INTERVIEW
Festival SOY : rencontre avec Lee Ranaldo
Lee Ranaldo était à SOY cette année. L’occasion pour Fragil de revenir sur une carrière solo entamée en 1986 ; en parallèle des sentiers électriques de Sonic Youth, il présente ses derniers titres en acoustique. Rencontre.
Fragil : Que pouvez-vous nous dire sur votre carrière solo ?
Lee Ranaldo : Ma carrière solo a en quelque sorte évolué sur une longue période. J’ai fait mon premier album solo en 1986. C’était un album abstrait qui s’appelait From Here to Infinity et, vous savez, depuis longtemps, en particulier dans les années 90 et au début des années 2000, chacun d’entre nous dans Sonic Youth poursuivait des projets solos en même temps que le groupe. Tout ça a en quelque sorte évolué naturellement. Comme un complément au groupe principal. Ça fait longtemps que je fais des concerts solos, des concerts de musiques improvisées avec d’autres groupes et d’autres musiciens, des écrits, des peintures, des dessins, des choses comme ça... Et ce n’est que dans les trois ou quatre dernières années, depuis que Sonic Youth a en quelque sorte cessé de jouer, que je m’investis plus dans ce projet solo avec un groupe qui m’accompagne.
Je travaillais sur un disque, l’année où nous (NDLR : avec Sonic Youth) avons joué notre dernière tournée. J’ai eu un peu de temps libre, et j’ai fait un enregistrement. Je pensais juste le sortir, pour voir ce que ça donnait. Mais Sonic Youth s’est arrêté pour une durée indéterminée, donc j’ai mis un groupe sur pied et j’ai pris la route... c’est devenu une carrière solo plus sérieuse avec des chansons plus construites. J’ai fait quelques disques et là, je suis sur le point d’en commencer un autre, mais vous savez, j’ai toujours fait toutes ces choses. Je présente des expositions et je continue à écrire, notamment de la poésie.
Fragil : Donc on peut dire que ce n’était pas prévu ?
Lee Ranaldo : Ce n’était pas prévu comme ça. Il était prévu de faire un disque en solo quand nous avons eu un peu de temps libre. Et puis le groupe a fait une pause, alors j’ai juste pris ça en main.
Fragil : Vous êtes tout de même connu pour être un guitariste électrique assez expérimental, pourtant, on peut remarquer que votre musique va plus vers l’acoustique en ce moment. Parlez-nous un peu de cela.
avant cette tournée, j'avais peut-être fait quatre spectacles comme celui-ci dans les trente dernières années
Lee Ranaldo : En ce qui concerne l’acoustique, c’est très récent, c’est vraiment la première fois que je fais des concerts acoustiques en solo. Je veux dire avant cette tournée, j’avais peut-être fait quatre spectacles comme celui-ci dans les trente dernières années. Mais j’ai toujours écrit mes chansons sur des guitares acoustiques, des chansons qui sont devenues celles de Sonic Youth ou d’autres choses. Je voulais me mettre au défi de jouer ces chansons que je jouais avec mon groupe électrique durant ces dernières années. Me mettre au défi de les présenter de la manière dont elles ont été initialement pensées : sur une guitare acoustique solo. C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire et avant je n’avais pas eu la possibilité. Depuis longtemps, mon travail solo était tourné vers la guitare électrique expérimentale, quelque chose de très abstrait, sans paroles. Revenir à un format plus traditionnel, c’est expérimental pour moi.
Fragil : Est-ce que vous pouvez nous parler un peu des particularités de votre processus de composition et d’écriture ?
Lee Ranaldo : Cela provient généralement de mes différentes guitares acoustiques avec lesquelles je joue. Je les collectionne, j’en ai un paquet et il semble que différentes guitares ont différentes chansons en elles. Vous savez, je travaille avec des accordages étranges et je commence généralement par juste m’amuser à accorder une guitare, vous savez, peut-être pendant une heure ou peut-être pendant quelques jours. Puis tout d’un coup, je trouve un accord qui semble suggérer certains accords et certaines idées de chansons et puis je construis quelques structures pour la musique et parfois, pendant tout cela, des idées de paroles ou un refrain arrivent. Mais souvent, je vais créer toute la partie musique et puis plus tard je travaille sur les mots.C’est un processus séparé.
Fragil : Les années 80, c’était le début de l’essor du rock alternatif/ underground avec des groupes comme Sonic Youth etc. Qu’est-ce que ça fait pour vous de faire encore de la musique dans une époque où la musique commerciale domine, l’électronique est reine...
Lee Ranaldo : Vous savez, même quand nous jouions, quand nous avons commencé dans les années 80, la musique commerciale était déjà reine. Ce que nous faisions était underground et c’est la raison pour laquelle ils l’ont appelé indépendant et underground.
Il y a encore des tonnes et des tonnes de choses qui se passent sur la scène underground et je suppose que je me sens plus connecté à tout cela. Je veux dire que ma vraie place est dans le cadre d’un certain type d’underground et vous savez que je n’ai jamais aspiré à faire de la musique dite mainstream. Avec Sonic Youth, à divers points de notre carrière, notre musique a attiré l’attention de plus de personnes peut-être, mais nous étions toujours un groupe underground. La scène underground est énorme en ce moment plus que jamais, parce que rien qu’avec internet, n’importe quel petit groupe peut se faire connaître ou d’autres musiciens peuvent faire entendre leur musique d’une façon qui n’était pas possible lorsque nous avons commencé. C’était beaucoup plus difficile à l’époque. La scène musicale est très biaisée vers, vous savez, des trucs majeurs qui font que soit, les artistes gagnent des tonnes et des tonnes d’argent et vendent, soit ils font très peu d’argent et vendent très peu de disques. Mais il y a toujours eu une sorte de fossé entre les deux. Vous savez pendant longtemps avec Sonic Youth, nous avons eu un peu un pied de chaque côté de la ligne, mais nous avons toujours été, et j’ai toujours fait partie d’une scène plus underground ou expérimentale.
Vous savez pendant longtemps avec Sonic Youth, nous avons eu un peu un pied de chaque côté de la ligne
Fragil : C’est vous maintenant le chanteur de votre groupe, ça vous change beaucoup ?
Lee Ranaldo : Je ressens une sorte de confiance dans les chansons et j’ai toujours aimé chanter. Dans Sonic Youth, nous étions trois chanteurs et j’étais le troisième, mais dans le groupe que j’avais avant Sonic Youth, j’étais le chanteur de ce groupe. Il a fallu un certain temps pour présenter des soirées de concerts comme ça parce que vous savez, le public ne me voyait pas habituellement comme un chanteur. Mais je me suis toujours senti assez confiant, car je crois en mes chansons, en leur puissance. Finalement, c’est assez instinctif.
Fragil : Le travail artistique de la couverture de Last Night On Earth est particulier. Quel est le concept derrière tout ça ?
Lee Ranaldo : Nous avons décidé que l’album s’appellerait Last Night on Earth et je voulais une sorte de photo qui pouvait évoquer ce titre, même si je ne cherchais pas à présenter l’album comme un concept ou quelque chose comme ça, c’était juste une référence à une des chansons. Je fais beaucoup de photographie avec un objectif fish-eye. Je voulais cela pour la pochette.
J’ai demandé à un de mes amis, un photographe de New-York nommé Michael Lavine, avec qui j’ai travaillé et qui est un ami de longue date, il suit depuis longtemps Sonic Youth. À l’époque, il a fait l’illustration à l’intérieur de l’album Daydream Nation, il a fait les promos pour Washing Machine et bien d’autres choses. Bref, c’est un ami de longue date et un très bon photographe. Nous sommes sortis pendant quelques jours et nous avons pris un tas de photos ; j’ai choisi celle-ci. En même temps, j’avais vu des peintures d’un jeune homme du Massachusetts appelé Ted Lee qui fait de la peinture abstraite. J’en ai vu une qu’il a postée sur Instagram, et je lui ai dit que j’aimerais utiliser cette peinture pour la pochette de mon album. Et en fait, il y en avait plusieurs qui me plaisaient. Il m’en a envoyé, je ne sais plus cinq ou sept images avec lesquelles nous avons joué un peu jusqu’à ce que nous ayons trouvé la bonne pochette.
Fragil : J’imagine que vous avez des tonnes de sources d’inspirations musicales, qui sont-ils ?
Lee Ranaldo : (rires) Oui, il y en a des tonnes ! Et vous savez, il en y a des différentes pour chaque période depuis que j’écoute de la musique. Au départ, c’était certainement les groupes du British Invasion comme les Beatles et les Stones. Plus tard, les groupes de San Francisco comme Airplane et The Dead, et Quicksilver, et les groupes qui ont commencé dans les années 70. Fin des années 70 beaucoup de New Wave, No Wave et des groupes punks. Aussi, les Talking Heads et Television, Wire et Joy Division, tous ces groupes différents des deux côtés de l’océan. Maintenant, je reviens à des choses plus anciennes, j’aime toujours Jonie Mitchell et Leonard Cohen, Bob Dylan. J’aime beaucoup Cat Power et Bill Callahan, ou Conor Oberst, vous savez des artistes comme ça, beaucoup d’entre eux sont des amis d’une manière ou d’une autre. Mais aussi des groupes comme Pavement, Nirvana et Mudhoney de la première partie des années 1990, donc tout ça a en quelque sorte évolué au fil du temps. Je travaille aussi avec beaucoup de musiciens qui sont dans l’improvisation : comme Alan Licht qui est dans mon groupe, ou Christian Marclay. Je me nourris de toutes ces rencontres.
Fragil : Et dernière question, avez-vous pensé un peu au futur ? La vôtre en tant que musicien, celle de votre musique ?
Lee Ranaldo : (rires) Je travaille sur des chansons pour un nouvel album et je vais passer l’hiver à travailler sur ces chansons et faire de nouvelles peintures. J’ai d’autres projets, j’ai un projet plus axé sur la performance avec mon partenaire Leah Singer. Nous faisons du cinéma et de la musique, c’est une véritable performance scénique que nous faisons. Nous jouons quelques concerts par an, notamment en Chine, en Australie ou Islande, dans des lieux grandioses. En ce moment, je me laisse porter par cette vague : les albums récents, les concerts et mon retour à l’écriture. Dans Sonic Youth, nous écrivions nos chansons ensemble et tout d’un coup, je me retrouve à écrire des chansons en solo. Je profite vraiment de ce moment. Je suis en train de composer des chansons pour un nouveau disque.
Pascale Antonie
Loïc Fréjaville : captation audio
Crédits photos : Festival SOY
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