Festival des 3 Continents 2009
Dentiste paumé, karaoké et cochon ailé
Rencontre avec Meiske Taurisia, productrice de Blind Pig who wants to fly
Blind pig who wants to fly de l’Indonésien Edwin fait partie des belles découvertes du Festival des 3 Continents 2009. Lauréat de la Montgolfière d’argent et du prix du Jury jeune, ce film, qui traite pourtant d’un sujet difficile (le déni de l’identité de la minorité chinoise d’Indonésie), a su séduire le public nantais. En mêlant humour et images choc, le jeune réalisateur signe un premier long-métrage audacieux.
À seulement 31 ans, Edwin est un habitué des festivals internationaux. Dès 2005, son court-métrage Kara, daughter of a tree lui vaut d’être invité à Cannes pour la Quinzaine des Réalisateurs. Après 6 courts-métrages, il décide de réaliser son premier film avec à ses côtés la productrice Meiske Tauresia, devenue sa complice au fil de leurs collaborations. Lorsqu’on demande à cette dernière les raisons qui ont poussé Edwin à choisir un tel sujet, elle nous explique que le problème d’intégration de la minorité chinoise en Indonésie est « un sujet qui lui tient à cœur ».
Appartenant tous deux à cette communauté, ils ont connu l’enfer de la fin des années 90 (le 14 mai 1998, des émeutes anti-chinois à Jakarta ont entraîné la mort de plus de 1000 personnes) et la discrimination latente des années 2000 : « La situation s’est améliorée, mais on ne parle pas beaucoup de ce qui s’est passé. C’est tabou. L’impact émotionnel est important, même 11 ans après ». Le film a d’ailleurs divisé les spectateurs indonésiens, les uns arguant qu’il était important de parler de ce thème, les autres voyant la relance du débat comme un problème.
Un dentiste fan de Stevie Wonder qui veut se convertir à l’Islam, un jeune homme qui rêve de devenir japonais, son amie qui mange des pétards et un cochon aveugle qui rêve de liberté
Un ton bien particulier
Avec son style caractéristique, Edwin montre le racisme ordinaire en jouant constamment avec les émotions. Une façon pour lui de contourner les difficultés rencontrées par la minorité pour exprimer son malaise : « Peut-être doit-on en passer par là, en abordant le sujet positivement », nous explique Meiske Tauresia. Un dentiste fan de Stevie Wonder qui veut se convertir à l’Islam, un jeune homme qui rêve de devenir japonais, son amie qui mange des pétards et un cochon aveugle qui rêve de liberté : le film nous raconte les histoires à la fois drôles et tragiques de ces êtres en quête d’identité, faisant constamment voyager le spectateur entre l’absurdité hilarante des évènements et la gravité de leur situation. Mais le ton employé par Edwin évite tout apitoiement sur la vie de ces personnages, Meiske Tauresia le voit comme « une façon de rire de la situation globale, comme si ce n’était qu’une mauvaise blague ».
L’ambiance troublante du film est parfaitement illustrée par une chanson, I just called to say I love you de Stevie Wonder, entonnée inlassablement tout au long du film par les personnages. D’abord incongrue, elle finit par devenir inquiétante, symbolisant le malaise ambiant. De l’aveu même de sa productrice, « Edwin hait cette chanson qu’on a beaucoup entendue dans les années 80 ». Une scène de karaoké quasi irréelle, où les paroles de Stevie Wonder sont plaquées sur des images des émeutes de 98, renforce encore un peu plus le décalage constant qui caractérise le film. Et la productrice nous le confirme : « Edwin a un humour très particulier ». C’est ce que doit penser le spectateur devant les images très crues de la rencontre entre un couple gay et le dentiste Wonderophile, comme si la confusion du personnage le plus marqué par son problème identitaire atteignait à ce moment précis son paroxysme. En 2005 déjà, dans Kara, daughter of a tree, l’histoire commençait par un coup de théâtre aussi absurde que comique : la mère de la petite fille éponyme mourait écrasée par un Ronald McDonald tombé du ciel. Autant dire qu’Edwin manie, depuis longtemps, l’humour noir.
L’image avant les mots
L’autre marque de fabrique d’Edwin est l’esthétique particulière de son film, où les dialogues sont très rares. Les études de graphisme d’Edwin y sont sûrement pour quelque chose. Le film s’ouvre sur un match de badminton filmé au ralenti puis les longs plans s’enchaînent, comme pour symboliser la lourdeur du contexte des Chinois d’Indonésie. Mais c’est avant tout la beauté des images qui prime : « Edwin aime jouer avec le visuel, il aime les expériences ». L’idée-même du film est née d’une seule image, imaginée par le réalisateur : la jeune Linda allumant la mèche d’un pétard placé dans sa bouche. Se basant sur son intuition, il expérimente et joue avec les images, à la fois picturales et violentes, belles et crues, ce qui ne peut laisser le spectateur indifférent.
Se basant sur son intuition, il expérimente et joue avec les images, à la fois picturales et violentes, belles et crues, ce qui ne peut laisser le spectateur indifférent
Libre comme un cochon aveugle
La fin du film n’en est pas moins troublante. Un cochon (le véritable héros du film ?), attaché à un piquet dans un champ, se débat, finit par se libérer puis s’enfuit vers un futur inconnu. Faut-il y voir une « happy end » ? Oui et non, selon Meiske Taurisia : « Nous voulions donner de l’espoir. Mais même si le cochon se libère, on ne sait pas s’il est vraiment libre ou s’il sera mangé. C’est une façon de poser la question : qu’est-ce que la liberté ? ». Jusqu’au bout, le film alimente donc la confusion, laissant le soin au spectateur de se faire sa propre idée. « L’important, c’est que les gens aiment le film », conclut la productrice. Avec deux prix remportés dans cette édition du Festival des 3 Continents, il semble que la mission soit accomplie.
Jean Annaix et Marina Parisot
Photo de Meiske Taurisia : Valérie Pinard
Plus d’infos :
Festival des 3 Continents
Site Myspace du film
Cet article a été réalisé conjointement par une équipe d’étudiants du Département Infocom de l’Université de Nantes.
Equipe : Solène Castex, Jean Annaix, Thomas Cléraux, Caroline Dubois. Coordination éditoriale et pédagogique : Emilie Le Moal.
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