Festival Soy 2007
Extatique nouvelle Amérique
Jackie-O Motherfucker + Sunburned Hand of the Man, Festival Soy, Nantes, 29 octobre 200707
Pour ouvrir la troisième soirée du festival Soy, l’association nantaise Yamoy a convié deux groupes récemment signés sur Ecstatic Peace !, label fondé par le chanteur et guitariste de Sonic Youth Thurston Moore. Deux groupes qui n’en sont pas à leur coup d’essai. Formés au milieu des années 1990, ils sont les pionniers d’une New Weird America qui se plaît à détourner les codes de la musique populaire américaine traditionnelle.
“Welcome to the New Weird America.” C’est ainsi que le magazine britannique The Wire souhaitait la bienvenue, en juillet 2003, au collectif de free-folk Sunburned Hand of the Man. L’expression était un clin d’œil à celle d’“Old Weird America”, imaginée par le critique Greil Marcus pour qualifier la célèbre Anthology of American Folk Music de 1952, qui avait été à l’origine d’un regain d’intérêt pour le folk et inspiré, entre autres, le jeune Bob Dylan. “New Weird America”. L’expression rendait compte des racines traditionnelles de Sunburned aussi bien que de ses étranges expérimentations.
Les membres du collectif – John Moloney à la batterie, Rob Thomas, Paul LaBrecque et Ron Schneiderman aux guitares, Sarah O’Shea au chant –, viennent du monde des arts plastiques et de la performance aussi bien que de celui de la musique, et cela se voit. Leur jeu de scène, notamment, est marqué par l’art de la performance des années 1970. Leur set s’ouvre sur une sorte de rite païen où des hommes barbus vêtus de daim et de franges paradent dans l’assistance et font voltiger au-dessus des têtes des branchages torturés surmontés de têtes d’animaux en latex.
Les guitares lancent des riffs sombres et palpitants qui, indéfiniment répétés, créent une atmosphère pesante
La musique n’est alors qu’une ponctuation sonore du rite qui se déroule dans la salle. On entend quelques objets métaliques s’entrechoquer, une guitare hasarder quelques notes, une voix gonfler. Peu à peu, les musiciens délaissent leurs accessoires et se concentrent sur leur jeu. Leur musique se fait plus présente et plus structurée. Plus violente, aussi. Les guitares lancent des riffs sombres et palpitants qui, indéfiniment répétés, créent une atmosphère pesante.
Free-folk et folk psychédélique
Jackie-O Motherfucker, dont la performance suit celle de Sunburned, est un collectif de folk expérimental formé à Portland en 1994 par Tom Greenwood et Nester Bucket. Protéiforme, le collectif est d’abord un duo de guitare et de saxophone, accompagné de collages sonores constitués d’enregistrements maisons, de cut-ups de rock et de beats de hip-hop. La configuration de Jackie-O Motherfucker pour sa tournée européenne est beaucoup plus classique : une batterie, deux voix, trois guitares et d’innombrables pédales d’effets. Trois garçons, Tom Greenwood, Nick Bindeman et Danny Sasaki, et une fille, Natalie Mering – Tom Greenwood arbore fièrement un t-shirt d’Ecstatic Peace !
Le set de Jackie-O Motherfucker est un long voyage dans un univers folk planant et parfois dérangeant. Les racines du groupe plongent résolument dans le folk traditionnel – la simplicité initiale des harmonies, des mélodies et des voix en atteste. Mais si Jackie-O Motherfucker assume cet héritage, c’est pour mieux le pervertir, et le tirer vers des expérimentations sonores qui touchent au psychédélisme. La structure traditionnelle des chansons est refusée. On saisit parfois un couplet, jamais de refrain. Sitôt qu’un semblant de structure formelle s’installe, les comparses de Jackie-O Motherfucker se plaisent à nous perdre dans des solos improbables, qui se terminent sous forme mantrique : formules entêtantes à ambitus très réduit, intrication des trois guitares qui se rejoignent ou se désynchronisent volontairement, extension extrême de la longueur des pièces, tout est fait pour hypnotiser l’auditeur.
Le set de Jackie-O Motherfucker est un long voyage dans un univers folk planant et parfois dérangeant
Sur ces nappes sonores transparentes que construisent les quatre musiciens – la batterie ne se risque que très rarement à marteler la pulsation et se contente de ponctuer les phrases musicales des guitares, dont une assume tout en finesse et en subtilité le rôle généralement attribué à la basse –, parfois, des voix se posent. L’une d’homme, l’autre de femme. Des voix qui gémissent plus qu’elles n’affirment, qui implorent plus qu’elles ne prêchent. Des voix blanches qui se fondent rapidement dans la masse sonore qui s’amplifie ou s’atténue successivement, emportant l’auditeur dans un voyage aux confins de cette nouvelle et étrange Amérique.
Un seul regret : que le violon très john-calien de nombreux enregistrements de Jackie-O Motherfucker n’ait pas rejoint les trois guitares ce soir-là.
Sophie Pécaud
Photos : Renaud Certin
À écouter :
Sunburned Hand of the Man, Z, Ecstatic Peace !, 2007.
Sunburned Hand of the Man, Fire Escape, Smalltown Supersound, 2007.
Jackie-O Motherfucker, Valley of Fire, Textile Records, 2007.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses