
Exposition "Tanguy et la biscuiterie"
"Tanguyland" - la cour de Versailles arrive au Lieu Unique
L’histoire de l’ancienne usine LU revue et corrigée par Cédric Tanguy
Avec l’exposition "Tanguy et la biscuiterie", Cédric Tanguy nous invite à pénétrer dans son univers : en mélangeant les différentes époques, il raconte l’histoire de l’ancienne biscuiterie qui est aujourd’hui le Lieu Unique, l’histoire du peuple français ainsi que sa propre histoire personnelle. Pour Fragil, l’artiste parle de la genèse de ses œuvres, du lien avec le film "Charlie et la Chocolaterie" et de son côté "mégalo".
Je me suis attardé sur cette image de la Révolution française pour traiter de sujets actuels, toujours en restant fidèle à mon côté anachronique et en mélangeant les époques entre elles pour n'en faire qu'une histoire.
F : Comment l’idée de faire cette exposition est venue ?
Lorsque Patricia Buck, chargée de programmation arts plastiques au Lieu Unique m’invita pour cette exposition, je ne me suis pas retrouvé en terre inconnue. Comme j’avais vécu à Nantes, je savais ce qu’était le Lieu Unique et son passé d’ancienne biscuiterie. C’était quelque chose qui me parlait, parce que j’avais en tête de faire quelque chose avec un décor d’usine depuis longtemps.
L’idée de la biscuiterie me rappela tout de suite la Chocolaterie de Willy Wonka. Lorsque j’ai vu « Charlie et la Chocolaterie » de Tim Burton avec Johnny Depp dans le rôle de Willy Wonka, je me suis dit : « Ça me ressemble. C’est moi ! » Quand j’étais étudiant aux Beaux-arts, je portais un peu la même coiffe, un haut de forme, donc c’était un peu l’image que j’avais pour beaucoup à Nantes. Pour ce retour au pays, il me fallait enfoncer le clou et en faire des tartines. On a longtemps ri de moi à cause de mon goût pour le déguisement, les costumes, comme si je n’étais pas un artiste, mais un excentrique qui fait de l’art. Je n’ai pas voulu montrer le contraire en revenant, je voulais en rajouter une couche et jouer encore plus de ce côté "mégalo".
F : Quel est le lien entre l’exposition et le Lieu Unique ?
Quand je suis arrivé dans cette grande cour de 1200 m2, j’ai vu ce petit pictogramme au-dessus de la porte représentant Louis XIV. Celui-ci est un personnage profondément ancré dans mon histoire. Lorsque j’étais en maternelle, je me prenais pour Louis XIV. C’est par lui que j’ai découvert le dessin : j’ai vu un portrait de Louis XIV dans le Larousse, et je n’avais de cesse de vouloir le redessiner. Ce sont mes premiers souvenirs quant à l’art, quant au désir de devenir artiste.
J’ai donc transformé cette grande cour en cour de Versailles. Ce n’était pas quelque chose que j’ai fait sans raison, j’ai aussi rejoué avec l’histoire de l’usine LU, qui n’a pas été qu’une biscuiterie, mais aussi une boulangerie. Pendant la première guerre mondiale, elle a ainsi été réquisitionnée pour fabriquer le pain de guerre.
Mais quel est le lien avec Versailles ? Simplement, pendant la Révolution française, le peuple surnommait le roi et la reine « le boulanger et la boulangère », et Versailles était ainsi « la boulangerie ». D’ailleurs, une anecdote raconte que Marie-Antoinette, à qui l’on avait dit « Le peuple manque de pain », aurait répondu : « Mais qu’ils mangent de la brioche ! »
Je me suis attardé sur cette anecdote de la Révolution française pour traiter de sujets actuels, toujours en restant fidèle à mon côté anachronique et en mélangeant les époques entre elles pour n’en faire qu’une histoire. Donc, je mélange l’imagerie de la Révolution française avec des faits divers, liés aux émeutes en Banlieue,par exemple. D’où cette tapisserie en toile de Jouy : au lieu de représenter des scènes baroques, bucoliques et champêtres, on voit apparaître derrière les feuillages des tours et des voitures qui brûlent sur fond de Banlieue, et des jeunes qui se font embarquer par la police.
Ce qui a toujours été mon but, c'est d'essayer de plaire à un maximum de personnes, et ne pas seulement m'adresser à une élite de l'art contemporain très hermétique.
F : Plus précisément, quel est le sujet de « Tanguy et la biscuiterie » ?
Je traite dans cette exposition de différentes crises, comme la crise des banlieues et les crises raciales. Le racisme est un facteur très présent dans certaines causes de rébellion de la population, et il est lié aussi à l’histoire de « Charlie et la Chocolaterie ». Dans « Tanguy et la biscuiterie », j’invite les spectateurs à pénétrer dans mon monde : je suis dans l’histoire un peu le "Willy Wonka" et les "Oompas Loompas" y sont représentés par des jeunes maghrébins, des jeunes beurs au milieu des petits beurres LU.
Lorsque l’auteur de « Charlie et la chocolaterie » (Roald Dahl, NDLR) a sorti son roman en 1964, il a fait scandale. Il a été censuré car il décrivait ces "Oompas Loompas" comme des esclaves pygmées, des petits nègres. J’ai rejoué avec ça en les symbolisant par des jeunes beurs, qui sont assez présents dans l’exposition. Le petit Charlie, qui gagne son ticket d’or dans l’histoire, devient le jeune Mehdi Chaoui, véritable muse de cette exposition et nouvelle star de l’artiste.
J’ai donc fait tout un travail sur les différentes crises, la crise économique également. Quand on entre dans cette usine, on voit une fresque dans la cour qui représente l’usine LU au 19ème siècle. Je me suis basé sur des photos de l’usine au 19ème siècle, avec tous ces ouvriers qui posent, auxquelles j’ai rajouté par ordinateur des banderoles contre la fermeture de l’usine - quelque chose de très actuel, qu’on voit tout le temps dans les médias. Et puis au premier plan, cette grande femme sexy qui montre ses cuisses pour essayer de faire oublier au peuple qu’il peut crever de faim, et ce petit bonhomme à côté dans l’ effigie du biscuit "petit écolier", peuvent nous faire penser à un couple français très célèbre. D’où cette grande fresque représentant une devanture de fête foraine qui illustre la phrase de Jules César, « du pain et du cirque » : pour éviter l’émeute du peuple, on essaie de le maintenir dans un état infantile, en lui offrant des jeux et un peu de nourriture.
Cependant, on va souvent me ramener sur le thème de la mégalomanie, de l’autoportrait. Mais je ne le prends pas au premier degré et dans mon histoire, c’est la rue qui gagne. Juste avant la sortie de l’exposition, on trouve la dernière œuvre : un jeune rebelle me projette une tarte à la crème dans la tronche, alors que je fuis « Tanguyland » en flammes sur mon char d’empereur - ce qui prouve que je n’ai pas peur de me ridiculiser.
F : Qu’est-ce qui est autobiographique dans les œuvres ?
Tout est autobiographique. Je vis avec mes œuvres, je suis investi à 300%. Les photos le sont aussi car les personnages représentés ont un lien direct avec ma vie. Mais le plus autobiographique dans l’exposition, c’est la série sur les moines, où je me représente en moine. Je suis moi-même un moine de l’art. Je suis reclus dans mon cloître, je passe mes jours et mes nuits entières à œuvrer seul derrière l’écran. C’est une vie de sacrifice pour l’art. Le seul moment où je peux vivre quelque chose de relationnel, c’est le moment où je me retrouve avec mes modèles. C’est devenu le côté le plus plaisant. Après des années de solitude, on finit par ne plus être fasciné par son travail et trouver une espèce de lassitude. Ce qui me porte, ce sont ces personnages que j’introduis dans mon œuvre, comme ici le jeune Mehdi.
F : Qu’est-ce vous voulez transmettre au public avec « Tanguy et la biscuiterie » ?
Comme on dit, une image pour mille mots, il y a mille images dans cette exposition, donc mille fois mille... Ce qui a toujours été mon but, c’est d’essayer de plaire à un maximum de personnes, et ne pas seulement m’adresser à une élite de l’art contemporain très hermétique. Beaucoup d’artistes contemporains font des travaux qui ne parlent qu’à eux- mêmes. Quand ils me traitent d’égocentrique, de mégalo, ça me fait rire, parce que leurs travaux sont incompréhensibles pour beaucoup. Moi, je suis "grand public", mais c’est ce que je veux, je veux être populaire. C’est pour cela que j’ai des références très populaires dans mon travail. C’est très kitsch et très baroque, c’est divertissant, c’est du « guignolage », certes, mais je l’assume. La preuve : depuis dix ans que le Lieu Unique existe, on m’a dit que, au bout de deux semaines, j’avais à peu près battu tous les records de visites. Je crois que ça se passe de commentaires.
Propos recueillis par Verena Schneider
Photos : Nicole Reinhardt
En savoir plus :
"Tanguy et la biscuiterie"
Exposition du 10 mars au 25 avril
Du mardi au samedi de 13h à 19h ; Dimanche : de 15h à 19h
Entrée libre
Le site du Lieu Unique
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