
Rencontre avec Bertrand Burgalat
Un outsider involontaire, mais libre
Bertrand Burgalat offre trois soirs de musique pop teintée d’électronique et d’atmosphère sixties et seventies. Tricatel, le label dont il est le boss, est précieux dans le paysage sonore français. Lancé, en 1996, avec l’album de Valérie Lemercier, Valérie Lemercier chante, il a porté depuis des projets aussi différents que AS Dragon, April March (présente lors de ces trois soirs), Helena Noguerra, Michel Houellebecq, et récemment Les Shades. Le patron, après trois albums studios magnifiques et quasiment passés inaperçus, continue sa carrière solo, mais jette l’éponge pour la scène, et, avec une certaine ironie, intitule cette tournée “tournée d’adieu”, parce que “pour un artiste qui ne vend pas beaucoup, contrairement aux idées reçues, cela reste compliqué de monter une tournée”.
C’est suite à une proposition de Frédéric Sourice du lieu unique, à Nantes, de faire une résidence de trois soirs dans le cadre du festival Hors-Pistes, que Bertrand Burgalat décide de monter une “tournée d’adieu” de quelques dates. Dès lors, il s’entoure d’Olivier Cussac, Benjamin Glibert, Julien Barbagallo et Henning Specht, groupe précis et sophistiqué, mais aussi percutant lors des montées lyriques. Leurs concerts sont un enchaînement de chansons pop éclatantes et de titres plus aériens, qui démontrent les qualités de mélodistes de Bertrand Burgalat, et la préciosité de ses compositions. Au lendemain de la première soirée de concert, rencontre avec un homme généreux et passionné, mais empli de doutes et de désillusions.
Fragil : Vos albums sont très minutieux, précis, c’est un travail par petites touches, comment transposer ces albums sur scène ?
Je n’essaye pas de tout transposer parfaitement, mais d’être le plus fidèle possible aux harmonies des albums. Pour les arrangements des albums, j’écris les partitions et j’enregistre tous les instruments en studio, les uns après les autres, comme un mille-feuilles. S’il fallait le refaire sur scène exactement, ce serait un boulot énorme et assez ennuyeux. Donc pour les concerts, on est très précis sur les accords, de façon à bien servir la version scénique, sans se demander si c’est la même version que celle du studio.
Fragil : Après cette tournée « d’adieu » qu’en sera-t-il de la carrière discographique de Bertrand Burgalat ?
J’ai des phases de découragement, parfois, où je me dis “j’arrête tout”, mais en même temps ce que j’aime c’est faire de la musique. Il faut que ce soit une joie, la musique. C’est pour ça que les concerts, j’arrête. On a tendance, le label Tricatel et moi, à nous surestimer. On ne se rend pas compte des difficultés rencontrées. A chaque fois que l’on monte un projet, le plaisir de faire, d’enregistrer le disque est atténué par le fait qu’il faut vraiment se battre pour convaincre. Même s’il y a des gens qui nous suivent, nous n’arrivons jamais à être vraiment soutenus par les radios, par les magasins et a fortiori par les télés. Ce sont des verrous qu’il nous est impossible d’ouvrir, que se soit pour moi, pour Les Shades ou, avant, pour AS Dragon.
Je ne veux plus avoir à pleurnicher pour trouver des dates.
Quand on arrive à vendre 10 000 albums pour Les Shades, sans aucun soutien, je suis assez fier. Mais dans mon cas, je ne veux plus me battre, je ne veux plus avoir à pleurnicher pour trouver des dates. Si c’est compliqué de faire des concerts, je n’en fais plus, ce n’est pas grave. Si les magasins de disque considèrent que nos disques leurs font du mal, qu’ils perdent de leur temps avec nous, ce n’est pas grave, on les vend par correspondance et on arrive à quelque chose de complètement autarcique. C’est beaucoup plus agréable.
Fragil : Pour Tricatel, la question de la distribution, de la diffusion reste épineuse. Qu’apporte pour vous la démarche de Radiohead, Bloc Party, Nine Inch Nails, qui laisse les internautes définir les prix de leurs oeuvres ?
C’est très malin, mais s’il y a un groupe qui a été soutenu par la presse et les disquaires, c’est bien Radiohead ! De toute façon, internet ou pas, pour des gens comme nous, c’est toujours compliqué. On oublie souvent de dire que très peu de gens vivent de leurs disques, et qu’il y a dix ans c’était déjà le cas. Le disque ça fait vivre les presseurs de disque, les vendeurs d’instruments de musique, mais des musiciens qui vivent des royautés de leurs disques il n’y en a pas tant que ça.
Fragil : On pourrait, tout de même, éprouver une certaine injustice, quand on voit le succès aujourd’hui des Naast ou BB Brunes et l’indifférence dans laquelle on évolué les AS Dragon, et les difficultés des Shades. De la même manière pour le magnifique disque de Count Indigo, qui n’a bénéficié que de quelques passages radio sur Nova mais qui n’a pas fait grand bruit.
C’est un des disques dont je suis le plus fier. Ceux qui nous trouvaient passéistes à l’époque, en 2003, sont aujourd’hui en train de se bouffer du Amy Winehouse, qui fait du sous-Motown. Avec Count Indigo, on a essayé de faire une soul un peu futuriste, qui sorte des clichés R’n’B. Et on s’est pris la plus grosse claque qu’on ne se soit jamais prise. C’est ce genre de choses qui nous décourage. La seule solution, dans ces moments là, c’est de se replier dans notre coquille à enregistrer d’autres disques, en essayant de garder du plaisir à le faire.
Quand on arrive à vendre 10000 albums pour Les Shades, sans aucun soutien, je suis assez fier.
Maintenant, l’idée, c’est de perdre le moins de temps possible entre la réalisation et la diffusion. C’est l’un des objectifs pour Tricatel, à travers la réinstallation du studio, dans les Pyrénées. Je pense qu’une fois que ce sera prêt, j’essayerai de faire un maximum de projets et de les sortir de la manière la plus souple possible, avec un mélange de vente par correspondance et de téléchargement. Ce qui sera agréable, ce sera d’être plus instantanés dans la diffusion. C’est ce que Didier Wampas disait dans Rock & Folk : l’avantage du numérique, c’est de faire un morceau et de le mettre en vente deux heures après, ou du moins, le mettre en ligne en écoute libre.
Fragil : Compositeur, arrangeur, producteur pour d’autres interprètes, comment appréhendez vous ce travail ?
De la même manière. J’ai fait des chansons pour Christophe Willem, là je suis en train d’en faire pour Marc Lavoine, en fait, ça change assez peu. Quand je travaille avec les autres, je mets de l’amour propre, je veux que ce soit bien, mais je ne mets pas d’ego, je ne me dis pas qu’il faut que ça sonne comme du Burgalat, les choses doivent sonner d’une façon naturelle. Il m’arrive parfois de faire des commandes, mais il vaut mieux faire une commande assumée et faire un disque ambitieux, que de faire un disque en calculant.
Pour faire avancer le label, j’ai rarement refusé des propositions, je prends tout et après on voit. Il y a des expériences qui ne paraissaient pas appropriées et qui vont être vraiment intéressantes, et il y a des projets que l’on croit géniaux et dont on va être déçu. Souvent le meilleur moyen de voir si un projet est intéressant ou pas, c’est d’essayer de le faire. Par contre ce qui est marrant, c’est de voir que la même chanson portée par Christophe Willem ou Marc Lavoine peut se retrouver disque de diamant, alors que portée par moi, on va vendre entre 200 et 500 fois moins. En tout cas je suis bien placé pour voir que quand on fait une chose qui marche, cela ne tient pas qu’à nous.
Fragil : Mais vous ne décrochez pas le sésame, la reconnaissance que Benjamin Biolay a obtenu avec Henri Salvador, par exemple, grâce à vos productions pour Alain Chamfort, Katerine, Valérie Lemercier, Christophe Willem…
Dans le disque de Christophe Willem, c’est le remix d’une chanson de Zazie qui a cartonné. Si cela avait été une des miennes, je pense que j’aurais eu la même reconnaissance qu’un Benjamin Biolay. Mais ce n’est pas forcément souhaitable, on se retrouve comme Gonzales, qui pendant trois ans après le premier album de Feist, a du répéter la même recette, et c’est difficile. Pour moi, ce côté outsider, ce n’est pas un choix, mais il n’a pas que des mauvais côtés. Le bon côté, c’est qu’on est très libre.
Fragil : Avez-vous des propositions de musique de film ? Bertrand Burgalat a fait les B.O. de Quadrille, de Palais Royal…
Non pas tant que ça, on ne m’en demande pas. Plusieurs ont commencé à se faire et ne se sont pas faites. Grâce au numérique, le montage image/son n’est plus scindé. Pour rassurer les coproducteurs, les réalisateurs et les monteurs apposent des musiques sublimes aux images. Ensuite ils essayent d’en avoir les droits, ou ils demandent aux compositeurs d’en faire un pastiche, ce que je ne veux pas, ce n’est pas correct. On se retrouve alors en compétition avec Prokofiev, ou Morricone. C’est difficile, ensuite, de leur faire écouter une maquette réalisée au piano, ou quelque chose de simple, à côté de ces morceaux où il y a quatre-vingt musiciens ! Il faudrait pouvoir dire au réalisateur “d’accord, je fais la musique mais vous vous engagez à ne rien mettre sur les images avant”. Et en même temps je ne suis pas assez fort pour l’imposer.
Des musiciens qui vivent des royautés de leurs disques il n'y en a pas tant que ça.
Après avoir terminé sa “tournée d’adieu”, Bertrand Burgalat va reprendre son rôle d’activiste de la musique pop, dans son maquis Pyrénéen, pour le bien-être de nos oreilles. Il est actuellement en contact avec Aeroplane, un groupe de Dj-producteur belges, dont les remix teintés années 80 font beaucoup parler depuis 2007, mais aussi avec Curry and Coco, un duo du nord de la France qui compose une musique dansante et soul, très organique avec juste une batterie et un orgue sur scène. Affaire à suivre…
Propos recueillis par Vincent Hallereau
Photos : Rémi Goulet
Merci à Anthony de Add it up !
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