
Les Utopiales 2009
Demain, la fin du monde ?
Festival International de Science-Fiction de Nantes, du 28 Octobre au 1er Novembre 2009 à la Cité des Congrès
Chaque nouvelle journée en ce bas monde est propice à une déferlante de mauvaises nouvelles. Crise économique, montée en puissance du chômage, conflits mondiaux, attentats, réchauffement de la planète et autres dégâts collatéraux en tous genres rythment le quotidien des hommes de cette triste planète. À l’heure où nos sociétés vacillent plus que jamais, une question s’immisce dans nos petites vies d’occidentaux : et si la fin du monde était pour demain ?
2012
Pour les curieux de l’apocalypse promise par tant d’écrits de SF, une expérience amusante s’offre à vous. Il vous suffit de taper sur Internet cette idée loufoque qui erre sur la toile depuis quelques temps : « La fin du monde pour 2012 ». Telle serait la thèse avancée par certains esprits rationnels et d’autres beaucoup moins raisonnables. En tapant cette recherche sur l’immensité du net, une multitude de sujets viennent vous surprendre. C’est en partant de cette date fatidique que les Utopiales ont eu l’excellente idée de consacrer une de leurs nombreuses tables rondes à ce thème ambitieux qu’est la fin du monde en science-fiction. Réunissant Stéphane Beauverger, Norman Spinrad, Pierre Lagrange et Fabien Vehlmann, cette table ronde prit très vite des allures inattendues où l’on vit surgir chez ces auteurs un plaisir particulier à tuer le monde pour mieux le reconstruire.
La prophétie d’une des plus grandes civilisations que la Terre ait jamais portée voudrait que la fin du monde soit prévue pour 2012. Selon les Mayas, le monde prendrait fin en même temps que leur calendrier en cette date fatidique du 21 décembre 2012. Ce sujet apocalyptique fait parler de lui jusque dans les sphères scientifiques, mais aux Utopiales, les auteurs ont préféré développer leurs fins du monde. Des fins singulières où la noirceur de l’âme humaine n’est jamais très loin.
Norman Spinrad évoque dans Il est parmi nous, son dernier roman, l’anéantissement de la biosphère. Chez lui, l’explosion du monde est perçue sous un œil amusé et ravageur qui finalement ne fait que pointer du doigt les méandres des problèmes actuels. Sans concession, Spinrad déclare avec conviction sa croyance en un avenir qui ne sera, finalement, que le produit des actes présents. Tandis que l’Américain laisse sa chance à l’humain, le Français Stéphane Beauverger se plait à dévaster le monde par un virus militaire dans Chromozone. Il y explore ce qu’il a sous les yeux quotidiennement « la bêtise humaine » dit-il. Moins saltimbanque que Spinrad, Beauverger se pose cette ultime question : « Que se passe t-il quand chaque individu est obligé de survivre une fois le système sombré à jamais ? ».
Selon les Mayas, le monde prendrait fin en même temps que leur calendrier en cette date fatidique du 21 décembre 2012
Apocalypse Now
Pour la première fois depuis des années d’amélioration des conditions de vie, l’homme s’attriste à penser au devenir de sa progéniture. Une chose nouvelle et inattendue vient bouleverser nos petites vies confortables : la nouvelle génération risque de vivre moins bien, et par conséquent moins sereinement, que l’ancienne. Après deux Guerres Mondiales, après la tragédie de l’Holocauste et d’Hiroshima, après des conflits sans fin et des découvertes dévastatrices, nous voilà en capacité de produire la fin du monde. Jadis, dans des années de plein essor économique, on craignait l’attaque atomique. Aujourd’hui, c’est la crainte du problème écologique qui nous gagne tous et nous concerne tous. Prise de conscience tardive d’une fin du monde produite et déclenchée, sans véritablement en avoir conscience, par la main de l’homme.Ce changement radical est parfaitement perçu par les auteurs de SF. « L’humanité serait donc au bout du rouleau » lance Fabien Vehlmann à ses interlocuteurs. Oui, la planète Terre fatigue mais la littérature de science-fiction survient pour la soulager. Les auteurs parlent de leur travail, de cette littérature qui les pousse à se poser de vrais questions : maintenant que chacun sait la catastrophe imminente comment survivre ensemble si rien ne va plus ?
Même si chacun des invités présents à cette table ronde défend sans aucun doute cet aspect engagé de la science-fiction, aucun d’entre eux n’oublie de mentionner l’aspect presque jouissif de détruire le monde dans sa globalité. Ainsi, on voit naître un artiste démiurge épris de liberté et de plaisir. Le plaisir, il le puise dans la destruction de son univers, un univers qui n’appartient qu’à lui et qui, par conséquent, devient sujet de sa nécessité de catharsis. Chez d’autres comme Fabien Velhmann ou Pierre Lagrange, l’auteur de SF prend un plaisir particulier à anéantir un monde qu’il dédaigne totalement. Ainsi, la SF prend soudainement des airs de révolution du futur où l’auteur, démiurge encore une fois, assassine avec plaisir un monde qu’il rejette en bloc.
Dans la conversation, un des auteurs laissera échapper cette phrase tragique de vérité : « De toute façon, c’est déjà l’apocalypse pour une partie de ce monde ». En cette envie secrète et inconsciente d’extinction de l’humanité, Pierre Lagrange dévoile cette furieuse envie dissimulée de reconstruire un monde meilleur. « Une apocalypse soft » où l’on ferait table rase du passé pour repartir sur des bases saines. À cet instant du débat, il flotte alors sur la science-fiction une tension majeure de l’histoire de l’humanité : la lutte éperdue contre les inégalités. Et si la fin du monde signifiait l’avènement d’un monde meilleur ?
Pour la première fois depuis des années d'amélioration des conditions de vie, l'homme s'attriste à penser au devenir de sa progéniture
Alors que Spinrad compare avec amusement l’écriture de la fin du monde à un orgasme entre-mêlant plaisirs et désirs intellectuels, émotionnels et esthétiques, Stéphane Beauverger avoue sa préférence pour la suite des événements. « La destruction est intéressante mais la suite encore plus ». Chez Beauverger, le pessimisme fait rage pourtant il y demeure cette foi imperturbable en l’humain. « L’humain est toujours apte à survivre même dans quelque chose d’ignoble. Il est adapté pour encaisser même dans des conditions inacceptables ». L’auteur souligne que la grande et terrible histoire de notre monde le prouve à multiples reprises. Finalement, la science-fiction ne fait que puiser sa source dans les horreurs commises par l’homme. Les récits terrifiants de SF comparés à l’horreur des camps de concentration ou de Nagazaki paraissent bien insignifiants. Ce monde pourri, chacun de nous contribue à sa création et à son évolution permanente.
Le Jour d’après
Les studios hollywoodiens remplissent les salles obscures de scénarios catastrophes. Les cataclysmes cosmiques et les extraterrestres reviennent comme des leitmotiv hanter les cerveaux et apeurer les terriens. La voix dramatique d’Orson Welles, sur CBS, annonçant l’invasion des Martiens n’avait-elle pas réussit, en l’espace de quelques secondes, à paniquer l’ensemble des citoyens américains en 1938 ? Si une telle supercherie se reproduisait aujourd’hui, ne serions-nous pas tous dupes ? À force d’imaginer les pires hypothèses sur une éventuelle fin du monde, l’homme en est venu à négliger son rôle dans cette conséquence finale. Les auteurs soulignent ce défaut de l’âme humaine qui a tendance à rester sur cette idée préconçue d’une apocalypse spectaculaire. Or, il y a une grande ambiguïté dans le terme Apocalypse. Comme l’explique le dessinateur, Fabien Velhmann, l’apocalypse sous-entend la fin d’un certain monde et non pas un appel à la mort du monde. Dans le terme apocalypse, utilisé à sa juste valeur dans La Bible, on a tendance à oublier l’importance du « jour d’après ». Ainsi, l’apocalypse englobe l’événement dans sa totalité, elle définit ce qui arrive et et ce qui arrivera par la suite. Cette vision apocalyptique, à force d’être fantasmée, a perdu sa véritable définition. La fin a débuté depuis bien longtemps, la machine folle est en marche et plus rien ne semble l’arrêter.
À force d'imaginer les pires hypothèses sur une éventuelle fin du monde, l'homme en est venu à négliger son rôle dans cette conséquence finale.
En attendant, Norman Spinrad fait de cette fin du monde un outil littéraire, qu’il se plait à utiliser pour la dualité de son caractère, à la fois excitant et terrorisant. Stéphane Beauverger, quant à lui, fait de cette fin du monde une occasion unique pour mettre à l’épreuve les convictions humaines et imaginer un retour possible vers les solutions politiques ou, dans le pire des cas, vers des solutions radicales. Pierre Lagrange voit en cette fin terrifiante la possibilité optimiste de voir subsister une flamme vivace, celle de l’espoir, « un désir sous-jacent qui viendrait bâtir un monde meilleur ». Chacun à sa manière esquisse une fin du monde où l’humanité sera presque anéantie et où les quelques survivants devront repartir à zéro. Une possibilité de voir tout disparaître pour mieux recréer de nouveau.
Après avoir remué les désirs et plaisirs des auteurs de SF à écrire la fin du monde, une ultime idée noire survient dans le débat : nul thème n’est plus révélateur de l’idée que se fait l’auteur de l’homme et de sa place dans l’univers que la fin du monde. Imaginer cet instant, l’esquisser par n’importe quel art, exprime avant tout une certaine lassitude de l’existence. Fabien Velhmann, avec son franc-parler, ose avouer cette vérité sur l’immortalité tant recherchée par certains : « En vérité, la vie nous ferait royalement chier si elle était sans fin ». Supposez une vie dépourvue de toutes frontières où le concept de fin serait inexistant. Dans un tel contexte, l’humain serait inévitablement soumis à une certaine lassitude. Sans date butoir, il n’aurait aucunement envie de s’aventurer à vivre sa vie sans modération. Telle est la théorie avancée par le jeune Fabien Velhmann. Une théorie aux traits existentialistes qui vient clore un débat toujours en mouvement, susceptible de ne jamais se refermer.
Entre délivrance et tragédie, la fin du monde fut sans cesse visitée par la science-fiction. Esprits fous ou rationnels l’ont imaginée par fantasme ou par crainte. Sur papier ou sur pellicule, elle ne cesse d’effrayer par sa vérité tragique si bien définie par Paul Valéry dans La Crise de l’Esprit : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Et nous devons vivre avec ce savoir.
Texte : Eloïse Trouvat
Photographies : Patrice Molle
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