A la rencontre des jeunesses ? Episode 1
Ils n’ont pas le bac, mais ils ont des idées
Ils aimeraient être professeur, médecin ou historien. Pour l’heure, ils veulent surtout prendre la parole, participer au débat social et à la vie de la cité. Juliane, Bastien, Antonin, Simon et Nicolas sont membres d’un syndicat lycéen. Portraits croisés de cinq jeunes qui n’attendent pas le droit de vote pour s’engager en politique.
On les juge volontiers individualistes, apolitiques ou moutonniers. Les idées reçues sur les jeunes en politique sont coriaces. Pourtant certains d’entre eux ont choisi de défendre leurs idées avec détermination, parfois ambition. Juliane, Simon, Antonin, Bastien et Nicolas ont entre 16 et 18 ans. Ils sont lycéens à Nantes, Tours ou Blois, et adhèrent à un syndicat lycéen. Ces associations participent à la vie citoyenne des établissements et sont parfois consultées par le ministère de l’Education.
Le cinéma, la musique et les sorties, ces jeunes ne s’en privent pas. Mais aux révisions, aux contrôles et aux bacs blancs s’ajoutent les assemblées générales, les manifestations, le tractage. « En arrivant au lycée, j’avais vraiment envie de m’engager en politique, explique Juliane, en première scientifique à Tours. Ce qui m’a plu à l’UNL (gauche), ce n’est pas seulement l’organisation des mouvements sociaux, mais aussi le militantisme au quotidien, ajoute la jeune fille. Nous défendons les droits des lycéens, qui sont peu connus. » La proximité, c’est également ce qui intéresse Nicolas, membre de l’UNI (droite) à Nantes. « Nous sommes au service des jeunes, affirme ce blondinet gouailleur. L’UNI peut les renseigner, les orienter pour les inscriptions. Sur le terrain, on marche beaucoup au bouche-à-oreille : on s’appelle entre nous pour se partager les tracts. »
Je suis plus Adam Smith que John Maynard Keynes, mais expulser toute une famille parce que la mère n’a pas de papiers, je trouve ça dingue.
Des tracts qui ne défendent pas un discours uniforme. Au-dessus des cortèges qui déambulaient en décembre, contre la réforme du lycée de Xavier Darcos, ministre de l’Education, flottaient les drapeaux de la FIDL et de l’UNL, les deux principales organisations lycéennes de gauche, proches du Parti socialiste. A leurs côtés marchait également Sud Lycéen, association créée en 2005, aux aspirations libertaires et attachée à son modèle d’autogestion. Une contestation désapprouvée par l’UNI, l’association historique de droite, et UMP Lycée, qui n’a pas de statut syndical mais compte bien promouvoir la politique de Nicolas Sarkozy à la sortie des établissements.
Que les cheveux soient longs ou courts, les idées, elles, sont coupées au carré. A votre gauche, Juliane (UNL) fustige « la casse du service public », prône l’instauration d’une taxe sur les stocks-options pour combler le déficit de la Sécurité sociale. A votre droite, Bastien (UMP Lycée), scolarisé à Nantes, défend la « valeur travail » et se déclare « pour la mondialisation ». Seul Nicolas tempère son discours : « Je suis plus Adam Smith que John Maynard Keynes, mais expulser toute une famille parce que la mère n’a pas de papiers, je trouve ça dingue. » Quant à Antonin et Simon, qui militent à Blois sous la bannière de Sud Lycéen, leur engagement est tout-terrain, puisqu’ils manifestent également en soutien à la Palestine, participent aux réunions de Réseau éducation sans frontière et des Anciens combattants de la Résistance.
Avec mes potes, on parle tout le temps politique
Même un peu préconçues, les idées sont défendues avec énergie. Pendant la mobilisation contre la réforme du lycée, Antonin, Simon et les autres adhérents de Sud Lycéen ont distribué plusieurs milliers de tracts. C’est également à cette époque que Juliane a intégré le bureau national de l’UNL, où elle s’occupe des questions internationales. « Avec mes potes, on parle tout le temps politique, déclare Antonin, qui apprécie Sud Lycéen parce que « chacun peut exprimer ses idées ». « A l’UNI, on ne fait pas que du militantisme. Il y a aussi beaucoup de relationnel, ajoute Nicolas. En dehors des actions, on se retrouve pour faire des bouffes ». « C’est un enrichissement personnel extraordinaire, beaucoup de rencontres », s’emballe même Juliane, au retour d’une assemblée générale à Paris. Tous s’intéressent à l’actualité, et Simon, passionné d’histoire, goute aux écrits de Marx, Lénine, Proudhon. Au même titre qu’un club de foot, un syndicat lycéen créé des affinités, une émulation qui permet de dépasser l’horizon du baccalauréat.
Aujourd’hui, tu ne vas pas en cours. Je t’emmène à la manif’
La politique a quelque chose de génétique chez ces lycéens. Ils se sentent proche des idées de leurs parents, et le débat d’opinion s’invite régulièrement aux dîners en famille. Les parents d’Antonin sont eux-mêmes engagés dans un syndicat enseignant. Encore au collège, Simon accompagnait sa grande sœur aux manifestations. Quant à Juliane, elle se souvient très bien de son baptême politique. « Un matin, mon père est venu me voir et m’a dit : « Aujourd’hui, tu ne vas pas en cours. Je t’emmène à la manif’. »
Les jeunes essaient de ne pas penser à leur avenir
Pourtant l’époque inciterait plutôt au mutisme. Le bilatéralisme idéologique et l’émancipation des Trente Glorieuses appartiennent à l’histoire. Les lycéens d’aujourd’hui trouvent sous les pavés un monde éminemment plus complexe que celui de leurs parents. « Il y a un énorme malaise dans ma génération, confie Juliane. On a le sentiment d’être fuis comme la peste, ajoute-elle. Si l’alcoolisme fait des ravages chez les jeunes, je pense que c’est en partie parce qu’ils essaient de ne pas penser à leur avenir : galérer à trouver un boulot, un logement, à se nourrir, se soigner. »
Inutile de boire pour avoir une vision trouble de l’avenir, quand on voit l’accueil réservé aux jeunes sur le marché du travail. Après le bac, l’un aimerait étudier la science politique, l’autre l’informatique ou l’histoire. Le métier, lui, est encore loin. Médecin, historien, webmaster, professeur. On verra.
Ces militants précoces n’épargnent pas non plus leurs contemporains. « Mes amis me disent que si tout le monde était engagé, ce serait bien. Mais eux ne font pas grand-chose non plus », s’amuse Antonin. « La majorité des lycéens bloquent leurs établissements pour ne pas aller en cours. Beaucoup n’ont pas d’argument, et connaissent à peine la réforme du lycée », raille Nicolas.
Il ne s’agit pas de sauver le monde, mais de se mobiliser à notre niveau
Eux non plus n’ont pas vocation à être des politologues. Leur place est au sein de leur génération. Juliane use les sièges des Studios, le cinéma indépendant de Tours. Tous les ans, Simon parcourt les étalages du festival des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, et Antonin gratte sa basse dans un groupe de métal. Certains ne refuseraient pas un mandat municipal dans leur vie d’adulte, mais la politique reste une passion, pas un plan de carrière. « Il ne s’agit pas de sauver le monde, mais de se mobiliser à notre niveau », résume Bastien. La prochaine étape sera franchie en 2012, quand ces cinq militants ajouteront une nouvelle arme aux tracts et aux banderoles : le bulletin de vote.
Enquête : Timothée Blit Photo de Une : Aurélia Blanc Photos en colonne : Timothée Blit
"A la rencontre des jeunesses ?" une série d’articles de Timothée Blit et Pascal Couffin pour le magazine Fragil.
La jeunesse s’agite contre Darcos, un portfolio d’Aurélia Blanc.
Qu’est-ce que la jeunesse ? Quelles sont les conditions de vie des jeunes adultes ? Quelles difficultés rencontrent les 15-30 ans dans l’emploi, face au logement ? Quel est leur niveau de vie ? l’Observatoire des inégalités dresse le portrait des 15-30 ans, aux premières loges de la crise de l’emploi et du mal logement.
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Les lycéens s’engagent en nombre
Le climat social n’y est peut-être pas étranger. Les syndicats lycéens séduisent les jeunes, de plus en plus nombreux à y adhérer. La FIDL prétend avoir plus de membres qu’à la fin du mouvement contre le CPE, et UMP Lycée, s’il n’est pas un syndicat, ouvre une nouvelle voie pour s’initier à la politique.
Les syndicats lycéens se portent bien. 7000 adhérents à la FIDL (gauche), 6000 à l’UNL (gauche), 4600 à l’UNI (droite), 850 à Sud Lycéen (gauche), qui existe seulement depuis 2005. « On n’a jamais eu autant d’adhérents, se réjouit Alix Nicolet, présidente de la FIDL, qui revendique « 1000 membres de plus qu’à la fin du CPE ». UMP Lycée, une antenne des Jeunes Populaires créée en septembre, est implantée dans plus de 43 départements, et espère couvrir la totalité du territoire national avant la fin de l’année. Si cette organisation n’a pas vocation à participer aux Conseil de vie des lycéens, elle s’ajoute aux associations qui invitent les jeunes à se réunir, débattre, agir dans leurs établissements pour défendre leurs droits, leurs idées, et pas uniquement lors des mouvements sociaux.
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