renait de ses cendres
Vu le 23 mai à l’opéra de Rennes
L’opéra de Rennes a terminé sa saison de manière éclatante en reprenant le « Don Giovanni  » mis en scène par Achim Freyer qui était prévu en 1996, lors de l’incendie de la Fenice de Venise, et qui a finalement été présenté au festival de Schwetzingen et à l’opéra national du Rhin. Une retransmission sur écran géant le 2 juin a rencontré un grand succès populaire. Par ailleurs, l’opéra de rennes poursuit ses versions de concert, une manière d’aborder l’opéra autrement.
Achim Freyer est peintre, décorateur et metteur en scène et on lui doit quelques grands moments d’opéra à travers le monde parmi lesquels Alceste de Gluck à Vienne puis à l’opéra Bastille en 1994 et une Flûte enchantée qui a été l’un des évènements du Festival de Salzbourg en 1997. Il prépare pour cette année une Tétralogie de Richard Wagner pour l’opéra de Los Angeles. Sa vision de Don Giovanni était en répétition en janvier 1996 lorsque survint l’incendie de La Fenice de Venise. Deux représentations en avaient été données dans l’urgence, sous une tente montée à l’écart de la ville (Palafenice). Le spectacle a été créé au Festival de Schwetzingen et à l’opéra national du Rhin en 1998, régulièrement repris depuis et diffusé ensuite sur Arte.
Sa programmation à l’opéra de Rennes était donc un événement. L’espace scénique de ce Don Juan est très épuré. Les lumières, particulièrement fascinantes, dessinent les contours de l’actio n et les variations des âmes. Ces derniers sont masqués, leurs visages n’expriment rien. Le chant est dès lors l’expression de ce qu’ils ressentent profondément et qui, comme dans la vie, reste indicible, comme si quelque chose s’exprimait malgré eux. Le décalage entre des arias souvent d’une grande violence et l’impassibilité des regards et des sourires est passionnante, comme si la musique était une forme d’inconscient, parfaitement maîtrisé dans le jeu social. La conséquence de cette démarche est le jeu entretenu par les solistes avec certains passages de la partition : Elvire esquisse ainsi un pas de danse sur les premières notes de la sérénade de Don Juan. La fête de la fin du premier acte prend la forme d’une ronde de masques aux mouvements très lents et irréels, de laquelle Zerline s’exclut lorsque le drame éclate. Cette fuite hors du cercle pour figurer le rapt par le séducteur est d’une belle efficacité dramatique.
Une telle gestuelle répétitive, qui évoque parfois l’univers poétique de Robert Wilson, amène une tension impressionnante avec ce qui se dit dans la musique. Le commandeur, lors de sa première apparition pour défendre sa fille Donna Anna, avant son fatal combat avec le séducteur, a déjà l’allure inquiétante de la statue de pierre qui vient punir Don Juan lors du dénouement. Durant son dernier repas, Don Giovanni mange chacun des plats qu’on lui apporte, sur le dos de serviteurs dévoués, à la grâce chorégraphique, preuve que l’on joue de tout. L’ultime ensemble, enfin, qui célèbre le triomphe de l’ordre et de la morale, est réglé de manière passionnante : les victimes du libertin chantent, un bréviaire à la main, comme s’ils égrenaient des cantiques. Durant cette image grotesque, Leporello, équivalent du Sganarelle de Molière, parcourt le catalogue des conquêtes de celui qu’il a servi, l’air songeur. Les choses ne semblent pas si manichéennes. Un masque de bauta vénitienne [1] vole au dessus du plateau, ultime survivance du mythe et du trouble qu’il exerce, comme une invitation aussi à ne pas oublier qu’il s’est passé quelque chose et que la rupture avec l’ordre établi est parfois un mal nécessaire
Cette belle aventure technologique, artistique et humaine est une victoire émouvante sur la genèse d'un spectacle marqué par l'incendie d'un opéra. Tel un phénix, c'est Don Juan qui renait de ses cendres !
La distribution est très homogène. Stephen Gadd donne une silhouette d’une grande légèreté, assez proche de l’univers de Watteau et une voix riche à la figure de Don Juan tandis que David Bizic est totalement investi en Leporello. Il a été un mémorable Figaro dans Les noces de Figaro proposées par Angers Nantes Opéra en 2006 et Masetto dans la vision vénéneuse de Don Giovanni mis en scène par le cinéaste Michael Haneke à l’opéra national de Paris. Jean Loup Pagésy, enfin, inoubliable dans Hydrogen Jukebox à Nantes en janvier dernier, apporte sa voix caverneuse à un commandeur d’outre-tombe. Le spectacle était retransmis sur écran géant le mardi 2 juin, place de l’hôtel de ville ce qui a permis à l’opéra d’aller vers d’autres publiques, rencontrant un grand succès populaire. Il était aussi diffusé dans des lieux de convivialité de la ville, des cafés, des maisons de quartier mais aussi sur la chaine Mezzo, sur TV rennes et sur les ondes de France Bleu Armorique. Cette belle aventure technologique, artistique et humaine est une victoire émouvante sur la genèse d’un spectacle marqué par l’incendie d’un opéra. Tel un phénix, c’est Don Juan qui renaît de ses cendres !
Christophe Gervot
Photo : Laurent Guizard
[1] Bauta : masque de carnaval vénitien que l’on retrouve en particulier dans l’opéra filmé Don Giovanni de J.Losey (1979)
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