CARNET DE FESTIVAL
Electro, huîtres et Trans : carnet de festival des Trans Musicales de Rennes
Fragil était présent aux 36è Rencontres Transmusicales de Rennes, du 4 au 7 décembre derniers. Retour sur ce qui y a attiré notre attention.
Le premier contact avec les Transmusicales, c’est sa navette. Les gens sont postés devant les barrières, terminant leurs bouteilles avant de grimper. On se fraye un passage dans la foule. Les navettes sont régulières. Il est 22 h 30 ce vendredi 5 décembre, l’ambiance est chaleureuse, Rennes est festive.
Cosmo Sheldrake
Le jeune artiste londonien nous a convaincus et on l'écouterait en boucle
Le parc expo, c’est grand. La première étape en arrivant c’est de se repérer parmi les cinq Halls. On se dirige vers le chouchou de notre sélection pré-Trans, Cosmo Sheldrake. On avait eu l’occasion d’écouter sa musique au préalable, notamment les petites pépites que sont The Moss, Solar et Rich. On s’imaginait un artiste entouré d’instruments et c’est face à un jeune homme, des pads et un ordinateur qu’on se retrouve. On n’est cependant pas déçus par ce que ce combo nous offre. Cosmo Sheldrake utilise réellement sa voix comme un instrument. Elle est parfois douce et nasillarde, et d’autres fois grave et profonde. Il oscille entre différentes octaves avec une facilité déconcertante, à l’instar de son mentor, le grand Bobby McFerrin. Il chante, fait du beat box, improvise, joue avec les rythmes et superpose les sons pour nous emmener en voyage. Musique électronique, répétitive, mais réellement travaillée. On découvre de nouveaux sons, Cosmo Sheldrake nous fait partager son univers. Sa musique vacille entre l’aquatique, le terrestre et l’aérien. Percutant. Ses textes parfois disparaissent pour laisser place à un style qui s’apparente au bebop. L’artiste, un peu timide, est seul sur scène et pourtant sa musique parvient à occuper l’espace. Le public est réceptif. Le jeune artiste londonien nous a convaincus et on l’écouterait en boucle.
Rone
Rone n'hésite pas à parfois ralentir le rythme, déconcertant les pieds des danseurs
Après la douceur des boucles (autant musicales que capillaires) de Cosmo Sheldrake, on se prépare au choc auditif avec Rone au Hall 9. In extremis : les portes se referment derrière nous. La salle est pleine, et c’est la plus grande du parc expo. On attendait de pied ferme le producteur, signé chez Infiné (label d’Agoria) depuis 2007. Il faut dire qu’il nous conviait à découvrir, dans un nouveau live, des sons de son troisième album Creatures à paraître en février prochain. Tranquillement installés dans les gradins, on apprécie la déflagration sonore. Comme au cinéma, on en prend aussi plein la vue. Les jeux de lumière nous frappent de partout, la foule est balayée de rayons verts et rouges, un écran diffuse (trop rarement) des séquences animées de bestioles en tout genre. Juché sur une construction en pyramide, Rone enchaîne les titres de Creatures, entrecoupés de ses classiques : Bye Bye Macadam, Bachi-Bouzouk, Parade, à chaque fois accueillis avec joie par le public. Pour ouvrir le bal, Freaks, une track assez sombre, remplie de cris de... créatures. Les ambiances alternent ensuite entre morceaux aériens, carrément en orbite parfois, et d’autres beaucoup plus sombres, dont les basses se font puissantes et lourdes. Rone n’hésite pas à parfois ralentir le rythme, déconcertant les pieds des danseurs. Il s’autorise même quelques silences, très vite remplis par la foule le rappelant à l’ordre. Il faut dire que le set tient plus du spectacle que du classique dancefloor techno (on aura même droit à un lâcher de ballons en bouquet final ! ). Avec Rone, il fallait s’y attendre.
Une pause pour capter l’ambiance du Hall 5, où se trouvent les espaces de repos, la restauration, les bars ... Chose étonnante et tout de même rare dans un festival, il est possible de manger des sushis ou des huîtres de Cancale. Régional, donc. C’est également dans le hall 5 que se trouve ce fameux écran géant, dans lequel on peut se regarder danser (narcissisme quand tu nous tiens ! ). Le principe : on se déhanche sur la piste de danse, on accède à une page web sur son smartphone sur laquelle on dirige des icônes qu’on peut voir à l’écran et entendre tout autour de nous. Drôle d’expérience. C’est ici que tout le monde se retrouvera plus tard, à la fin des concerts, avant de devoir quitter le site. Il faut avouer que c’est captivant. Il y a beaucoup de monde, mais aussi beaucoup de place. On ne se bouscule pas comme c’est souvent le cas en festival. Et ça, c’est quelque chose qu’on apprécie vraiment aux Trans.
Rechargés, nous nous séparons pour aller voir d’un côté Ten Walls, de l’autre Compact Disk Dummies.
Compact Disk Dummies (CDD)
Touche vintage du groupe : le magnétophone blanc, rouge et jaune Fisher-Price
On est happé par l’énergie que dégagent les deux jeunes frères belges. Le chanteur/claviériste/guitariste semble, comme son synthétiseur, monté sur ressorts. Il saute et danse dans tous les sens. Il descend jouer de la guitare dans le public. Le synthétiseur (à ressorts) est très présent dans la musique de CDD. Le deuxième frère, plus discret, est derrière des platines. Il nous balance des sons qui ont parfois l’effet d’une balle de tennis qui rebondit au ralenti. Ils qualifient leur musique d’électro-punk. Touche vintage du groupe : le magnétophone blanc, rouge et jaune Fisher-Price (qui enregistre le live !) sur la table de mixage, et la croix de scotch vert sur l’ordinateur du DJ. Un de mes coups de cœur du festival. Le temps défile et le concert se termine trop vite. Il ne faut pourtant pas manquer Ten Walls !
Ten Walls
La techno de Ten Walls est puissante, elle parle aux tripes et hérisse les poils
Nous sommes venus aux Trans avec seulement deux chansons de Ten Walls en tête, la désormais classique Walking With Elephants, et Requiem. On avait donc laissé au hasard le soin de nous surprendre. Et bien, figurez-vous que nous n’avons pas été déçus. La techno de Ten Walls est puissante, elle parle aux tripes et hérisse les poils. Il faut s’imaginer la foule du Hall 9 soufflée par les basses composant la mélodie centrale de Requiem, une ritournelle qu’on dirait faite d’un assemblage de cornes de brume. Si puissant qu’il soit, le son de Ten Walls sait aussi se faire aérien, avec des lignes mélodiques cristallines. Une chose est sûre, quelle que soit la recette de l’orfèvre des machines, le résultat est le même sur les pieds des festivaliers semblant participer à une transe commune au beau milieu de la nuit.
Thylacine
Secoués par le son de Ten Walls, on court respirer un peu sous la bruine de Rennes, avant de rejoindre Thylacine. L’Angevin a l’honneur de clôturer la soirée du vendredi dans le Hall 8, drainant ainsi les plus couche-tard des festivaliers. Bon, soyons honnêtes, Thylacine était dans le top de notre sélection pré-Trans. On a pu le rencontrer l’après-midi au village des Trans et discuter de sa façon de composer et de vivre ses lives. Et en effet, le garçon ne nous a pas menti, ses sets paraissent assez libres. Derrière ses machines et ses pads, il peut lancer une série de sons, les réagencer de manière différente, sans forcément suivre toujours la même trame. « Il y a une base que je connais, sur laquelle je m’entraîne, je sais ce que je peux faire. Et vu que c’est moi qui déclenche chaque son, et bien ça dépend de la soirée, des fois je vais complètement partir. Ça m’est arrivé de créer carrément un nouveau morceau. Et puis je ressors toujours mon saxo, c’est agréable pour moi d’avoir ce côté physique. »
Ce goût pour l'impro, Thylacine le tire de ses années de conservatoire, mais surtout de ses recherches aux Beaux-Arts
Ce goût pour l’impro, Thylacine le tire de ses années de conservatoire, mais surtout de ses recherches aux Beaux-Arts. Il s’est ainsi penché sur les rapports tissés entre l’écriture de la musique expérimentale et sa représentation graphique. On retrouve ce côté visuel dans tout son univers, que ce soit sur ses pochettes ou ici sur scène. Car Thylacine c’est en quelque sorte un duo : sa musique est retranscrite en vidéo par sa comparse Lætitia Bely à chaque concert. Encore une fois, c’est l’impro qui prime, le côté show millimétré des Djs électro ne les intéressent pas : « Si je fais ça je me fais chier, mais c’est aussi beaucoup plus casse-gueule, si je suis pas bien ça se ressent, c’est dangereux. Pour l’instant j’arrive à maintenir ça, ce n’est pas évident quand t’enchaînes, mais bon, je trouve ça important. » Visuellement, c’est captivant. Des lignes, des points organisés de façon symétrique et géométrique s’animent derrière Thylacine. La musique aussi est très visuelle, elle monte doucement en intensité pour exploser en plein vol, puis se radoucir. C’est une musique qui ne s’écoute pas seulement, elle se ressent.
On l’aura compris, Thylacine est à l’aise sur la scène comme en studio. Et si on en croit son set ici au Hall 8, le public le lui rend bien. On sent la foule transportée, que ce soit sur des passages dansants ou d’autres plus contemplatifs. Le public des Trans, il le découvre. Le festival aussi d’ailleurs, et on le sent déjà conquis : « La prog est de qualité, les Trans ont le mérite d’aller chercher ailleurs des choses qu’on ne connaît pas. » Il était d’ailleurs déçu de ne pouvoir suivre le concert de Ten Walls, qui jouait en même temps que lui : « C’est ce qui se fait de très intéressant en techno, quelque chose de très riche. »
Même si sa culture électro reste toute fraîche, il nous cite quelques noms qui l’inspirent en ce moment : « Moderat, Four Tet, Massive Attack, John Talabot, Son Lux, Jon Hopkins », sans jamais oublier ses références dans la musique répétitive : « Steve Reich, Philip Glass, Terry Riley ».
Et quand on lui demande s’il est prêt à se voir propulsé après son passage, Thylacine reste humble : « Si je décolle j’essaye de garder le coté impro, mon but c’est quand même de montrer ma musique à un maximum de personnes. »
Thylacine, l’intuitif, refait l’électro à sa sauce. Et la sauce a bel et bien pris, ce 5 décembre, aux Transmusicales de Rennes.
Samedi 6 décembre, le manque de sommeil nous a fait louper des artistes pourtant chaudement recommandés : Vaudou Game, Lizzo, Den Sorte Skole... Ce sera d’autant plus frustrant qu’on en entendra parler toute la soirée. Nous retrouvons donc le parc expo comme nous l’avions laissé la veille, ou presque.
Jambinai
On aura un aperçu de Jambinai, qui termine son set quand nous arrivons. L’atmosphère est apaisée, une des musiciennes joue sur un geomungo, instrument traditionnel coréen. Apparemment nous arrivons après la tempête, le groupe distillant habituellement un mélange de musique traditionnelle, de heavy metal et de post rock souvent assez énervé.
Islam Chipsy
Le pianiste en question s'agite d'une façon tellement anarchique sur son synthé qu'on se demandera pendant tout le set comment il peut produire une suite de notes cohérente
On se rend au Hall 9, où on patientera avec l’électro teintée de sonorités sud-américaines de Barnt & Aguayo, jusqu’à l’arrivée d’Islam Chipsy. Leur nom a été une rumeur, un bruit de couloir, jusqu’au moment de leur live. On en entendait parler partout, il ne fallait pas les manquer, mais nous n’avions aucune idée de ce que nous allions entendre. Islam Chipsy, c’est de l’électro, en version acoustique, fabriquée avec des rythmes de la musique traditionnelle arabe. C’est un pianiste bête de scène, véritable virtuose du synthétiseur. Et ce sont deux batteries, dont une électronique, qui se livrent un duel. Le pianiste en question s’agite d’une façon tellement anarchique sur son synthé qu’on se demandera pendant tout le set comment il peut produire une suite de notes cohérente. L’autre question qui nous vient est comment arrive-t-on à retrouver des harmonies dans ce véritable foutoir 8-bit ? Et bien nous n’avons pas trouvé de réponses à ces questions, nous nous sommes tout bêtement retrouvés portés par la transe. Les ritournelles criardes et parfois haute perchée du clavier, portées par les rythmes soutenus des deux batteries, nous font entendre une hallucinante techno organique, qui font se soulever les pieds en donnant envie de sauter partout.
Too Many Zooz
Il suffisait de demander à n'importe quel festivalier, il avait forcément entendu parler des Too Many
On s’éclate tellement devant Islam Chipsy qu’il devient difficile de quitter le Hall 9, alors que les Too Many Zooz ont pendant ce temps déjà chauffé à blanc le Hall 8. S’il est un groupe dont vous aurez entendu parler tous les jours pendant le festival, c’est bien eux. Depuis leur arrivée sur Rennes le mercredi, les Too Many Zooz ont mis dans leur poche la quasi-totalité de la population rennaise. Ils ont joué dans le métro, dans la rue, dans le Liberté, devant les salles de concert... Il suffisait de demander à n’importe quel festivalier, il avait forcément entendu parler des Too Many. Autant vous dire que l’ambiance était torride dans le Hall 8 à 2h du matin. Le groupe de trois membres déploie une telle puissance de feu qu’il faut réellement les avoir en face pour se rendre compte qu’on n’a pas à faire à un brass band de douze instruments. Matt Doe (trompette), Leo P (sax baryton) et Dave “King of Sludge” Parks (percussions) arrivent à nous donner l’impression d’assister à un concert d’électro, tant ils ont mixé les influences : soul, funk, ska, hip-hop, tout y passe.
Ce n’est qu’un au revoir
Les Too Many Zooz ont laissé la scène au Zooo, groupe de rappeurs rennais dont on attendait de voir ce qu’ils allaient donner. Déception, il n’y a rien en dessous du vernis : des paroles vides, un humour pauvre... Une sensation bizarre après les Too Many, la salle se vide. On reviendra au Hall 8 fêter la fin du festival autour d’Awesome Tapes From Africa, désigné DJ officiel du bal des bénévoles sur la scène. Le public acclame l’organisation, dont le directeur des Trans, Jean-Louis Brossard, qui aura le droit a une ovation spéciale.
Épuisés, mais heureux, on se dit qu’à 7h du matin, il est vraiment temps de rentrer. On se fait d’ailleurs gentiment pousser par la sécurité, les derniers festivaliers encore vivants se sont accumulés autour du bar à eau du Hall 5, à la recherche d’un soupçon de musique supplémentaire. En attendant, relire le Storify en live du festival.
Un récit d’Alice Grégoire et Maxime Hardy
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