
Rencontres de Sophie 2009
La philosophie de l’édition
A la rencontre de Cécile Défaut, éditrice nantaise
Les éditions Cécile Défaut, du nom de leur créatrice, est une petite maison d’édition nantaise qui publie principalement des essais philosophiques et relatifs au sciences humaines. Le festival Les Rencontres de Sophie, durant lequel elle était très présente, a été l’occasion pour nous de rencontrer Cécile Défaut et de l’interroger sur son métier d’éditeur et sur la place qu’occupe le genre philosophique dans la littérature française.
Pouvez-vous présenter votre maison d’édition ?
Les éditions Cécile Defaut fêteront leur cinquième anniversaire le 1er avril 2009. J’avais suivi une formation aux métiers de l’édition proposée à Nantes, puis travaillé comme assistante aux éditions Pleins Feux. J’ai sauté le pas en 2003 et j’ai créé ma propre maison d’édition qui compte aujourd’hui 64 titres à son catalogue. Parmi les derniers livres publiés : les actes d’un colloque consacré à Roland Barthes (Empreintes de Roland Barthes), un recueil de textes intitulé Colères d’écrivains et un volume sur L’Artère, l’une des oeuvres de l’artiste Fabrice Hyber.
Il est essentiel pour moi de ne pas être une maison d'édition régionale (...) Mais, en même temps, je tiens beaucoup à travailler avec des auteurs nantais et des institutions culturelles locales
Avez vous un domaine ou un genre littéraire de prédilection, et si oui pourquoi ce choix ?
Jusqu’à présent, je ne publie que des essais philosophiques, littéraires ou encore dans le domaine des sciences humaines (particulièrement la psychanalyse avec la collection "Psyché"). Comme à toute règle, il y a cependant une exception : j’ai fait paraître un grand classique de la littérature japonaise, Ora ga haru du poète Kobayashi Issa, qui vient d’ailleurs d’obtenir le Prix Konishi de la meilleure traduction, décerné par un jury franco-japonais.
Une petite maison d’édition ne peut se permettre de trop se disperser. Elle doit avoir une identité forte et clairement repérable par les lecteurs, les libraires, les critiques. Ce domaine des essais philosophiques et littéraires est de plus en plus délaissé par les grands éditeurs. Du coup, il y a un espace laissé libre pour des maisons comme la mienne. Cela permet à des livres d’exister, qui échappent un peu au formatage de plus en plus contraignant d’un marché du livre soumis à des impératifs de rentabilité qui entraînent une grande uniformisation de la pensée. Mais, s’il m’arrive de publier des ouvrages signés par des universitaires et même en collaboration avec des universités (celle de Nantes, Paris VIII, et tout dernièrement l’Institut Universitaire de France), je ne suis pas un éditeur universitaire. Je veux que mes livres constituent des invitations à la réflexion et à une réflexion en prise sur le monde d’aujourd’hui à travers les grandes questions qui nous concernent et nous touchent tous. Parmi les auteurs que j’ai publiés, il y a des philosophes comme Paul Valadier, Marcel Gauchet, Marcel Conche, des écrivains étrangers comme Kenzaburô Oé, (Prix Nobel japonais), des romanciers tels Philippe Sollers, Philippe Forest, des poètes comme Jean-Claude Pinson. Mais je dois avouer que je suis parfois tentée par l’idée de me lancer dans le roman.
Pourquoi participez vous aux Rencontres de Sophie ? Quel y est votre rôle ?
J’appartiens au comité scientifique des Rencontres de Sophie depuis leur création, à laquelle j’ai participé. Je contribue donc avec les autres membres à la définition des programmes de la manifestation. En tant qu’éditrice nantaise, il me semble important de contribuer à la vie culturelle de la ville dans le domaine de la littérature et de la philosophie - où il me semble que beaucoup de choses restent encore à faire. Il est essentiel pour moi de ne pas être une maison d’édition régionale : d’ailleurs mes livres sont diffusés nationalement et certains d’entre eux sont traduits à l’étranger. Mais, en même temps, je tiens beaucoup à travailler avec des auteurs nantais et des institutions culturelles locales de manière à mettre à profit les vraies richesses - trop inexploitées- d’une ville où vivent des philosophes et des écrivains de premier plan. Les rencontres de Sophie me donnent l’opportunité de faire paraître le texte de conférences qui y ont été prononcées : ainsi celles de Jackie Pigeaud, Paul Valadier ou Jean-François Mattei sur la crise de la pensée.
Quelle est la teneur de votre collaboration avec Guillaume Durand, le président des Rencontres de Sophie ? [1]
C’est Guillaume Durand qui pilote la manifestation des Rencontres de Sophie. Il dirige également chez moi une collection intitulée "La chose à penser" - où il a publié un texte sur Whitehead dont il est l’un des meilleurs spécialistes et dont le principe consiste à y reprendre des grands classiques (parfois oubliés ou méconnus) en les faisant présenter par des auteurs d’aujourd’hui. Nous avons ainsi repris des oeuvres de Mallarmé, Kant, Pascal et bientôt Jean Bodin.
Participez vous à d’autres manifestations du même genre que les Rencontres de Sophie ?
Pas en m’y impliquant autant mais je publie souvent des textes issus de manifestations comparables qui se sont tenues dans la région (à l’Université de Nantes, au Manège de la Roche-sur-Yon ou bien sous l’égide de la Société Angevine de Philosophie) ou bien ailleurs en France. Ainsi le très gros volume consacré à Deleuze et les écrivains est-il issu d’un colloque qui a eu lieu à la Villa Gillet de Lyon. Le colloque sur Barthes qui vient juste de paraître est tiré d’une manifestation organisée l’an passé à la Sorbonne par l’INA.
Pensez vous que la philosophie est un genre qui a toute sa place en littérature ?
La vraie philosophie appartient à la littérature. Et la grande littérature n’est pas étrangère non plus à la philosophie. D’ailleurs, le genre de l’essai relève à la fois de l’un et de l’autre de ces deux domaines. C’est pourquoi, par exemple, dans la collection "La chose à penser", vous trouverez à la fois des textes de Mallarmé et de Kant, de Pascal et de Whitehead.
Le public est-il très réceptif à ce genre littéraire ?
Je veux que mes livres constituent des invitations à la réflexion, à une réflexion en prise sur le monde d'aujourd'hui à travers les grandes questions qui nous concernent et nous touchent tous.
Je crois que les lecteurs sont de plus en plus fatigués de la pensée toute faite qu’on leur impose dans la société actuelle et que, du coup, ils éprouvent et retrouvent une curiosité pour la réflexion plus singulière que peuvent leur proposer des auteurs libres et exigeants - à condition toutefois (et je suis très attentive à cela) qu’ils le fassent avec le souci de développer une pensée vivante, accessible, tournée vers des vraies questions, en rompant avec le jargon stérile et l’hermétisme vain dans lequel se complaisent parfois trop les philosophes et les littérateurs professionnels. C’est en tout cas le pari que j’ai pris.
Quels sont vos projets pour l’année à venir ?
Parmi les prochaines publications, on trouvera un livre un peu polémique sur l’avenir de la psychanalyse et les menaces auxquelles celle-ci se trouve confrontée, un ouvrage collectif consacré au rapport à l’art de Jacques Derrida, un essai sur les relations littéraires et esthétiques entre la France et le Japon. J’espère également pouvoir publier certaines des conférences des récentes Rencontres de Sophie. Je ne vous cache pas que la situation est actuellement de plus en plus difficile pour les petits éditeurs indépendants et qu’une maison d’édition comme la mienne se trouve constamment sur le fil du rasoir et que, malgré la reconnaissance croissante qu’elle connaît et dont je suis heureuse et fière, elle vit en permanence sous la menace de disparaître. Comme je le disais au début de notre entretien, je me prépare à célébrer les cinq ans de mon entreprise. J’espère que nous pourrons faire à nouveau le point dans un prochain entretien pour son sixième, son septième, son dixième anniversaire...
Interview : Juliane Rougemont
Photos : Aurèle Hardouin
Infos :
Editions Cécile Défaut 6 ter Passage Louis Levesque 44000 Nantes. Tél : 02.40.35.13.88.
Les Rencontres de Sophie sont organisées par l’association Philosophia, et se déroulent chaque week-end de mi-mars au Lieu Unique de Nantes.
Tous les articles des Rencontres de Sophie Vivre et Mourir
Vieillir et mourir, est-ce bien naturel ?
Interview vidéo de André Klarsfled, biologiste
Conférence de Jacques Ricot, philosophe
Fin des âges ou lutte des âges
Conférence de Pierre-Henri Tavoillot, philosophe
Relations entre la vie et la mort. Difficultés, hypothèses et enjeux
Conférence de Frédéric Worms, philosophe
Les éditions précédentes des Rencontres de Sophie
2007 Le Bien et le Mal
Tous les articles de l’édition 2007 Le Bien et le Mal
2008 Images
Tous les articles de l’édition 2008 Images
[1] Guillaume Durand, professeur de Philosophie, est le président de Philosophia, l’association porteuse des Rencontres de Sophie
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses