Rencontres de Sophie 2008
Jean-Jacques Wunenburger, la vie des images
Jean-Jacques Wunenburger, le lieu unique, Nantes, 14 mars 2008
Il n’est que 14 heures, ce vendredi 14 mars, et pourtant, le grand atelier du lieu unique, à Nantes, est presque plein. On peut y croiser beaucoup d’étudiants de philosophie, mais aussi des lycéens turbulents et des retraités attentifs, crayon et bloc-notes à la main. Un public nombreux et enthousiaste qui confirme une fois de plus le succès des “Rencontres de Sophie”, université populaire autant que “happening philosophique” mêlant conférences, ateliers et projections de films, organisées tous les ans par l’association Philosophia.
Jean-Jacques Wunenburger est professeur à l’Université de Lyon, et l’auteur d’une Philosophie des images bien connue des agrégatifs de philosophie – le thème de l’image est au programme du concours cette année. Pour cette conférence inaugurale de la huitième édition des “Rencontre de Sophie”, il s’est prêté au jeu de la vulgarisation avec brio, en tirant de ses ouvrages des concepts-clés et en les mettant en perspective avec une problématique actuelle : celle de notre rapport aux images télévisuelles et numériques.
La diversité des images : les deux sphères
Avant d’aborder cette problématique brûlante, un effort de définition et de problématisation est nécessaire – Jean-Jacques Wunenburger rappelle que cette étape est essentielle à toute entreprise philosophique : qu’est-ce qu’une image, ou plutôt, que sont les images ? Le premier constat que l’on fait à leur sujet est décourageant pour la pensée : les images sont infiniment multiples dans leurs manifestations, et il est douteux que l’on puisse tenir un discours unique à leur propos. Un effort de distinction révèle cependant qu’elles s’organisent autour de deux grands pôles : la sphère intérieure, intime du psychisme (imaginations, illusions, rêves), et la sphère extérieure de la matière (œuvres d’arts, schémas techniques, textes).
Les images matérielles, et notamment numériques, qui prolifèrent aujourd’hui d’une manière sans précédent, sont-elles toujours à la hauteur de notre imaginaire ?
Le problème que pose alors Jean-Jacques Wunenburger est celui du rapport entre ces deux sphères, qui symbolise le rapport de l’intimité de l’homme à l’art et à la technique. Ce rapport est-il toujours fructueux ? En particulier, les images matérielles, et notamment numériques, qui prolifèrent aujourd’hui d’une manière sans précédent, sont-elles toujours à la hauteur de notre imaginaire ? Le stimulent-elles, comme certaines manifestations de l’art numérique pourrait le laisser espérer, ou bien l’inhibent-elles, comme l’expérience fréquemment réitérée de notre passivité face aux écrans de télévision et d’ordinateur pourrait le laisser craindre ? La réponse est difficile, et Jean-Jacques Wunenburger l’esquissera en conclusion, après avoir analysé les différentes iconosphères – intérieure et matérielle – et tenté de définir des rapports qu’elles entretiennent entre elles.
Notre iconosphère intérieure : une “boîte à images”
Chacun d’entre nous dispose d’une “iconosphère intérieure” ou, pour le dire d’une manière plus parlante, d’une “cabane à images” alimentée par la mémoire – notre capacité à nous remémorer des images vues – aussi bien que par l’imagination – notre capacité à composer de nouvelles images. Ce “fonds intime”, explique Jean-Jacques Wunenburger, se situe quelque part entre “présence des choses” et “pensée abstraite”, quelque part entre présentation et “représentation”. Intimement lié à l’enfance, il est le témoin de notre accès à la pensée symbolique, au développement de notre capacité à nous re-présenter quelque chose en son absence.
Si intime soit notre “cabane à images”, nous n’y sommes pas pour autant enfermés : les images qui la constituent interagissent entre elles et avec le monde qui nous entoure. Elles témoignent ainsi d’une interaction de notre intimité avec le monde psycho-social : étant toujours médiatisées par la culture – l’art, la religion –, elles constituent un monde commun de partage et de transmission.
Jean-Jacques Wunenburger montre ainsi qu’une approche psychologique ne suffit pas pour appréhender le phénomène de l’image. Bien plus intéressante qu’une approche purement psychologique est une approche psychosociologique, qui détermine en quoi un dysfonctionnement de l’imaginaire personnel peut engendrer un dysfonctionnement de l’imaginaire social, et réciproquement : un appauvrissement de l’un engendre-t-il un appauvrissement de l’autre ? Inversement, une saturation de l’un engendre-t-il une saturation de l’autre ? Perdent-ils alors leur cohérence et leur fécondité ?
L’iconosphère extérieure : “démocratisation” et “privatisation” des images
Cette question est aujourd’hui cruciale, car nous assistons selon Jean-Jacques Wunenburger à une évolution sans précédent de l’iconosphère matérielle depuis la maîtrise de l’électricité, qui a permis l’entrée dans l’ère télévisuelle et maintenant numérique. Nous sommes les acteurs de la “démocratisation de l’image” en même temps que de sa “privatisation” : chacun a à portée de clic des images du monde entier, et en retour, chacun peut produire et diffuser ses propres images à l’échelle mondiale. La conséquence ? Elle est pour Jean-Jacques Wunenburger plus négative que positive. “L’image devient anomique, sauvage, libérée de toute référence à un monde commun.” Elle perd sa fonction sociale et devient solipsiste.
L'image devient anomique, sauvage, libérée de toute référence à un monde commun.
Parallèlement, elle devient un produit industrialisé, à valeur marchande. Adorno et Benjamin dénonçaient une industrialisation de l’art au milieu du siècle dernier, avec l’avènement des moyens de reproduction qu’étaient la radio et la photographie. Selon les deux penseurs, l’œuvre à l’ère industrielle perdait son aura, sa signification rituelle et sociale, une instrumentalisation marchande, une uniformisation et une médiocrité la menaçait. Jean-Jacques Wunenburger étend la critique de ses prédécesseurs : avec cet appauvrissement qualitatif des images de la sphère matérielle, n’est-ce pas l’univers onirique lui-même qui est menacé ?
L’image “pharmacôn”
Pour Jean-Jacques Wunenburger, les images de la sphère matérielle sont ainsi un “pharmacôn”, un “remède” tout autant qu’un “poison”. Elles enrichissent certes notre patrimoine sensoriel et idéatif, mais leur prolifération risque d’appauvrir notre pensée. Le philosophe nous propose ainsi deux images, celle du moine méditant sur une icône et celle du téléspectateur passif devant son poste, et nous invite à nous interroger sur les méfaits d’une démultiplication infinie des images. Ne menace-t-elle pas le statut et la fonction premières de l’image ? Ne menace-t-elle pas la vie des images elles-mêmes ?
Sophie Pécaud
Photos : Valérie Pinard
À lire pour aller plus loin :
Theodor Adorno, Le Caractère fétiche dans la musique et la régression de l’écoute, Allia, Paris, 2003.
Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, Paris, 2006.
Jean-Jacques Wunenburger, Philosophie des images, Presses Universitaires de France, Paris, 1997.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses