
CINEMA
Une Nuit Fantastique avec Béatrice Dalle
Soirée de cinéma de genre organisée par l’Absurde Séance
Cela faisait trop longtemps que Fragil n’avait pas mis son nez dans les affaires de l’Absurde Séance. Et quand Jean Maurice, le « big daddy  » de cette association délirante nous convie à une conférence de presse en présence de Béatrice Dalle, il n’en fallait pas plus pour exciter notre instinct cinéphagique.
Il est bon de rappeler que cette grand-messe du fantastique révèle un public nantais passionné et toujours motivé à dévorer de nouvelles aventures « fantasticogore-iques ». Une soirée avec, à l’affiche et dans le désordre : All Cheerleaders Die par le réalisateur de May et The Yoman, Cannon Fodder première française du seul et unique film israélien à ce jour, mettant en scène des zombies. Pour combler l’entre-deux ? Savaged, violent, sanglant, brutal et méchamment gore, sans oublier le pourquoi du comment Aux yeux des vivants en présence du producteur Fabrice Lambot (Metaluna Production), des deux réalisateurs : Alexandre Bustillo et Julien Maury. Et avec comme cerise sur le gâteau, Béatrice Dalle. Nous avions rendez-vous à l’hôtel Chantonnay trois heures avant la projection avec toute l’équipe pour un petit apéro-presse.
Aux yeux des vivants
En résumé ? Dan, Tom et Victor, trois gosses de l’âge de treize ans, sèchent leur dernier jour d’école. Ils partent traîner dans la campagne environnante pour finir dans les studios de cinéma abandonnés de BlackWhoods. Un lieu décrépi devenu depuis le repère d’Isaac et Klarence Faucheur, un homme et son étrange fils, bien décidés à ne pas laisser le trio dévoiler leurs sombres secrets aux yeux des vivants. La nuit tombe. De retour chez eux, les adolescents ne tarderont pas à s’apercevoir que quelque chose les a suivi et que la nuit risque d’être l’une des plus longues de leur vie…
Alexandre Bustillo et Julien Maury sont deux cavalièros voyageant dans un désert : le cinéma de genre français. Un troisième film très attendu après leur coup de maître À l’intérieur, film qui a su faire trembler l’auteur de Cannibale Holocauste et combler le cœur de nombreux fans (on pourrait citer Robert Rodriguez, ou pas). Un projet ambitieux quand on connaît les difficultés qu’ont les réalisateurs à monter un film de genre « made in France ». Un échange pimenté par leur guest star habituelle, Béatrice Dalle. Elle joue le deuxième rôle dans A l’intérieur, un autre plus petit dans leur deuxième film Livide et la scène d’introduction explosive d’Aux yeux des vivants.
Largement menée par les deux réalisateurs d’Aux Yeux des Vivants, Alexandre Bustillo et Julien Maury, cette conférence de presse a connu fort heureusement de nombreux éclats de rires permis par les traits d’humour de Béatrice Dalle. Un moment agréable, venant bousculer cet exercice somme toute assez convenu, même quand il s’agit de parler de cinéma de genre. À croire d’ailleurs qu’ils ne se déplacent jamais sans leur actrice fétiche. « C’est une obligation de tourner dans leurs films ! », précise t-elle. « On forme un trio, d’ailleurs les garçons sachez que je ferais n’importe quoi avec vous. Je ferais même Casimir si vous me le demandiez ! » Le ton était donné, la suite dans les idées également. « Ce qui me plaît c’est d’abord eux », ajoute t-elle. « Je ne suis qu’un instrument. Soit je suis une trompette ou bien un stradivarius ! (rires) J’ai adoré tourner dans À l’Intérieur avec eux, et j’ai aussi beaucoup aimé le résultat. » Expliquant combien ils étaient impressionnés de devoir approcher l’actrice, c’est avec un plaisir non dissimulé et une immense joie qu’ils ont appris un jour qu’elle acceptait de les rencontrer pour leur tout premier film. « Ils étaient témoins de Jéhovah quand je les ai rencontrés », balance t-elle dans un fou rire. Arrivée en retard à leur premier rendez-vous, ce qui ne lui arrive jamais sur le tournage d’un film, précisent-ils. « Je m’étais droguée ce jour-là c’était normal que je sois en retard ! » Les deux réalisateurs ajoutent qu’elle a cette capacité incroyable à se mettre dans la peau de son personnage en une fraction de seconde. « C’est un vrai bonheur de travailler avec elle », racontent-ils. « C’est une expérience qui est extrêmement jouissive pour un réalisateur car elle se donne corps et âme, elle est tellement intense qu’on ne cherche pas à lui tirer des émotions même dans des scènes de tensions internes, elle a cette capacité à pouvoir se marrer avant et de rentrer dans le rôle aussitôt après. » Béatrice Dalle s’est beaucoup accaparée le rôle de son personnage d’Aux Yeux des Vivants, le délestant de dialogues qu’elle jugeait peu pertinents : « quand la situation va si loin tu n’as pas besoin de perdre ton temps avec des explications sur ce que tu vas faire. » Seules les images suffisent.
Je ne suis qu’un instrument. Soit je suis une trompette ou bien un stradivarius !
Film tourné à Sofia en Bulgarie pour des raisons financières, les deux réalisateurs précisent surtout qu’ils voulaient trouver un décor de fête foraine abandonnée, après avoir été marqués au vif par Massacre dans le train fantôme, sorti en 1981. Une époque bénie des dieux à laquelle ils souhaitaient aussi rendre hommage.
La famille est une nouvelle fois un sujet central dans Aux Yeux des Vivants, clin d’œil à À l’Intérieur, leur tout premier film. Sans en dévoiler davantage, on peut dire aussi que les femmes enceintes n’y sont pas à la fête… « Oui on déteste tout le monde ! » surenchérit Béatrice Dalle. « Pour moi un film d’horreur c’est d’être enceinte ! » Expliquant une plus ou moins longue gestation avant l’accouchement final et la sortie du film, privilégiant également de tourner pour le cinéma de genre. « Je n’ai plus envie de faire du social », explique t-elle. « Je n’ai plus envie d’élever des enfants, j’ai plutôt envie de les assassiner ! »
Les enfants, il en est largement question dans les films de Bustillo et Maury, depuis Livide notamment, leur second long métrage. Ajoutant malgré tout les difficultés de tournage liées à la législation concernant les enfants (pas de tournage de nuit, pas plus de quatre heures quotidiennes), ce à quoi Béatrice Dalle avance une solution qui vaut ce qu’elle vaut : « On aurait dû prendre des orphelins ! » (rires)
Pour les deux réalisateurs, Aux Yeux des Vivants est un film sur l’adolescence, période charnière avant le passage forcé à la vie d’adulte et durant laquelle on reste toujours épris de peurs. Le film est cependant sous le coup d’une interdiction aux moins de 16 ans. La commission de classification reproche au film de faire apparaître deux scènes avec des enfants portant une arme. « J’étais plus choquée personnellement de voir le père fesser son fils que le reste », explique Béatrice Dalle. « Moi, je le passerais dans les écoles ce film. » (rires)
ex Je n’ai plus envie de faire du social. Je n’ai plus envie d’élever des enfants, j’ai plutôt envie de les assassiner ! ex
Si l’argent reste comme partout ailleurs le nerf de la guerre, les discussions autour des conditions de production du cinéma de genre ont beaucoup animé cette conférence de presse. Reprochant le cloisonnement du financement du cinéma français soumis au diktat des chaînes de télévision et à leurs quotas de diffusion. Sur les 150 films - environ - financés chaque année par Canal+, seulement un ou deux films sont classés dans la catégorie de cinéma de genre (horreur-épouvante). « Les régions ne nous aident pas non plus car ce genre de film n’aide pas à mettre la région en avant ! » explique Fabrice Lambot, producteur chez Metaluna. Avant d’ajouter que si Aux Yeux des Vivants ne bénéficie que de vingt-cinq salles en France pour sa sortie, le film devrait en revanche participer à près d’une cinquantaine de festivals à travers le monde ce qui devrait accélérer ses ventes à l’étranger. « Il suffisait de prendre Dany Boon et d’appeler ça Aux Yeux des Ch’tis Vivants et on aurait eu notre pognon ! », ajoute pour conclure Béatrice Dalle dans un fou rire général. « Ça détonne dans la production américaine car ces films français sont faits en général avec plus de cœur et moins de moyens, ce qui a énormément de charme et c’est ce qui plaît », précisent les deux réalisateurs. Les auteurs regrettent ce désamour français pour leur cinéma, rejetant l’idée d’une french touch.
« Les Daft Punk du gore ! » s’en amuse d’ailleurs Béatrice Dalle. « On nous avait proposé le remake de Freddy, Les Griffes de la Nuit. Mais en lisant le scénario, ça ne nous a pas intéressé car on voulait faire de Freddy un pédophile qui tue des enfants de dix ans et pas des ados de vingt-cinq, mais les Américains n’en ont pas voulu », tranchent les deux réalisateurs, se vantant d’être ni militant ni carriériste. « Le plus important pour nous c’est de garder le contrôle du montage. Aux États-Unis, tu te fais dégager si le montage ne convient pas aux producteurs. Alors qu’en France, même si l’on a beaucoup moins de moyens on garde au moins cette liberté-là. » Pour autant, on peut facilement leur rétorquer que leur second film, Livide, a manqué cruellement de moyens. Et que l’on peut s’interroger si ce jusqu’au boutisme orgueilleux ne desserre pas au final la cause qu’ils sont censés défendre. « Le film devait se faire avec Robert Rodriguez qui nous proposait huit millions de dollars. Mais au moment de partir visiter ses studios à Austin, on a appris qu’il voulait changer la fin du film. On a préféré tout annuler quitte à le faire avec moins de fric mais au moins on a fait ce qu’on voulait ! » se justifient-ils.
Du plomb dans l’aile
Retour à notre nuit du cinéma fantastique. Plouf ! Une programmation qui prend l’eau, sauvée par une ambiance toujours en phase malgré la tempête. Passons le deuxième film All Cheerleaders Die, trop moyen malgré une scène assez drôle où une pom-pom girl se brise le cou en faisant sa « pétasse ». Enfin, dans ce périple le bonheur fut trouvé grâce à Savaged, qui est malheureusement le seul à sortir la tête de l’eau. Un rape and revenge comme on les aime aux pays des Rednecks.
En résumé ? Une bande de « salopards » croise une jeune femme sourde et muette au cours d’un de leur lynchage d’indiens matinal. Tentant de sauver l’une d’entre eux, l’héroïne Zoé, qui - vous vous en doutez - tombe dans leurs mains et se fait violer puis laissée pour morte. Un fait divers classique bouleversé par une rencontre avec un vieil indien shaman soignant, tant bien que mal, le peu de vie battant encore dans ce corps meurtri. Au cours d’une cérémonie incantatoire l’âme d’un puissant guerrier s’empare alors du corps de la jeune femme. L’heure de la vengeance a maintenant sonné. Armée de son arc et de sa hache, Zoé, blindée par cette force mystique à toute épreuve, va enfin pouvoir régler ses comptes avec les vilains méchants.
Un scénario écrit dans une chambre d’hôtel - connu pour avoir été le théâtre d’un meurtre - Michael S. Ojeda semble avoir voulu mettre toutes les chances de son coté sur ce deuxième long-métrage, tant dans l’écriture que la réalisation. Un très bon traitement photo, un casting et des effets spéciaux convaincants, et tout ça pour un budget très serré. Que demande le peuple ? Un scénario simple, d’une efficacité redoutable comme son montage, les quatre-vingt quinze minutes du film passent comme une lettre à la poste. Une écriture inspirée par l’histoire de la naissance des États-Unis nourrie de sang et de violence. Le traitement du sujet reste en toile de fond laissant parler le gore afin de donner du punch à ce film dans lequel on retrouve des similitudes avec The Crow. Ce côté mystique vengeur aux pouvoirs surnaturel. Que du bon, en somme !
On brûle alors un cierge en pensant à la prochaine Nuit du cinéma fantastique. Que le gore, que le bis, que l’horreur soient avec elle
La soirée fut conclue avec ce que l’on peut communément appeler une « bonne bouse » : Cannon Fodder. Une première française qui, il faut l’espérer, sera la dernière. « Le premier film israélien zombiesque », sur le papier, pourquoi pas. Mais abuser des morts-vivants, ça craint. Surtout quand c’est long et mal joué.
On brûle alors un cierge en pensant à la prochaine Nuit du cinéma fantastique. Que le gore, que le bis, que l’horreur soient avec elle : « EuuuuuuchHHHHH ! » (cri de guerre de l’Absurde Séance) On termine par en allumer un deuxième, en espérant que les producteurs français produisent un jour à minima (on peut toujours rêver) 10 % de cinéma de genre....
Electrik Moon, avec la complicité de Jérôme Romain
Crédit photos : Electrik Moon, Donostia Kultura (CC)
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