Rencontres de Sophie 2008
Dérision et caricatures : Dieu peut-il encore se voir en peinture ?
François Boespflug , Lieu Unique, Nantes, 16 mars 2008
Invité lors des dernières Rencontres de Sophie de Nantes, François Boespflug, professeur à l’université Marc Bloch à Strasbourg, est revenu sur son thème de prédilection : l’évocation de Dieu dans l’art. En Occident, l’image de Dieu a désormais souvent le visage de la caricature. Mais loin de faire rire tout le monde, les représentations religieuses sont sources de questionnements et parfois de vives polémiques.
L’affaire des caricatures de Mahomet (février 2006) a fait grand bruit : le choc des sensibilités religieuses et des pratiques des images. Plus qu’une simple affaire de dessins, l’affaire a révélé un profond malaise culturel et sociétal. Dans l’amphithéâtre du Lieu Unique de Nantes, François Boespflug revient sur cette histoire en faisant un détour par la grande Histoire des images et de la religion.
Représenter le dieu Yahvé ou le prophète Mahomet est toujours une expérience délicate
La longue histoire de la caricature du sacré
François Boespflug, dominicain, s’est fait spécialiste de l’iconographie des figures du christianisme. Son travail de synthèse sur la figuration du divin à travers l’histoire permet de comprendre que la caricature religieuse n’est pas que contemporaine.
Bien avant d’être picturale, la caricature était verbale et limitée par des sanctions féroces. Ce n’est qu’à partir du Haut Moyen-Âge, que les premiers dessins font leurs apparitions. Mais les attaques ne sont dirigées que vers les ministres des diverses confessions religieuses et non contre les figures religieuses en elle-même. Ce n’est qu’à partir de la Révolution Française que les choses changent en France : une gravure représente la chute du régime de Louis XVI par la scène de la crucifixion où le Roi remplace le Christ sur la Croix. Cette œuvre ouvre une brèche importante. Un siècle plus tard, Paris est la capitale de la caricature anti-chrétienne. Un afflux de dessins, de journaux comme La Bible amusante ou encore la Sainte Bible racontée par un Auvergnat voient le jour. Les réalisateurs de ces documents ridiculisaient les grandes figures de la foi chrétienne. Cette dérision, parfois féroce était très à la mode à l’époque, mais sans doute le serait-elle moins aujourd’hui.
Dis moi de quoi tu ris, je te dirai qui tu es
En effet, au cours du 20ème siècle, les caricatures de la Trinité ou de Dieu le Père se font plus rares en tant que telles, alors que le thème de la Croix connaît une hypertrophie. Rentrées dans le patrimoine commun, les figures sacrées sont détournées de leurs interprétations d’origines. Pour coller à l’actualité et faire réagir les lecteurs, les journaux mettent à la Une Dieu et le Christ à toutes les sauces. En France, ces caricatures passent relativement bien, au grand étonnement des Anglo-saxons, qui se demandent comment les français oser les commettre. La réponse est qu’à chaque époque et selon la culture du pays, l’humour ne sera pas le même. La sensibilité évolue avec le temps, et ce qui est possible aujourd’hui ne le sera peut-être plus d’ici quelques années.
Dans la vie de société, la vie d’institutions, il faut un peu d’autocensure consentie (François Boespflug)
François Boespflug explique qu’aujourd’hui il est plus facile en France de caricaturer le christianisme que la religion musulmane ou juive. L’Islam et le judaïsme ont en commun une pratique très restrictive des images, voire inexistante, de Dieu lui-même. Le christianisme, à la différence des deux autres religions monothéistes, est plutôt une religion amie des icônes et des images, en raison de sa foi en un Dieu incarné. C’est pourquoi, représenter Yahvé ou le prophète Mahomet est toujours une expérience délicate.
Droits et devoirs de la liberté d’expression
L’affaire des caricatures de Mahomet "est devenu une leçon politique", comme l’explique le professeur Boespflug. Instrumentalisé politiquement par des religieux danois et des politiques égyptiens, les dessins ont pris une importance considérable. Ressentis comme un manque de respect envers la croyance en dieu, des mouvements de colère ont gagné quelques pays. Le sentiment d’humiliation s’est transformé en blessure narcissique à l’échelle de toute une population.
Que tirer de cette leçon ? Doit-on arrêter toutes les critiques envers l’Islam ? Et le droit à la liberté d’expression, alors ? Et pourquoi serait-il interdit de se moquer de quelque chose qui n’existerait pas ?
Comme le répète François Boespflug, les caricatures sont importantes dans le principe démocratique. Mais néanmoins le droit à la liberté d’expression entraîne aussi des devoirs corrélatifs, que sont le principe de précaution et l’autocensure : "Dans la vie de société, la vie d’institutions, il faut un peu d’autocensure consentie". Du même avis, Plantu, éditorialiste et dessinateur pour le journal Le Monde, écrit : "Le dessinateur de presse qui avait au XXème siècle une image d’anarchiste libertaire pouvait se permettre une certaine dose de violence et d’inconscience politique. Il est de plus en plus amené à prendre des responsabilités de journaliste vis-à-vis d’un public élargi par le web." [1].
La mondialisation des images, via notamment le web, fait qu’aujourd’hui, ces dernières dépassent le cadre national et se confrontent à d’autres cultures et donc à d’autres codes et d’autres tabous. Une phrase de Desproges résume tout à elle seule : "On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui." ; "...mais malheureusement pas avec tout le monde" faut-il ajouter...
Marie Delhaye
Son et icônographie : Renaud Certin
Pour aller plus loin, quelques saines lectures :
François Boespflug a écrit en 2006 : Caricaturer Dieu ? Pouvoirs et dangers des images (Paris, Bayard) et travaille actuellement sur un livre synthèse sur la figuration du divin : Dieu et ses images. Histoire de l’Eternel dans l’art, des origines jusqu’à nos jours ( à paraître en septembre 2008)
Illustrations libres de droits. Merci à Caricatures et caricatures et notamment à Guillaume Doizy, auteur de : Et Dieu créa le rire, Satires et caricatures de la Bible, Editions Alternatives, 2006 et de A bas la calotte !, La caricature et la séparation des Eglises et de l’Etat, Editions Alternatives, 2005.
[1] Extrait du recueil Je ne dois pas dessiner de Plantu (Seuil, 2006)
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