
CINÉMA
L’insoutenable soirée de la Transgression
Il en fallait du courage pour affronter au péril de notre équilibre psychologique ce programme tant redouté qui s’imposait à nous. Bien décidée à vaincre coà »te que coà »te ses peurs et à repousser au plus loin les limites du supportable pour n’importe quel quidam, l’équipe envoyée spéciale de Fragil en est victorieusement ressortie indemne. Reportage en immersion dans une soirée aux portes de l’enfer.
L’Absurde Séance avait donné le ton depuis plusieurs semaines et mis en garde ses fidèles spectateurs dont les plus fragiles d’entre eux qui seraient tentés d’affronter sans précaution préalable cette sulfureuse soirée de l’indescriptible. Il fallait un lieu adéquat pour l’occasion, un lieu capable d’accueillir un public d’initiés. Les ateliers de Bitche à Nantes s’apprêtaient donc à recevoir cette sorte de convention de la transgression pour la soirée Japan eXtrem.
Participer à ce genre de soirée, c’est une volonté intime d’un dépassement de soi en se confrontant à des images-chocs
Mise en bouche
Les téméraires spectateurs étaient invités à prendre leurs précautions pour assurer leur propre confort durant cette longue soirée faute d’être ménagés par les images défilant sur l’écran. D’aucuns s’étaient alors armés de précieux coussins douillets. Rendez-vous était donc pris le mercredi 13 mars dernier pour un enchaînement au pas de charge des trois longs et des deux courts métrages programmés. La soirée débuta par le clip J’encule signé Gogol 1er et Ass, premier court du réalisateur irako-américain, Usama Alshaibi. Filmant en gros plan fixe et en images saccadées le visage de sa propre femme nue et de son postérieur en pleine masturbation orgasmique, à deux doigts, voire trois, d’une bonne crise d’épilepsie.
Par ici l’entrée
Ainsi, le premier long métrage, Une Femme à sacrifier, débuta magistralement la soirée en guise de hors-d’œuvre. Sorti en 1974 par le réalisateur japonais Masaru Konuma, malgré sa thématique pornographique mêlant le bondage, le fétichisme SM, la nécrophilie et la scatologie, le film est globalement poétique et prouve que rien n’est incompatible. L’histoire singulière de cet homme qui prend du plaisir à la selle comme autrefois la cour regardait le roi sur sa chaise percée, démontre surtout l’incroyable reconquête de l’amour de sa femme qui s’exprime par une soumission esclavagiste qui s’avèrera au final concluante. C’était pourtant loin d’être gagné. Entre les séances d’épilation à la cire de bougie bouillante et autres humiliations, cette dernière avait fini par réussir à échapper à son bourreau. Mais tout comme la pauvre Justine dans Les Infortunes de la vertu du Marquis de Sade, cette fuite en avant dans une forêt humide la fit tomber dans une gueule du loup encore plus béante. Croisant sur son chemin deux chasseurs qu’elle supplia de lui venir en aide, c’est un tout autre supplice auquel elle eut droit. Parti à sa recherche, son mari goguenard tomba sur un jeune couple inconscient ayant manqué son double suicide. Qu’à cela ne tienne, ces derniers se retrouvèrent alors malgré eux en proie à de nouvelles expériences infernales délicatement embaumées par des boules puantes que les organisateurs de cette soirée lâchèrent dans la salle en pleine scène de lavement anal. Tout cela ne nous a pas empêchés d’apprécier la plus belle scène du film où on retrouva ce couple totalement nu enlacé l’un contre l’autre et ficelé comme deux bons rôtis.
Plat principal
Pour qui voulait se rafraîchir au bar des Ateliers de Bitche, une jeune et jolie Genevoise aux seins nus offrait de quoi vous désaltérer la gorge et la vue. Les tenanciers avaient préparé une belle marmite sobrement étiquetée « cocktail » qui masquait en réalité un ti-punch plutôt corsé. Avoir la tête qui tourne ce soir-là n’était pas forcément dû à l’alcool, mais aussi au spectacle qui s’offrait ainsi à vous tant sur l’écran que derrière le bar, où notre amie poitrine béante fut bientôt rejointe par un jeune éphèbe au torse nu. Du téton il en était aussi question dans l’effrayant Naked Blood du réalisateur Toshiyasu Sato. Sorti en 1995, ce film a déjà causé lors de précédentes projections moult évanouissements, malaises, vomissements, et autres surchauffes de la boîte crânienne. Certains spectateurs de séances Cannibale Peluche s’en souviennent encore… L’histoire d’un test médical sur trois jeunes femmes qui croyaient prendre un nouveau contraceptif et se retrouvent avec une injection prétendant transformer la douleur en plaisir intense paraissait pourtant inoffensive. A la lecture du script, on aurait pu croire qu’on allait poursuivre sur la lancée de la thématique amorcée par Une femme à sacrifier. Mais comme les progrès de la science ne sont pas donnés à n’importe quel apprenti sorcier, l’expérience tourne au drame et les trois pauvres malheureuses ne ressentant plus la douleur vont finir par se mutiler sauvagement. Concours de perforations multiples du corps pour l’une, séquences hallucinantes d’auto-anthropophagie pour une autre, mieux vaut encore parler à son cactus comme le fait la dernière ce qui nous vaut au moins des scènes hallucinogènes qui viennent casser ce rythme suffoquant. Bien que poussé à l’eXtrem, Naked Blood est l’extrapolation de ces petits plaisirs salvateurs qui peuvent très vite virer en une douleur désagréable. Un peu comme une piqûre d’insecte et cette obsession insatiable que procure ce soulagement de gratter votre peau jusqu’au sang.
Fromage et dessert
Malgré toutes ces éclaboussures, on ne déplorait pas encore d’abandon ni de syncope dans le public venu nombreux assisté au spectacle. Restait à affronter Junk Films, le documentaire de Kiyotaka Tsurisaki sorti en 2006. Spécialisé dans la photo de cadavres, son film documentaire rassemble de multiples scènes filmées à travers le monde, et en Asie en particulier, après des accidents de voiture, des scènes de crimes, ou encore des crémations publiques en Inde. Le tout laissé à l’appréciation du spectateur sans aucun dialogue, ni commentaire. On peut ainsi voir opérer dans le détail la police scientifique locale, constatant des démembrements sur tel cadavre, des restes de matières organiques retrouvées sur tel lieu d’un crime, ou encore apercevoir un crâne parfaitement fendu en deux d’un malheureux qui aura traversé la vitre d’un pare-brise. Absolument rien ne nous est épargné, ni cette odeur de poisson pourri qui embaumait la salle comme on nous l’avait promis.
Dîtes que vous allez participer à une soirée de films gores et pornos et vous paraîtrez suspects
Absurde Séance / soirée transgression from Magazine Fragil on Vimeo.
L’addition
A la sortie des projections, Fragil est allé à la rencontre de spectateurs encore groggy recueillir les premières impressions de ces témoins de l’extrême. Pour prolonger le débat sur ce choix de programmation et comprendre les effets recherchés par les organisateurs d’une telle soirée, Jean-Maurice Bigeard a également accepté de témoigner. Participer à ce genre de soirée, c’est une volonté intime d’un dépassement de soi en se confrontant à des images-chocs. Aux premières lueurs d’Une Femme à sacrifier, c’est un savoureux mélange de connivence partagée qui rassemblait un public hétéroclite. Ce qui surprend surtout au terme de cette soirée, c’est le violent télescopage avec l’actualité qui nous entoure. En plein scandale alimentaire équin, les scènes cannibales de Naked Blood nous apportent peut-être une solution. Mais c’est surtout le documentaire Junk Films qui a créé une sensation de léger malaise dans la salle. Pour la première fois, la fiction laissait la place à une réalité brute. Pour autant, c’est justement l’absence d’effets d’annonce, de musique emphatique et de commentaires racoleurs accompagnant les images de ce film auxquels la télévision a formaté les esprits qui pour le coup amène le spectateur à penser que la véritable transgression n’est pas toujours celle que l’on croit. Preuve en est, on ne s’offusque guère quand les infos télé s’emploient, en l’absence d’image, à nous décrire de façon sordide des exécutions d’otages détenus par des terroristes fanatiques, en n’oubliant pas de nous renvoyer sur internet pour y trouver les images filmées par leurs protagonistes. En revanche, dites que vous allez participer à une soirée de films gores et pornos et vous paraîtrez suspects. Quand la réalité surpasse la fiction, on obtient bien là pourtant une véritable transgression.
Texte : Jérôme Romain
Coordination : Electrik Moon
Vidéo : Hugues Bougouin
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