CARNET DE FESTIVAL
Be kind, rewind : les six coups de cœur de Fragil au festival SOY
Cette année, le froid et la pluie battante auront attendu la clôture du festival qui rythme notre passage d’octobre à novembre depuis 12 ans pour s’abattre sur Nantes. Les rayons de soleil ont réchauffé nos corps une dernière fois tandis que les artistes venus de tous horizons musicaux régalaient nos oreilles d’innovations sonores et de clins d’œil aux nineties à l’occasion d’un circuit unique à travers la métropole.
Les années Ought
Ought entend peut-être tromper l’auditoire en débutant son set par quelques notes de guitare éparses
Rendez-vous pour la première soirée du Soy dans la salle micro de Stereolux. Après les sets de His Electro Blue Voice et de Carla Bozulich, c’est au tour d’une des sensations de l’année de rentrer en scène. Ought entend peut-être tromper l’auditoire en débutant son set par quelques notes de guitare éparses. Tout ceci avant d’embrayer sur un rock dont l’urgence n’est pas sans rappeler les premiers pas des Strokes au début des années 2000. C’est d’ailleurs à ces années sans nom, les années « 00 » que le nom de Ought fait référence, bien que la musique des quatre Montréalais d’adoption (le chanteur et guitariste Tim Beeler, le batteur Tim Keen et le claviériste Matt May sont Américains, tandis que le bassiste Ben Stidworthy est originaire d’Australie) lorgne également bien souvent les parrains des nineties. Les deux tubes de leur album More than any other day s’enchaînent énergiquement en ouverture (Today more than any other day et The weather song), dans une ambiance crasse et nerveuse qui convie l’électricité de Joy Division. La dégaine dégingandée de Tim Beeler qui bat régulièrement des jambes dans une course au ralenti devant son micro rappelle un Ian Curtis qu’on aurait croisé avec Steven Malkmus (de Pavement) pour le chant parlé et la nonchalance. Les morceaux de leur premier album publié par le label canadien Constellation en avril 2014 se succèdent pendant une bonne demi-heure, laissant espérer que les quatre garçons de Ought s’éloignent à l’avenir d’une performance un peu sage pour embarquer réellement le public dans leur univers.
Son Lux, entre ombre et lumière
Son Lux : look de hipster à lunettes, l’artiste accompli et torturé, l’ombre et la lumière
C’est vers minuit que Son Lux, la tête d’affiche de la soirée, monte sur scène. Alternate world ouvre le concert comme il ouvre le troisième et dernier opus, Lanterns : avec solennité. Son Lux nous promet dès lors un voyage mémorable au pays de son électro-pop bidouilleuse mâtinée de hip-hop, proche de l’œuvre du démiurge et occasionnel collaborateur Sufjan Stevens. Le public s’électrise dès les premières pauses entre ces décharges sonores accompagnées d’éclairs lumineux enveloppants. Nous avons droit aux moments forts de l’album, calmes et éclatants, tous obsédants – Easy, Ransom, Plan the escape -, mais ce qui fait la force du groupe dans sa version live, un trio composé de Ryan Lott aux machines, Rafiq Bhatia à la guitare et Ian Chang à la batterie, c’est sa capacité à faire vivre les morceaux grâce à l’expérimentation présente à chaque tournant. Le batteur marque le rythme à l’origine des compositions de Lott grâce à un jeu exceptionnel de virtuosité et de précision qui joue entre les frémissements des cymbales et trois baguettes ( !), tandis que le guitariste aux multiples pédales d’effets part dans des improvisations qui pourraient parfois rappeler Pink Floyd. Ryan Lott contrôle ses chansons via un ordinateur et des claviers penchés vers le public comme une porte d’entrée ouverte sur sa musique, et derrière lesquels il tend parfois à disparaître, ne laissant visibles que ses doigts sur le synthé. Le vibrato dans la voix sans âge de Ryan Lott attise la tension, palpable également à travers sa gestuelle dramatique. Mais cette expressivité qui pourrait paraître surfaite chez un autre – les mains qui se crochent, le cou qui se tend, les sauts extatiques et les yeux qui se ferment – est terriblement émouvante. Après une heure de concert et notamment le morceau de bravoure Lost it to trying, il est temps pour Son Lux de rendre hommage à ses deux compères, de nous applaudir encore, mais également de remercier chaleureusement le festival Soy qui le met à l’honneur dans sa programmation pour la deuxième fois après l’édition 2008. Ryan Lott revient en rappel seul au clavier, pour interpréter dans un lyrisme nu et sans sa montée en puissance le titre Lanterns Lit, qui aura malheureusement à souffrir du brouhaha ambiant à cette heure tardive. Et quand les lumières se rallument, le trio offre volontiers signatures et chaleureuses poignées de main au stand de merch. Son Lux : look de hipster à lunettes, l’artiste accompli et torturé, l’ombre et la lumière.
Samedi entre le rock crasseux de Lushes...
Il n’y a pas que la voix pleine de réverb de James Ardery qui rappelle le Kurt Cobain d’Incesticide, mais aussi le cheveu long et filasse
Si les années 2010 n’échappent pas au revival nineties, la programmation du Soy non plus. Lushes, qui monte en premier sur la scène en ce samedi soir, est un duo rock à tendance stoner qui nous transporte assez rapidement dans une cave de Seattle à l’époque des grandes heures du grunge. Il n’y a pas que la voix pleine de réverb de James Ardery qui rappelle le Kurt Cobain d’Incesticide, mais aussi le cheveu long et filasse et les multiples épaisseurs de T-shirts, sweats et chemises de bûcherons que le chanteur porte malgré l’ambiance surchauffée des Ateliers de Bitche. Dans l’univers luxuriant de Lushes, le rock est loin d’être binaire : James Ardery se penche sur son synthé, et programme également des boucles de voix hypnotiques sur Feastin. À sa droite, Joel Myers s’échine sur sa batterie à appuyer des parties lentes en arpèges et en basses intensités à la Pinback et des refrains aux effusions mélodiques. La scène baignée de rouge ou de bleu renforce la puissance de la musique et découpe les ombres des deux musiciens. L’humeur du duo semble morose, mais le set dépassant l’heure démontre la générosité des deux gars de Brooklyn dont le premier album What am I doing est disponible sur le label Felte.
...et la folk de James Yorkston
l’Écossais touche presque de la tête l’ampoule qui l’éclaire seul à la guitare acoustique
Après cette mise en bouche pour s’échauffer les oreilles, la veillée folk s’installe avec James Yorkston. La scénographie dépouillée est à l’image de sa musique sobre et mélancolique : sur la plus petite des scènes de Bitche, l’Écossais touche presque de la tête l’ampoule qui l’éclaire seul à la guitare acoustique, tandis que quelques lampes rouges disposées sur le mur du fond créent une ambiance intimiste. C’est l’écrin qu’il faut à ces quelques contes qui nous plongent en une demi-heure dans des images du quotidien : les histoires en anglais, qu’elles concernent le chat du voisin ou l’amour, se suivent assez facilement grâce à l’orchestration discrète. Ce sont quelques arpèges de guitare qui accompagnent le rouquin à casquette, quand il ne chante pas carrément a cappella pour commencer son set, une gageure vers 22 heures alors que Bitche bruisse de conversations arrosées de bières. James Yorkston distille également quelques touches d’humour, disant s’appeler Johnny Hallyday (« connu au travers de la discothèque de nos parents »), ou nous invitant à venir le voir jouer le lendemain à Amsterdam. Puis il recommence à jouer, et nous fermons à nouveau les yeux…
Vundabar : la nonchalance insolente
mais comment fait-il pour jouer après avoir perdu ses lunettes à force de secouer la tête ?
Le Soy festivalier est éreinté lorsque les petits gars de Vundabar sont prêts à en découdre avec le public du Ferrailleur pour la dernière soirée. Mais la tentation de les revoir après l’agréable surprise qu’ils avaient constituée lors du festival Indigènes à Stereolux en mai dernier est grande. Et nous ne serons en rien déçus, car sur la petite heure de concert impartie, ils nous gratifieront d’une majorité de nouveaux morceaux, ne laissant la place qu’à trois morceaux de leur premier album impeccable, Antics : Holy Toledo, Greenland et la très 60’s Voodoo. Les trois chenapans de Boston sont actuellement en recherche d’un label et d’un producteur pour enregistrer ces pépites de rock mélodique, interprétées avec brio. Brandon Hagen, Zack Abramo et Drew MacDonald, gamins de 19 ans surdoués, n’ont pourtant rien perdu de leur côté potache sur scène, multipliant les singeries, se crachant dessus et débattant de la taille du pénis du camarade. Contre toute attente, l’humour et le sens du spectacle déployés par le chanteur Brandon et le batteur Drew (mais comment fait-il pour jouer après avoir perdu ses lunettes à force de secouer la tête ?) laisseront une grande partie de l’auditoire de marbre. Fatigue ou snobisme ? Nous ne le saurons jamais, mais une chose est sûre, nous attendons avec impatience que soit gravés sur disque les nouveaux titres de ce trio rafraîchissant avant qu’il ne reprenne le chemin de l’école. Les lecteurs de Fragil auront d’ailleurs prochainement l’occasion de découvrir le groupe Vundabar sous un angle nouveau...
Quand souffle Colin Stetson...
Ces mélodies, il les entremêle de sons nouveaux, produits grâce à la percussion de ses doigts sur les touches ou à sa voix
C’est la prestation de Colin Stetson qui clôturera le festival : le grand écart est fait avec Vundabar ; le trait d’union, Gum takes tooth, se présentant sous la forme d’un duo londonien produisant un rock psyché-indus. L’Américain exilé à Montréal propose une prestation déroutante à la limite de la musique expérimentale qui nécessite de l’apprivoiser sur la distance. Seul en scène, armé de deux saxophones dont il joue tour à tour, dont un saxophone basse à la taille impressionnante, il utilise le souffle continu pour sortir de son instrument des notes répétitives. Ces mélodies, il les entremêle de sons nouveaux, produits grâce à la percussion de ses doigts sur les touches ou à sa voix. Le résultat, c’est du jamais-vu, un concert pendant lequel on essaie de percer les secrets de fabrication de cette force de la nature (des micros sont scotchés à divers endroits de son instrument ou de son corps, comme sa gorge), bien que l’on se laisse finalement emporter par la rythmique lancinante des pièces musicales et de leurs variations. Un moment contemplatif qui met tout le monde d’accord.
Sandrine Lesage
Crédits photos : Festival Soy avec Christian Chauvet, Étienne Houtin
Alice Grégoire
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