Médias
Des Jours nouveaux
Contrairement à 2014, les Géopolitiques de Nantes cuvée 2015 n’avaient pas prévu de débat autour du devenir des médias. Le thème du renouveau journalistique s’est tout de même invité, d’une autre manière, avec la présentation d’un nouveau pure player : Lesjours.fr.
Espace bar du Lieu Unique, Nantes, samedi 3 octobre 2015. Une vingtaine de personnes écoutent quatre journalistes leur parler de leur média rêvé, un média qu’ils sont en train de fabriquer de leurs petites mains. L’équipe présente est réduite : au complet, elle est actuellement composée de dix personnes. En mars 2015 ils mettaient en ligne la page d’accueil du futur pure player (se dit d’un média "tout en ligne"). En juin ils lançaient une opération de financement participatif, récoltant ainsi plus de 80 000€ (sur un objectif de 50 000€). Ils recensent désormais 12 000 inscrits à leur newsletter et 1394 pré-abonnés. Les Jours apparaît d’ores et déjà comme le prochain événement dans le petit monde du journalisme français, comme l’ont été à leur époque Mediapart et Rue89.
À ciel ouvert
Un truc tout bête : des journalistes, un média, des lecteurs...
Les membres fondateurs sont issus du même journal et ne s’en cachent pas. On parle ici de Libération, dont l’actualité récente est quelque peu houleuse. Si les raisons qui ont poussé les futurs « jouristes » (ainsi que se définissent les membres des Jours) à tourner la page Libé sont diverses, une même motivation les anime aujourd’hui : réaliser un média en toute indépendance. Ils dénoncent au passage la concentration des grands médias, dirigés par des personnes dont les objectifs et les intérêts restent obscurs. Libération n’est pas en reste à ce niveau-là, et le rachat du journal par Patrick Drahi en juin 2014 est clairement une des raisons ayant motivé l’envie d’ailleurs.
Construire un média exclusivement sur le web devient alors une évidence. L’indépendance est leur leitmotiv, et se décline sur le plan financier, éditorial, idéologique. Pour ce faire, Les Jours se construit avec une communauté de lecteurs participant à la création du média : « un truc tout bête : des journalistes, un média, des lecteurs ». Un financement participatif pour lancer le site, un abonnement mensuel pour le faire vivre, un site évolutif grâce aux retours des premiers abonnés à la version bêta. Les Jours se passera d’intermédiaires et compte tout faire maison de façon transparente.
Le deal
La volonté affichée dans la construction de chaque sujet est d’impliquer de la même manière tous les acteurs : les photographes ne seront pas appelés en cours de rédaction mais sollicités dès le début de l’écriture, les pigistes éventuellement convoqués le seront sur le long terme, les différentes personnes ayant joué un rôle, de l’écriture à la relecture de l’article seront citées, afin de rendre compte du coût de l’info dans sa globalité. Bien qu’étant destiné au web, territoire du gratuit, Les Jours seront payants : 9€/mois (on note aussi des tarifs réduits pour les demandeurs d’emploi, les étudiants et « les radins » !). Un prix qui implique le lecteur et gage de la qualité de l’info : un contrat, en quelque sorte. « On est dans un moment où le payant est là », juge Raphaël Garrigos (moitié du duo « Les Garriberts », l’autre moitié étant Isabelle Roberts). Le public semble accepter la fin du modèle illusoire du tout-gratuit pour ce qui est de l’information fouillée, comme on peut le voir actuellement avec le nombre d’abonnés à Mediapart (plus de 112 000 début 2015). Ce qui est plutôt bon signe pour l’avenir des Jours, qu’ils espèrent radieux : l’équipe compte rentrer dans ses frais sous trois ans.
Malgré les apparences de cousu-main, le coût de la construction d’un tel média est tout de même élevé. Les Jours ne se passeront pas des fonds d’investisseurs privés, mais là encore, ils promettent de les assumer, de mettre toutes les participations financières en pleine lumière. De plus, la majorité au capital des Jours restera aux Jours. Sur ce coup-là on espère bien un sans-faute, c’est toute la crédibilité d’un modèle qu’ils défendent qui est en jeu. Ils tentent de nous rassurer sur ce point en nous promettant l’édition d’une charte d’indépendance et de bonne conduite.
L'engagement, c'est celui du journalisme.
Vent nouveau
Et concrètement, à quoi vont ressembler ces Jours-là ? Pas à un site d’info classique, c’est promis. D’accord, mais à quoi devons-nous nous attendre ? Et bien, à une nouvelle forme de pure player. Les Jours comptent bien nous faire entrer dans l’ère du « pure player 2.0 ». Une nouvelle génération, censée dépasser les datés Mediapart et Rue89, tout en restant dans leurs pas. Surtout dans ceux de Mediapart, si on en croit les Garriberts, qu’on sent bien être à la barre dans ce projet. Mais en se débarrassant du côté tout-politique : « Mediapart, c’est presque un parti politique ». Ils assument la couleur rouge de leur logo, la même que celle de Libération dont ils conservent l’idéologie de gauche. Mais selon eux les penchants politiques ne devront pas intervenir dans le processus d’information sauce Les Jours, « l’engagement, c’est celui du journalisme ». On nous promet un site d’information foncièrement beau, dans lequel l’image tient une place importante. On a déjà dit la politique pensée envers les photographes et la valorisation de leur travail. Ceux-ci devraient être des acteurs essentiels. Afin de ne pas passer par les agences de presse, l’équipe se base sur un réseau de chasseurs d’images à travers le monde, qui pourront aussi jouer le rôle de correspondants étrangers et raconter leurs aventures.
Obsédés
Le temps de l’information que choisit Les Jours est le temps long. Une chose est sûre, on n’y consultera pas les « breaking news ». Les jouristes veulent écrire sur des sujets qui leur tiennent à cœur, qu’ils « agrippent et ne lâchent plus même quand les autres médias s’en désintéressent ». C’est ce qu’ils qualifient d’ « obsessions ». C’est là que réside leur réel pari : raconter, sur un temps long, un sujet journalistique, le creuser en permanence avec pour but de dénicher des infos exclusives. L’actualité n’en est pas complètement exclue, car elle pourra toujours venir nourrir le sujet au fil de l’enquête. On nous promet de l’intrigue, du suspense, et les mots ne sont pas choisis au hasard : certaines de ces « obsessions » seront écrites telle une série, avec des saisons et des épisodes, des personnages et des rebondissements. Le but avoué est de rendre accro le lecteur. Tout comme les séries télévisées. Bien joué.
Plein écran
Le pure player 2.0 c’est aussi l’idée de se saisir des possibilités du web pour inventer de nouvelles formes d’écriture. On se débarrasse des onglets « vidéos, sons, photos » pour occuper pleinement l’écran. C’est ce qu’on appelle le scrollitelling, à savoir une histoire qui se déroule sous nos yeux en faisant défiler le curseur vers le bas. L’idée n’est pas neuve, on peut citer ici de superbes exemples : Ijsberg, Le Quatre heures, les grands-formats du Monde.fr ou le reportage Snowfall du New York Times.
L’équipe des Jours évoque une envie de formes innovantes (et avoue s’inspirer aussi des sites de streaming musical), d’un site jamais figé, de rechercher sans cesse de nouvelles façons de raconter. Au passage, ils écorneront le travail d’Ijsberg et du Quatre Heures, des médias issus selon eux de non-professionnels du journalisme, contrairement à eux, vieux routards de Libé. Dans l’assemblée du bar du LU, on sent quelques frémissements. Certains sont des lecteurs convaincus de ces médias, les voir ainsi qualifiés laisse un sentiment étrange. Visiblement Les Jours ne se sentent pas en concurrence sur ce terrain. Soit.
Côté Com’
En une heure de présentation, les jouristes présents (Sophian Fanen, Sébastien Calvet, les Garriberts) ont tout de même eu le temps de nous mettre l’eau à la bouche. C’est indéniable, ils savent qu’ils tiennent là quelque chose de fort. Ils savent aussi qu’ils seront attendus au tournant. Le fait d’être des plumes de Libé, bien identifiées, accentuera cette attente. En tout cas pour l’instant, Les Jours amassent tranquillement leurs futurs fidèles que ce soit sur la route, lors d’une tournée des villes françaises comme ici à Nantes, ou sur la Toile. Le tout en cultivant une part de mystère, en jouant savamment de l’art du teasing : newsletter, teasers vidéo avec André Manoukian, annonce des premiers sujets (les migrants, Bolloré, le trafic d’armes…), avec avouons-le un ton toujours décapant. Une fois lancé, Les Jours continuera de faire saliver les non-abonnés avec une vitrine gratuite, « le 365 », annoncé comme un making-of en temps réel de la vie des Jours, renvoyant vers des articles maison ou de chez les voisins. En vitesse de croisière l’équipe se voit composée de vingt CDI, cinq pigistes, cinq fonctions support (administratif, web mastering, graphisme, etc.). Pour l’instant l’équipe débute avec ses propres forces déjà réunies jusqu’ici et planche à la fois sur le site et à la fois sur les premières enquêtes.
Si on a bien tout saisi du fond de leurs pensées, Les Jours, c’est une tentative pour faire revenir en force un journalisme proche de ses lecteurs, sincère et inspiré, pétri de bonnes pratiques. Nous, on espère que de toutes ces bonnes volontés, aucune ne sera perdue en route. Rendez-vous fin 2015, début 2016 pour en avoir le cœur net.
Maxime Hardy
Photo bannière : Frédéric Stucin pour Les Jours
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