
Rencontres de Sophie 2009
Fin des âges ou lutte des âges ?
Une nouvelle philosophie des âges de la vie, par Pierre-Henri Tavoillot
Notre époque semble avoir perdu toute notion de l’âge. Dans le cadre des Rencontres de Sophie, Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences à l’Université de Paris-Sorbonne, aborde ce thème des âges de la vie, un classique en philosophie. Partant du constat simple et clairement énoncé d’un bouleversement majeur des âges dans notre société, il pose la question du rôle de chaque âge dans la recherche du sens de la vie.
Les rencontres de Sophie ont été l’occasion, le temps d’une conférence, de réfléchir sur les âges de la vie, avec en fond la question de la façon dont on doit conduire notre vie. Pierre-Henri Tavoillot -maître de conférence en philosophie à Paris- nous propose une actualisation de ce thème classique de philosophie, à la lumière des changements de la société.
Le chamboulement des âges
Il part du constat que nous faisons tous d’un bouleversement majeur de notre époque, dans son rapport avec les âges. Aujourd’hui, il semble que l’on n’ait jamais le bon âge. Dans la famille, les enfants doivent être en avance, et les adultes refusent de fêter leur anniversaire. Dans l’entreprise, les employés sont des juniors jusqu’à trente ans mais ne deviennent des seniors qu’à trente-cinq ans. Au niveau de la cité, l’âge adulte débute légalement à dix-huit ans, alors que de nombreuses études sociologiques montrent que les jeunes restent de plus en plus longtemps chez leurs parents. De ce chamboulement des âges, Pierre-Henri Tavoillot fait deux interprétations concurrentes. Soit on assisterait à une disparition des âges de la vie, parce qu’à chaque âge, on veut avoir à la fois l’innocence de l’enfance, l’assurance de l’âge adulte et la sagesse de la vieillesse. Soit les âges sont au contraire de plus en plus marqués comme le montre les conflits générationnels qui se perpétuent dans toutes les sphères de la vie. Ces deux analyses se rejoignent dans leur contraste, sur le constat d’une crise inédite de l’âge adulte traditionnellement envisagé comme le moment d’accomplissement de l’existence.
l’âge adulte serait alors un démon de midi, dont on ne peut qu’aspirer à sortir
Une crise inédite de l’âge adulte
Pierre Henri Tavoillot identifie trois éléments pouvant expliquer cette crise. La société exclusivement masculine du dix-neuvième siècle a du mal à s’adapter à l’arrivée des femmes. L’école de l’époque formait des adultes, père de famille, entrepreneur, employé ou ouvrier, et citoyen. Avec des femmes devenues citoyennes et actives, la conception masculine de l’adulte est bousculée. Le second élément concerne un changement de la durée des âges de la vie. L’adolescence dure plus longtemps et corrode l’âge adulte, alors que, grâce aux progrès de la médecine, on peut désormais être âgé sans être vieux. Et c’est dans cette période réduite en amont et en aval que l’on doit tout accomplir : réussir sa vie familiale, professionnelle et sociale.
L’âge ne se cherche plus dans des fixations sociales, il se situe dans l’ «identité narrative»
L’adulte subit ainsi une pression extraordinaire qui ne peut que le conduire à la dépression, soit parce que ses objectifs ne sont pas atteints, soit parce qu’il les a atteints et n’a plus rien à espérer. Pour Pierre Henri Tavoillot, l’âge adulte serait alors un démon de midi, dont on ne peut qu’aspirer à sortir. Le troisième élément est lié à la modernité démocratique, qui place la perfectibilité au centre de ses préoccupations et renie le passé. Les sociétés traditionnelles conservatrices considéraient que c’était la vieillesse qui donnait un sens au présent. Avec l’avènement de la démocratie, l’avenir a plus de valeur que le passé. Or, cet avenir fait l’objet aujourd’hui de doutes et d’incertitudes, si bien qu’on ne sait plus vers quoi se tourner. Derrière cette crise des âges et de l’âge adulte en particulier, se profile la question du sens de la vie.
A la recherche du chemin de la vie
Il est généralement admis que la vie se construit par étapes. Selon Pierre Henri Tavoillot, trois modèles donnaient traditionnellement une boussole et une carte à ce chemin. La tradition était un premier repère, le présent tirant son sens du passé. En second lieu, la croyance religieuse pouvait aussi être un guide de la vie, grâce à l’accès à la vie après la mort qu’elle autorise. Un troisième cap était donné par les écrits grecs et orientaux qui recommandent la recherche de l’harmonie avec le cosmos. Or, ces trois guides se sont effrités au cours du temps. Le passé n’est plus considéré comme une référence, la splendeur de Dieu n’est plus aussi évidente et l’ordre du monde est troublé. Vers quelle référence peut-on se tourner aujourd’hui ?
Disparition ou reconfiguration des âges de la vie ?
La disparation des âges voudrait dire que la vie ne se construit plus par étapes. Or, constate Pierre-Henri Tavoillot, les étapes demeurent. Elles sont simplement plus tardives et moins tranchées. L’âge ne se cherche plus dans des fixations sociales, il se situe dans l’ « identité narrative » ou le sentiment personnel de chacun.
L’idéal de l’adulte demeure. Pierre-Henri Tavoillot identifie trois substantifs qui expriment le rapport de l’adulte au monde, aux autres, et à lui-même. L’adulte est expérience, responsabilité et authenticité. L’expérience traduit le sentiment d’avoir suffisamment expérimenté pour pouvoir faire face à ce qui n’a jamais été vécu. La responsabilité, seconde caractéristique, réside quant à elle, dans la capacité de s’occuper d’autrui, de donner et non plus de prendre. Enfin, l’authenticité est la réconciliation avec soi, en s’acceptant tel que l’on est. L’âge adulte existe toujours, mais il n’est plus un habit que l’on endosse. Il devient un processus de « maturescence », une quête de l’épanouissement personnel.
Amélie Malafosse
Photos : Aurèle Hardouin
Pour en savoir plus :
Pierre-Henri Taviollot enseigne la philosophie à l’Université de Paris-Sorbonne et à Sciences Po’, il est aussi président du collège de philosophie.
Il a publié : Le développement durable de la personne (2007) ; Philosophie des âges de la vie, pourquoi grandir, pourquoi vieillir ? avec Eric Dechavanne (2008) ; Les grandes réponses politiques de la philosophie (2009)
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