Univerciné Cinéma Italien 2010
Pizzicata : sur un pas de Pizzica
Rencontre avec l’anthropologue Eugenio Imbriani
Dans Pizzicata, premier long-métrage du réalisateur Edoardo Winspeare sorti en 1996, le public nantais a pu découvrir le folklore de la région italienne des Pouilles et plus particulièrement une danse : la pizzica. Entièrement construit autour de cette dernière, le film nous plonge dans le Salento des années 40, en pleine Seconde Guerre Mondiale. Mais malgré une intrigue efficace, c’est bien la « pizzica  » qui tient le haut de l’affiche. Entretien avec Eugenio Imbriani, anthropologue italien venu présenter le film.
Décrit dans le programme du Festival Univerciné Italien comme une « plongée culturelle dans le sud de l’Italie », Pizzicata tient effectivement plus du tableau folklorique que de la comédie dramatique. L’histoire, bien que sympathique, ne semble être qu’un prétexte au voyage du spectateur dans une Italie rythmée par la danse et les chants. En plein conflit mondial et sous le joug mussolinien, une famille de paysans recueille un aviateur américain blessé. Ce dernier, Toni, d’origine italienne, va s’éprendre de Cosima, une des trois filles du paysan. Jusque là tout va bien. Le problème est que celle-ci est déjà promise à Pasquale, fils d’un riche propriétaire du coin. Et comme Toni n’est pas du genre à se laisser impressionner, l’affrontement semble inéluctable. Derrière cette histoire assez peu originale d’amours interdits, Edoardo Winspeare peint un véritable témoignage quasi intemporel de la culture locale.
Dans cette perspective, les premières images du film donnent le ton : le rythme assourdissant des tambourins accompagne les tarantatas, ces tarantullées en pleine transe qui dansent pour soigner la morsure de la tarentule. Au fil des siècles, un mythe est né, le tarantisme, et celui-ci persiste encore au cœur des Pouilles, situées dans le talon de la botte. De cette croyance est apparue la pizzica, sorte de tarantelle censée aider les jeunes femmes en pleine "crise" à évacuer le venin de l’araignée. D’aucun affirment que cette croyance teintée de superstition n’était à l’origine qu’un prétexte pour les danseurs italiens du 17ème siècle, afin de perpétuer sous l’oppression catholique les danses païennes traditionnelles.
Un mythe est né, le tarantisme, et celui-ci persiste encore au cœur des Pouilles
Une danse à travers les siècles
Eugenio Imbriani, anthropologue à l’université de Lecce venu présenter le film, explique que « le tarantisme a été une honte pendant des siècles » et qu’aujourd’hui, « il offre une réponse à la fois positive, musicale et poétique à une crise » qu’elle soit psychologique ou amoureuse. Il représente donc de nos jours un véritable (et très sérieux) remède à la dépression pour les jeunes femmes. Au-delà de ce phénomène comparable à l’exorcisme, la "pizzica" fait partie intégrante de la fête dans la campagne des Pouilles. Concurrencée aux 19ème et 20ème siècles par la mazurka et la polka qui offraient l’avantage aux danseurs de pouvoir se toucher, la pizzica est une danse et une musique dont les paroles parlent exclusivement d’amour et dans laquelle on retrouve la légendaire passion transalpine. Ces temps-ci, elle revient même de plus en plus à la mode, notamment chez les jeunes italiens qui voient fleurir les groupes folkloriques. Mais la pizzica d’aujourd’hui est différente de celle qu’ont pu connaître les anciens : « elle est jouée avec des rythmes trop forts », constate Eugenio Imbriani, « elle n’est plus reconnaissable pour les vieux musiciens ». Des grands festivals consacrés à cette danse ont même vu le jour depuis 10 ans comme la Notte della Taranta à Lecce qui accueille chaque année près de 200 000 spectateurs. Ils illustrent clairement le retour en grâce de cette tradition toujours plus populaire de l’autre côté des Alpes.
Le tarentisme et la pizzica sont devenus les expressions d’une identité locale et donnent vie à un héritage
Un tableau traditionnel réussi
Dans son premier film, Edoardo Winspeare prend donc le parti de reconstruire une ambiance plutôt qu’une intrigue : celle de l’Italie rurale des années 40, loin de la folie du régime mussolinien. « L’élément le plus important du film est la tentative de construction d’une image, d’une texture et d’une réalité qui n’existent plus » remarque Eugenio Imbriani qui ajoute que « le tarentisme et la pizzica sont devenus les expressions d’une identité locale et donnent vie à un héritage ». Ainsi, les chants, la musique et la danse sont les ingrédients principaux d’un film qui rend une sorte d’hommage à la culture des Pouilles. Si l’histoire du film a du mal à embarquer le spectateur, l’expression omniprésente du folklore est séduisante et cela sans tomber dans le passéisme. Pour Eugenio Imbriani, « le film donne vie aux ancêtres de cette imagination et les fils ont recréé les ancêtres ». Edoardo Winspeare l’a fait sans se fourvoyer et il est pourtant des exercices plus aisés.
Jean Annaix
Cet article a été réalisé conjointement par une équipe d’étudiants du Département Infocom de l’Université de Nantes.
Equipe : Solène Castex, Jean Annaix, Thomas Cléraux, Caroline Dubois. Coordination éditoriale et pédagogique : Emilie Le Moal et Renaud Certin.
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