
Société
Préservons-nous du TAFTA !
Le préservatif protège de tout, c’est bien connu... Sauf du TAFTA. Enquête.
Invité à venir présenter le traité à un public de 200 personnes réuni le 14 avril dernier à la Manufacture des tabacs de Nantes, Frédéric Viale est connu pour être membre du Conseil Scientifique d’Attac. A ce titre, l’économiste a démarré la soirée par un exposé pédagogique de ce que renferme ce Transatlantic Free Trade Agreement, l’acronyme du TAFTA.
Pourquoi le TAFTA ?
Démarrées en 2013, des négociations visent à libéraliser encore un peu plus les échanges transatlantiques des marchandises et des services en prenant soin de s’affranchir de ce qu’ils considèrent être « des barrières » et donc des freins à leur libre circulation. Ils ambitionnent également de faire plier les pays réfractaires devant des tribunaux privés. Pour ce faire, les Etats-Unis et la Commission européenne ont donné mandat à une poignée de négociateurs chargés, en coulisse et dans le plus grand secret, de caler les termes de l’accord. Ce qui n’empêche pas pour autant quelques fuites sur les discussions en cours.
Les Etats-Unis pourraient ainsi exporter leur viande de bœuf élevé aux hormones, des poulets traités au chlore, ainsi que différents OGM’s
Mais pourquoi le TAFTA alors qu’il existe déjà des partenariats sur les échanges commerciaux entre l’Union européenne et les Etats-Unis ? Il faut préciser qu’il est peu question de commerce dans le TAFTA, mais plutôt des normes et tout ce que les libéraux qualifient de « barrières commerciales », voire de « protectionnisme ». Avec le TAFTA, les Etats-Unis, dont les normes agroalimentaires sont différentes de celles exigées en Europe, pourraient ainsi exporter leur viande de bœuf élevé aux hormones, des poulets traités au chlore, ainsi que différents OGM’s (organismes génétiquement modifiés).
Il y a également une flagrante contradiction à vouloir accentuer les échanges commerciaux entre les deux continents. Cela quand on souffre déjà des excès des gaz à effets de serre et que l’on craint des conséquences écologiques irréversibles de l’extraction du gaz de schiste.
Cet accord de libre-échange succède aux précédents accords du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) qui avaient abaissé les droits de douane à seulement 2 ou 3 %. Ces derniers eux-mêmes avaient donné naissance à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), en 1994, dont le but était de réglementer les activités humaines. Aujourd’hui elle regroupe plus de 160 états.
Les cibles du TAFTA
Parmi les dispositifs existants dans le collimateur du TAFTA, on trouve notamment les subventions qui sont jugées comme une « entorse au commerce » dans le sens où elles viennent fausser les règles de la concurrence pure et parfaite. Car l’idéologie du TAFTA se trouve sans doute là avec l’ambition folle de vouloir mettre en pratique la théorie de la concurrence pure et parfaite chère à l’économiste McKenzie et que l’on enseigne à tout étudiant en économie.
Selon cette théorie, la concurrence devient « pure et parfaite » si cinq critères sont parfaitement respectés ; parmi lesquels la fluidité du marché (libre entrée et sortie des produits et services), ce qui n’impose par conséquent aucune entrave administrative, technique ou tarifaire. Mais aussi la transparence de l’information où tous les acteurs du marché ont une parfaite et égale connaissance de tous ses paramètres. Ou encore la libre circulation des facteurs de production (capitaux et humains), ce qui là également nécessite une harmonisation fiscale et sociale en matière de droit du travail... On voit tout de suite que ce n’est pas encore gagné, mais certains y travaillent d’arrache-pied.
Enfin, il existe un critère en revanche qui ne permettra sans doute jamais d’atteindre cette théorie, c’est celui de l’homogénéité des produits, qui exige que les produits proposés sur un marché soient parfaitement identiques en qualité et en caractéristiques. Cependant, on peut soupçonner le TAFTA de vouloir y parvenir malgré tout en mettant en place son principe d’équivalence des produits.
Les procès d’une justice privée
Pour dissuader les pays contrevenants ou réfractaires, le TAFTA propose une cellule d’arbitrage internationale qui court-circuitera ainsi les juridictions et les systèmes judiciaires des nations. Une justice privée que pourront saisir les multinationales essentiellement puisqu’autant dire que le coût d’une telle procédure atteint tout de suite le million de dollars. Des cabinets d’avocats ont déjà senti l’aubaine fort lucrative et se sont spécialisés dans ce domaine.
C’est ainsi que plusieurs procès ont cours à l’heure actuelle par ce biais dont l’Argentine est le pays le plus visé. Dernier exemple en date avec le groupe français Suez, qui vient d’obtenir la condamnation du pays sud-américain à 405 millions de dollars pour avoir résilié le contrat de gestion de l’eau de la ville de Buenos Aires.
Si en France la gestion de l’eau des municipalités est souvent aux mains de groupes privés, c’est loin d’être le cas à l’étranger. Les groupes français sont ainsi très intéressés par les accords du TAFTA puisqu’ils leur ouvriraient les robinets du monde entier…
Qui peut prendre aujourd’hui le risque de critiquer si ouvertement un annonceur qui investit autant en publicité dans la presse ou en télé ?
L’Égypte est le second pays le plus ciblé par les multinationales. Un groupe français (Veolia) a décidé d’attaquer l’État égyptien pour avoir augmenté le salaire minimum mensuel (passant de 41 euros à 72 euros) ce qui conviendrait, selon Veolia, à ses intérêts dans le cadre de sa gestion des déchets de la ville d’Alexandrie. Peu de médias français évoquent ces affaires qui montrent l’ignominie de nos mastodontes nationaux. Qui peut prendre aujourd’hui le risque de critiquer si ouvertement un annonceur qui investit autant en publicité dans la presse ou en télé ?
Quant aux Etats qui se font ainsi condamner, difficile également de ne pas se soumettre à cette justice privée qui dépend à l’heure actuelle… de la Banque Mondiale. Ne pas honorer financièrement sa condamnation c’est prendre le risque de représailles similaires venant de la Banque Mondiale ou du FMI envers des pays évoqués plus haut qui y sont fortement tributaires.
Quelles solutions pour s’y opposer ?
De nombreux comités locaux anti-TAFTA se sont constitués en groupes de pression partout en Europe et, fait suffisamment rare pour être signalé, ils sont constitués à la fois d’ONG, de syndicats et de politiques. Ces comités organisent, comme c’était le cas à Nantes le 14 avril dernier, des réunions d’information auprès du public. Une pétition à l’échelle européenne est également en cours. Et aux Etats-Unis, les anti-TAFTA réussissent toujours à convaincre les membres du Congrès de ne pas céder à l’administration Obama de pouvoir négocier directement les accords.
Les autres actions consistent à convaincre les collectivités territoriales de se retirer des accords en cours. Deux états du Canada se sont ainsi prononcés hors zone du CETA. Puisqu’en marge du TAFTA, d’autres accords de libre-échange sont également en cours d’élaboration comme le CETA, entre le Canada et l’Union européenne. En France et en particulier en région Pays de la Loire, plusieurs communes, tout comme la région elle-même, ont aussi marqué leur opposition au TAFTA en se déclarant hors zone TAFTA. Le conseil municipal de la ville de Rezé a demandé un moratoire et la diffusion publique des textes soumis à la négociation. La ville de Saint-Herblain est l’une des dernières en date à s’être déclarée hors zone TAFTA, tout comme la symbolique commune locale de Notre-Dame-des-Landes.
Cependant, parmi les partisans ouvertement déclarés pour le TAFTA, on retrouve le secteur bancaire et le milieu de la finance européenne qui souhaiteraient bénéficier de la réglementation américaine. Bien que l’on sait où tout cela nous a conduit en 2008 à la faillite de Lehman Brothers, entre autres. Les entreprises qui postulent aux marchés publics souhaitent pouvoir également profiter des vastes et juteux marchés américains grâce au TAFTA.
Enfin, au niveau politique, le PPE (situé à droite) du parlement européen de Strasbourg, l’ALDE (centre-droit), et le S&D (sociaux-démocrates) qui constituent la majorité sont favorables au TAFTA. Mais les opposants restent confiants, car il s’agit surtout de pédagogie et de convaincre les politiques qui ne sont à l’heure actuelle pas plus informés.
Au terme de la présentation de Frédéric Viale, le public était naturellement invité à en débattre. De nombreuses voix se sont élevées contre l’Europe avec la volonté d’en sortir. Si l’on ne peut que constater l’échec des institutions européennes actuelles et les effets discutables de la monnaie unique, la sortie d’un État de l’Union ne lui permettra pas d’échapper à l’accord transatlantique qui se place au sommet des traités internationaux.
Cette perpétuelle envie d'en découdre nous a offert une fois de plus le triste spectacle d'une gauche désorganisée, légitimement contestataire, mais brouillonne dans son argumentaire et ses idées.
Cette perpétuelle envie d’en découdre nous a offert une fois de plus le triste spectacle d’une gauche désorganisée, légitimement contestataire, mais brouillonne dans son argumentaire et ses idées. Difficile d’adhérer à un discours tellement radical, voire poujadiste, qu’il en devient grotesque et ne fait qu’encourager ses opposants, l’extrême droite en tête.
De retour à la soirée, un jeune militant a fini par prendre le micro pour rappeler qu’en 2005 la gauche avait réussi le pari de s’opposer à la constitution européenne. Il se souvient qu’à l’époque il faisait du porte-à-porte pour convaincre un à un les citoyens qu’il rencontrait. Et puis d’ajouter amer qu’il ne l’avait plus jamais refait depuis. Dix ans ont passé, et le terrain laissé à l’abandon par cette gauche-là peut-il encore être fertile ? On aimerait y croire.
Jérôme Romain
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