Univerciné Russie
"Franz+Polina" : le chant du Monde et le bruit des armes
Festival du film Russe au Katorza de Nantes
Le destin de Franz et Polina a été de se rencontrer et de s’aimer dans la Biélorussie des années 40. Mais dans le jeu de l’amour, un invité surprise prend les rênes : la guerre. Premier long-métrage du réalisateur russe, Mikhail Segal, Franz+Polina est présenté dans le cadre du festival Univerciné Russe de Nantes. Un film où les héros sont partagés entre leur désir amoureux et celui de survivre.
Il fait beau au village, les oiseaux chantent, les femmes font la cuisine, une bande de garçons hilares jouent dans la rivière, sous le regard amusés de nageurs au regard fier. Les premières images du film ont comme un air de vacances. Les apparences sont trompeuses. Les hommes rieurs ont fini de jouer avec les gamins et remettent leurs uniformes, barrés des insignes de la Waffen-SS. Biélorussie, été 1943.
Intermède bucolique
Nous sommes au milieu de la guerre et l’Allemagne tente d’envahir la Russie. La Biélorussie est alors la cible des Nazis. Dans le lointain, des centaines de villages sont brûlés avec leurs habitants, en guise de représailles contre les partisans de Staline et dans le cadre du plan de liquidation des peuples slaves.
En station dans un petit village, un détachement de SS attend les ordres. Occupants pacifiques des Biélorusses, les soldats ont sympathisé avec les villageois. Franz et Polina sont jeunes, beaux et se plaisent. Mais Franz est un soldat allemand, un Fritz, et Polina, une biélorusse. Jeune homme inexpérimenté, Franz aimerait bien profiter de cette pause pour déclarer sa flamme à la jeune fille… Polina, elle, a conscience de ces regards masculins qui glissent sur elle. Elle remarque l’attention de Franz, et en joue. Pour elle, l’intérêt que lui porte ce soldat n’est d’abord qu’une passade.
Promenade avec l’Amour et la Mort
Franz + Polina, c’est une histoire d’amour. Elle aurait pu n’être que la simple narration d’un flirt de jeunesse. Mais le contexte de la guerre change la donne et oblige les deux adolescents à grandir plus vite. En l’espace d’une saison, Franz se transforme peu à peu en homme : son visage angélique se fait de plus en plus dur. Il est loin d’être préparé à l’horreur de la guerre et de la mort ; le choc est violent pour lui.
Car la guerre les rattrapent et le village est mis à feu et à sang. Rescapés tous les deux, ils essayent tant bien que mal d’affronter les évènements et de contenir le désir qu’ils éprouvent l’un envers l’autre. Ensemble, ils affrontent l’adversité et tentent de survivre au quotidien. Tour à tour, ils s’épaulent. Quand ils ne se retrouvent seuls, le jeune homme devient vite le repère de la jeune femme. Face aux autres réfugiés biélorusses, elle le protège à son tour et fait tout pour ne pas que l’on repère sa nationalité.
Dans cet univers, où tout le monde se méfie de son voisin, où la sauvagerie atteint son paroxysme, Franz et Polina vont se désirer, se réconforter et s’aimer.
Dans cet univers, où tout le monde se méfie de son voisin, où la sauvagerie atteint son paroxysme, Franz et Polina vont se désirer, se réconforter et s’aimer.
Film impressionniste
Ce qui frappe dès le début du film, c’est le travail esthétique du réalisateur, Mikhail Ségal. Les plans sont construits comme une suite de tableaux impressionnistes où la lumière a le premier rôle. L’histoire se déroulant sur plusieurs mois – de la fin de l’été à l’hiver - les saisons symbolisent les étapes de l’évolution des personnages. Le passage des couleurs chaudes de l’été au gris de l’automne se fait au moment de l’incendie du village. Le changement de lumière est abrupt et accentue encore plus la violence de l’épisode.
On dit en Russie, ‘Un bon film doit être vu du regard de Dieu.'
La caméra de Maksim Trapo alterne gros plans et plan d’ensemble, séquence contemplative et successions d’images rapides. Cette technicité se retrouvent aussi sur le travail du son et de la musique de Andjei Petras. Le fait que Mikhail Ségal ait réalisé des clips musicaux, avant de se mettre au cinéma, y est sans doute pour quelque chose.
L’amplification de certains sons, comme le claquement des bottes des soldats allemands, renforce la tension du film. Le choix de la musique n’a pas été chose aisée : « Au départ, je ne voulais pas de musique et ne jouer que sur les sons. Mais au montage, l’absence de musique renforçait le côté ‘documentaire’ du film. Et ça, ce n’était pas possible. Alors, j’ai cherché de mettre des musiques inattendues, en contraste avec les images : pas de fanfares symphoniques ni de musique hollywoodienne. » Le résultat : c’est la présence d’une petite ritournelle, comme celle des boîtes à musique, aux moments forts du film. Une musique à contre-emploi qui accentue les émotions des personnages.
Absence de parti-pris
Mikhail Ségal fait partie de cette nouvelle génération de réalisateurs venue de Russie. Pour son premier long-métrage, il explique : L’histoire est venue me chercher , en aucun cas, je ne voulais faire un film à thèse, avec prise de position. Ce n’est pas un point de vue de l’Union Soviétique, pas de révisionnisme… Juste un regard neutre. En effet, nous sommes loin de l’exaltation des héros soviétiques, des visions patriotiques, très présents dans l’ancienne génération. Pas de parti pris, personne n’a le beau rôle. Je ne voulais pas non plus que l’on puisse interpréter quelque chose. Et comme on dit en Russie ‘un bon film doit être vu du regard de Dieu’.
Montrer combien la guerre est une invention tragique, qui amplifie tous les sentiments -l’amour, la passion, la haine- est l’unique objectif du film. Dans Franz + Polina Seule l’émotion compte. La peinture est sophistiquée, le thème saisissant : le tableau est parfait.
Marie Delhaye
Festival Univerciné Russe, à Nantes.
Le Katorza, cinéma d’art et d’essais de Nantes
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