
Focus
Gorge Profonde : libération anatomique
Le Cinéma Invisible s’offre la projection du documentaire Inside Deep Throat
Le documentaire Inside Deep Throat, ou l’aventure du film Gorge Profonde, incontournable porno des années 70. Bien souvent caché dans le haut de l’armoire de la chambre de papa et maman, ou plus simplement dans un coin de leurs mémoires : sans plus tarder, Fragil fait le focus.
Alors oui, je vous sens tout excités à l’idée de savoir ce qui se cache derrière ce documentaire à l’affiche aguicheuse et nous vous comprenons. Avant toute chose, nous voulions faire un petit arrêt sur image sur l’association « Accès au Cinéma Invisible ». Fondée en 2006, cette association a pour passion de faire passer de l’ombre à la lumière, des films qui ont souvent souffert d’un manque d’appui médiatique. Et Dieu sait que ce monde est vaste et dur... pour un bon nombre d’artistes, en mal de soutien pour des projets qui méritent une deuxième chance. Un aiguillage affiné dans une programmation éclectique, c’est tout le secret de cette association. Bref. Revenons sans plus attendre au le vif du sujet avec cette question qui brûle nos lèvres ; mais quel intérêt à faire, et par la même occasion à voir, un film documentaire sur Gorge Profonde ?
13 février 2013, il est 20 heures nous sommes à la Scène Michelet et c’est le D-Day de la projection. Un brin serré, néanmoins très curieux de ce que nous allons voir, on sent une ambiance humide, mais les lumières se sont éteintes, et... chutttttttttt ça commence...
Un truc inimaginable au point de faire changer le climat social d'une société
Le film qui allait bouleverser tout un pays
Nous voilà à présent en 1971, le réalisateur Gerard Damiano (crédité sous le nom de Jerry Gerard) vient de convaincre le producteur Louis Peraino (Lou Perry) de mettre en vedette Linda Lovelace à la tête d’un film qui allait faire vriller la célèbre statue de la Liberté ! À cette époque, aux États-Unis, la pornographie en vidéo était diffusée à but instructif et seulement visible dans le cadre de l’apprentissage éducatif du peuple américain. On trouvait toutefois certains films éroticopornographiques, mais rien de bien convaincant. Gorge Profonde est le premier film d’une longue liste de bouleversements culturels et politiques.
- Ã l’affiche
Afin de vous donner une idée du succès que ce film à pu engendrer, c’est tout simplement hallucinant : il a coûté 25 000 dollars et rapporté 600 millions de dollars. Les gens faisaient la queue dans tout le pays, un truc inimaginable au point de faire changer le climat social d’une société.
Il fut un évènement marquant dans l’histoire de la sexualité moderne, car, pour la première fois, des femmes rangées de classe moyenne ont poussé la porte des cinémas pornos. Ce film était du jamais vu : une femme consulte un médecin en raison de ses problèmes de gorge. Suite à cette consultation, le docteur diagnostique un clitoris en fond de gorge. Personne n’avait alors eu le loisir de voir les joies de la fellation en grand écran, inondant les cœurs et les âmes de nos chers compatriotes. Cette bombe donna naissance à un mouvement de contestation antiporno sans précédent. Un gouvernement en front, posant très vite la question du droit « de voir ou pas » ce film, contribuant par la même occasion au succès du film. La bataille ne faisait que commencer.
L'acteur Harry Reems allias Docteur Young faisant office de bouc émissaire
Le porno virus pathologique ?
En 1968, le gouvernement décide de lancer une étude scientifique sur les dangers que peut représenter la pornographie dans la société. Le rapport ne trouvant aucun point négatif sur l’être humain, Nixon s’assoit dessus en redoublant de communication propagandiste. Les projections entraînant procès sur procès.
Le Time débloque la situation un court moment avec un article qualifiant le film de « porno-chic ». Une boule de neige qui multiplia les projections dans tous les Etats. Au milieu des années 70, Gorge profonde se retrouvait premier au palmarès des casseroles en étant poursuivi dans 32 villes pour finir par être interdit dans 23 états.
Et comme j’aime à l’entendre « Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille »*
Il ne manquait plus que le F.B.I pour freiner la diffusion du film... Le top du top. Et oui, l’art et la manière de mettre les moyens quand il le faut, à l’image d’un bon Chuck Norris ou d’un Schwarzenegger. « On va faire péter le porno ».
Il fallait un coupable, un vilain petit canard
L’acteur Harry Reems alias Docteur Young, s’est retrouvé comme le candidat idéal pour faire office de bouc émissaire. Il est condamné pour outrage aux bonnes mœurs, passible de 5 ans de prison.
Cette peine mobilisa le Tout-Hollywood avec pour chef de file monsieur Jack Nicholson.
Sa condamnation fut cependant annulée en appel, en avril 1977, au motif que sa participation à la réalisation de Gorge profonde était antérieure à l’arrêt Miller v. California de la Cour suprême.
Le beurre et l’argent du beurre
Nixon passe à la trappe. Un vent de libération émancipe la détermination des deux camps, anti et pro. Le magnétoscope révolutionne alors le manque à gagner lié à la perte du droit de diffuser du porno au cinéma, avec un taux de 30 à 50 % des vidéos louées. Une industrie florissante définitivement tournée vers la médiocrité, sans aucune motivation artistique.
Cette folie douce fut stoppée nette par Reagan et son gouvernement qui mirent les bouchées doubles en suivant à la lettre le rapport Nixon avec un atout en plus : Linda Lovelace, témoigne en tant que féministe acharnée et convaincue, que Deep Throat était le témoignage de son propre viol. Oui, comme dans tout bon film, ou pas, c’est toujours le gouvernement qui gagne à la fin.
Le doux rêve du réalisateur Gerard Damiano était de voir un jour le porno rentrer pour de bon à Hollywood, afin de donner ses lettres de noblesse à ce genre, tant sacrifié par l’apport du gain. Un porno chic, artistique, militant et jouissif. On peut rêver, mais l’ambition est noble. Marc Dorcel, le patron du porno français, déclarait qu’il ne pourrait plus produire les films sortis à cette même période, car, contrairement aux idées reçues, on pouvait se permettre beaucoup plus de transgressions dans les années 70-80 qu’aujourd’hui où la censure collective a contribué à emprisonner nos libertés.
Linda Lovelace décède en 2002, dans un accident de voiture, laissant ses enfants dans une pauvreté critique. Elle aura touché pour ce film la somme de 1 200 dollars. Le réalisateur Gerard Damiano, lui, est mort le 25 octobre 2008. Il vécut simplement sans toucher les bénéfices de son succès. L’acteur Harry Reems, avec son cachet de 300 dollars, a arrêté de boire après une descente en enfer pour se convertir au christianisme et travailler en tant qu’agent immobilier dans l’Utah. Ce n’est qu’un bout de cette incroyable histoire autour de ce film et seul Inside Deep Throat peut vous les livrer, disponible chez Metropolitan DVD.
*Jacques Chirac
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses