
Tissé Métisse 2009
La femme qui fait bouger le quartier
L’engagement d’Aïcha Tarek auprès des habitants de Bellevue
Aïcha Tarek est art thérapeute, elle a 41 ans et habite Nantes depuis 6 ans. Elle est une des femmes qui ont été présentées par le pôle “femmes et interculturalité” au festival citoyen “Tissé Métisse” le 12 décembre 2009. Pour le magazine Fragil, elle parle de son engagement, de ses impulsions et des difficultés qu’elle rencontre dans son travail dans le quartier de Bellevue.
Réunir les personnes de tous âges et de toutes cultures, c’est le but d’Aïcha Tarek. En 2005, elle crée l’association Regart’s, qui offre des ateliers créatifs pour les femmes et les enfants : animation, accompagnement à la scolarité, bien-être, expression corporelle. Avec le projet “rencontre des cultures”, elle fait connaître les différentes cultures à travers leurs saveurs, leur musique, leur artisanat d’art, etc.
Fragil : Aïcha Tarek, qu’est-ce qui vous fait bouger ?
C’est mon énergie, puis c’est la détresse des gens, c’est l’inégalité qu’il y a envers eux. Ce que j’aimerais, c’est que tout le monde ait les mêmes droits et qu’ils aient accès à différentes à la culture, aux animations...
Fragil : Quels sont les objectifs de votre association “Regart’s” ?
L’objectif de notre association est que toutes les personnes de Bellevue s’approprient un peu leur quartier. On travaille avec les femmes, les enfants, on cherche à animer Bellevue et à passer de bons moments ensemble.
Fragil : Comment l’idée de fonder cette association est venue ?
Comme je suis arrivée à Nantes il y a six ans, j’étais sans travail, mais je voulais toujours rester dans le social. Avant, je travaillais comme aide soignante à Paris. J’ai fait une formation d’art thérapie, mais l’art thérapie avait du mal à demarrer à Nantes. Après tout, je me suis dit : “Je me mets en association”. Apporter, créer, faire des ateliers créatifs, être avec du monde - ça apporte un bien-être personnel, et voilà comment est née l’association Regart’s.
Fragil : Comment essayez-vous de réunir des personnes de différents âges et cultures ? Et comment cherchez-vous à lutter contre les stéreotypes, les préjugés, les discriminations ?
Nous faisons de l’interculturel et de l’intergénérationnel à travers les différentes actions que nous menons dans le quartier. Les personnes sont amenées à se rencontrer, à échanger, à parler de la culture, de leurs enfants, des soucis qu’ils peuvent rencontrer dans la vie. Tout ça va créer des liens très forts. Je pense que notre association est un point très important pour mélanger toutes ces cultures. Et cela aide également à casser les stéreotypes.
Justement, on a créé le projet “rencontre des cultures”, qui permet aux habitants du quartier de Bellevue et d’autres quartiers de s’ouvrir vers les cultures qui nous entourent. La journée commence le midi par la découverte des saveurs, où les gens peuvent découvrir l’alimentation des différents pays. Les associations des différentes cultures expliquent comment se préparent ces aliments, où on peut retrouver les ingredients etc. Après le repas, il y a des débats, des conférences, il y a une exposition artisanal qui vient des pays représentés. Le soir, on ouvre à 18 heures par un défilé des trois cultures, et après il y a de la musique, du chant, de la danse. L’événement se termine généralement vers 2 heures du matin, avec environ 300 personnes qui viennent.
Tout le monde s’amuse ensemble, on ne se juge pas, et en même temps on découvre des autres cultures.
Je peux dire qu’avec cette journée, on casse les stereotypes : Tout le monde s’amuse ensemble, on ne se juge pas, et en même temps on découvre des autres cultures. C’est vrai qu’il est facile à critiquer ce qu’on ne connaît pas. Mais quand on apprend à se connaître, un autre regard se dessine. C’est pour cela qu’après la journée, les gens regardent les différentes cultures d’une autre vision.
Fragil : Qu’est-ce que vous voulez donner aux gens qui participent aux ateliers ?
Un moment de convivialité. Je veux leur montrer qu’on est là, qu’ils ne sont pas seuls. Je veux qu’ils passent un bon moment ensemble, qu’ils échangent, je veux croiser un peu tous ces âges, que ce soit de la petite enfance jusqu’aux seniors : les participants les plus petits ont 3 ans, les plus agés 77 ans.
Fragil : Quels sont vos buts et vos exigences dans votre engagement ?
Je suis beaucoup à l’écoute des gens. Quand je monte un projet sur Bellevue, c’est parce qu’il y a eu une demande, ou parce que j’ai observé qu’il y avait un manque. Par exemple, on va créer un projet pour les seniors, parce qu’on s’est aperçu que les personnes âgées souvent passent leur journée en buvant un café ou un thé ensemble, en jouant aux cartes. Mais ces femmes ont beaucoup de choses à nous apprendre. Ils peuvent aider à l’accompagnement à la scolarité, ils peuvent lire des histoires pour les plus petits, ils peuvent nous raconter leurs parcours de vie. Donc, dans ce projet, on va poser leurs parcours sur un mini-livret qu’on va faire avec ces femmes. Ils font quelque chose ensemble, et cela va créer des liens. J’espère qu’ils continueront à se bouger ensemble après et à l’extérieur de l’association aussi.
Ce sont des petits gestes qui me font continuer
Fragil : Qu’est-ce qui vous fascine dans votre travail ?
C’est le fait de mener au bout des actions, de voir le sourire des gens, de voir ce qu’ils m’apportent, la richesse qui m’a apportée mon travail. Parfois, ma collègue et moi, on n’a pas le temps de manger le vendredi, mais les femmes qui vont à la mosquée nous ramènent à manger le midi. Ce sont des petits gestes qui me font continuer, même si ce n’est pas toujours un metier facile.
Fragil : Quelles difficultés se posent ?
Les difficultés que l’on rencontre, ce sont surtout des difficultés envers les institutions. Trouver des financements, remplir des dossiers, participer à des reunions - tout ce qui est administratif. C’est vrai que la ville et l’état nous aident beaucoup, mais par rapport à ce qu’on fait… On n’est que deux salariées, et on a 250 adhérents. On n’a ouvert que le 15 septembre, ça veut dire qu’à la fin de juin on va atteindre 300 ou 350 adhérents. Tout ce travail à deux personnes, c’est très dur. Donc, là, par exemple, il faut qu’on se batte pour avoir deux autres postes. C’est toujours se battre. Après, si on réussit, c’est une satisfaction aussi, bien sûr. Mais se battre, c’est fatigant.
Fragil : Pourquoi vous êtes vous installée à Bellevue ?
Par pur hasard. J’ai trouvé un appartement à Bellevue et c’est là que j’ai vu les enfants qui trainaient dans la rue. Il n’y avait pas d’activités, pas d’animations de rue, il n’y avait rien. Donc, j’ai décidé de créer l’association. J’ai commencé à travailler dans un garage avec les enfants, ça fonctionnait, mais on ne pouvait pas continuer comme ça. Alors j’ai demandé des locaux et j’ai mis toutes ces actions en place. Le 23 mai, ça fait 5 ans que l’association existe.
Fragil : Qu’est-ce qui vous donne des idées, des impulsions, de l’énergie ? Quels sont vos futurs projets ?
Des idées, j’en ai tout le temps - il faut simplement que je regarde ce qui se passe autour de moi pour avoir une idée. Par exemple, pour 2010, on va faire un projet pour les seniors. Pour le bien-être, on va faire un atelier manicure supplémentaire. Et puis avec les enfants, on va mettre en place un atelier bilingue, “mon ami le livre” et “bibliomobil”, c’est une bibliothèque de rue. Tout ça s’est développé par des observations, par ce que j’ai vu, ce que j’ai pu rencontrer à l’association, ce que j’ai pu entendre. Ce sont des demandes qui viennent des habitants. J’essaie de monter un projet, après j’en parle autour de moi, si on me dit : “C’est bien”, je le mets en place.
Interview : Verena Schneider ; Photo : Nicole Reinhardt
L’association Regart’s est lauréat du “Prix de la solidarité associative” en 2009, décerné conjointement par l’association “Jeunesse au Plein Air”, la “CASDEN” et “Solidarité Laïque”, avec le soutien de l’Unicef-France.
Informations sur l’événement “rencontre des cultures” :
La prochaine journée aura lieu le 23 janvier 2010 ; le Brésil, le Péru, et l’Afrique y seront représentés.
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