Univerciné Russie
"Le gros lapin stupide" : Etre ou ne pas être...un lapin jaune
Festival du film Russe au Katorza de Nantes
Le gros Lapin stupide est l’histoire drôle et touchante d’un artiste raté. Mais sous les dessous de la comédie lyrique se cache une réalité difficile à affronter. Sorti depuis 2006, ce long métrage du réalisateur russe Slava Ross est un succès. Il a reçu de nombreux prix tels que le Prix François Chalais du meilleur scénario, le Prix du Meilleur Premier Film au Festival du cinéma russe à Honfleur et aussi le Prix du Meilleur Premier Film au festival des films comiques Smile Russia à Astrakhan en 2007.
Arkady est un acteur raté. Quarante ans, divorcé, il joue depuis plusieurs années le rôle d’un lapin jaune, dans un théâtre pour enfants. Il n’a qu’un objectif dans la vie : rencontrer le grand réalisateur Nikita Mikhalkov [1] et interpréter le rôle de sa vie : le Roi Lear. Aveuglé par ce rêve, il en oublie ses vraies répliques et récite du Shakespeare à chaque représentation, habillé en lapin autour de ses camarades cochon, coq ou chat ; ce qui énerve les autres acteurs autant que sa direction…
Un ton à la Chaplin
Aveuglé par ce rêve, il récite du Shakespeare à chaque représentation, habillé en lapin jaune, autour de ses camarades cochon, coq ou chat…
Arkady possède des traits caractéristiques de Charlot : c’est un personnage misérable, qui tente de composer avec le monde hostile qui l’entoure. C’est aussi un être poétique avec une sensibilité et un certain lyrisme, qui rappelle très bien le Chaplin amoureux de l’écuyère dans The Circus : un personnage marginal, dramaturge et clown. D’ailleurs, Le gros lapin stupide s’apparente aux film de Chaplin : comédie, ironie et bouffonnerie investissent tout le film. Comme Chaplin, Slava Ross propose une galerie de personnages tous différents, qu’il décrit avec humour et férocité, en montrant leurs défauts en gros plan. Le réalisateur russe crée un univers comique globalement comparable à celui de son homologue britannique, où les messages passent davantage par les images et les attitudes que par des dialogues
Une frontière entre le rêve et la réalité
Slava Ross a choisi une mise en scène extravagante qui illustre bien la vie intérieure du personnage, perdu, qui confond ses rêves et la dure réalité : le théâtre devient un univers onirique. Le montage casse la narration et rompt alors avec l’illusion réaliste : on passe d’une manière récurrente d’une scène à une autre en utilisant un rideau qui s’assimile à celui du théâtre. Ceci donne l’impression d’assister à une pièce : c’est alors le théâtre qui envahit le cinéma. La lumière qui couvre la majorité du film est assez sombre, dans les tons orangés et renforce l’aspect irréel et l’illusion. Est-on dans la réalité ou dans l’imaginaire du personnage ? La mise en scène crée, de surcroît, une sensation d’ivresse et donne aux spectateurs l’impression d’être saouls. D’ailleurs, les personnages s’enivrent réellement tout au long du film : on ne sait alors plus si leurs propos sont réels ou le fruit de leur imaginaire alcoolisé.
La musique de Maksim Pokrovski renforce cet univers fantastique : une musique enfantine que l’on pourrait retrouver dans les dessins animés. En se mariant avec le décor du film, elle crée un monde fantasmagorique autour d’un être perdu dans le réel.
Un lapin jaune aux grandes ambitions
Les yeux pétillants, Arkady vit dans son rêve : il est un grand acteur qui peut jouer du Shakespeare. Habillé en lapin jaune tout au long du film, il passe son temps à déclamer les vers du natif de Stratford-upon-Avon. A la vérité, sous son allure de rustre, se cache un être émotif et sensible, plein d’espoir, dont la seule envie est d’être quelqu’un d’autre. Arkady est un homme blessé et marqué par les aléas de la vie : il a raté sa vie sentimentale, familiale et sa vie artistique. Mais il est persuadé de pouvoir changer sa vie : un grand rôle de Shakespeare est la clé de son bonheur.
Chacun peut se retrouver dans cette histoire et se poser la question : « Est-ce que je vis vraiment ma vie ? »
L’homme au costume de lapin jaune va alors mettre toute son énergie dans la réalisation de son rêve, jusqu’à en oublier le monde qui l’entoure. Mais dans la vie les choses ne se passent pas toujours comme on le souhaite ; l’histoire incite à penser qu’il faut parfois savoir faire le bon choix et changer de chemin. Son idée obsessionnelle l’ostracise peu-à-peu, et lui rend inaccessibles ces petites choses qui font réellement le bonheur : l’amour, l’amitié, la curiosité.
Au-delà de la comédie, un film sur la vie
Plus qu’un film sur le théâtre et la condition d’artistes, Le gros Lapin stupide est un film sur la vie en général. Il n’est pas question de décrire la vie d’un artiste raté. Le but est tout autre : il veut en effet montrer combien l’homme peut se détacher de ce qui est réellement important, en étant aveuglé par une chimère. Pour Slava Ross "Seul l’amour et l’ouverture au monde et aux autres peuvent sauver l’Homme.".
Le gros Lapin stupide s’apparente finalement à un mélodrame déguisé en comédie. Cette simple histoire humaine montre les tourments du cœur, du corps, et de la conscience quand celle-ci est blessée par la vie. Par la complexité de la mise en scène, le film se destine à un public plus ‘artistique’. Cependant chacun peut se retrouver dans cette histoire et se poser la question : est-ce que je vis vraiment ma vie ?
Céline Anton
[1] Nikita Sergueievitch Mikhalkov, né en Moscou en 1945, est un réalisateur russe. D’abord acteur, il passe derrière la caméra dans les années 70. Il réalise des grands films qui montrent sa connaissance profonde du cinéma et de la technique : L’esclave de l’amour ou Partition inachevée pour piano mécanique. Il faudra attendre les années 80-90 pour que le succès arrive : Les yeux noirs, tiré de trois nouvelles de Tchékov (1987) et bien sûr Soleil trompeur (1994).
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