Musiques improvisées
[N:Q] : hypnose radiophonique au Musée des Beaux-Arts
[N:Q], Musée des Beaux-Arts, Nantes, 11 octobre 2007
[N:Q] comme Nantes Radiophonic Quartet, ou quand quatre improvisateurs chevronnés font d’un médium devenu banal la source d’une production sonore originale.
Ce soir, le musée des Beaux-Arts de Nantes est en effervescence. Les associations nantaises Cable# et Apo33 ont convié l’un des fers de lance de la musique improvisée britannique, le guitariste et musicien électronique Keith Rowe à y explorer en compagnie de Julien Ottavi, Will Guthrie et Manu Leduc, actifs sur la scène d’improvisation nantaise, les possibilités sonores offertes par le récepteur radio.
C’est l’une des galeries d’art moderne qui accueille la performance. Logique, si l’on considère que le développement de la radio, à l’honneur ce soir, est contemporain des œuvres qui y sont exposées. Les spectateurs, assis en tailleur sur des coussins, forment un cercle et considèrent d’un œil étonné une table centrale couverte de postes de radio, de radio-réveils, de boomboxes et d’électroniques en tous genres.
À la recherche de nouvelles sonorités
Les musiciens entrent alors que chacun commente l’étrange installation. Ils prennent place et, concentrés, sans un regard l’un pour l’autre, commencent à manipuler les innombrables boutons de leurs instruments, à les déplacer pour que leurs composants interagissent. Des bruits surgissent. Des bruits familiers à tout auditeur de radio. Des bruits familiers aussi à tout amateur de musique amplifiée. Un bruit blanc, entêtant. Des bourdonnements et grésillements divers, quelques larsens. Petit à petit, les quatre musiciens échafaudent une masse sonore extrêmement riche et variée, "cherchant de nouveaux sons durant la performance" [1], tout comme le faisait l’AMM, ensemble expérimental britannique co-fondé par Keith Rowe en 1965.
Un bruit blanc, entêtant
Soudain, au milieu de cette superposition sonore, l’une des radios capte quelques mesures d’une chanson pop - Garçon de Koxie -, inattendues et même déplacées dans ce contexte expérimental et arty. Les spectateurs sont brutalement rappelés à la réalité. Quelques-uns s’amusent de la plaisanterie. Mais est-ce une plaisanterie, un clin d’œil destiné à un public fuyant habituellement la pop sucrée de la bande FM ? Rien n’est moins sûr. On doit y voir plutôt un manifeste artistique pop, l’affirmation renouvelée que tout bruit, tout son, toute musique tirée des médias de masse est digne d’être intégrée et valorisée au sein d’une performance artistique. Andy Warhol ne faisait pas autre chose quand il peignait en série des boîtes de soupe Campbell’s. Et il n’attendait pas autre chose de son public que cette réaction mi-choquée, mi-moqueuse à l’envahissement de l’art par la culture de masse et la publicité.
Quand la radio est source d’une nouvelle signification musicale
Surtout, ce que cet événement nous révèle, c’est que la situation est renversée : la radio n’est plus un médium, le moyen de la diffusion d’un matériau sonore qui lui est étranger. Elle est source d’une nouvelle signification musicale, et c’est la musique elle-même, qu’elle est destinée à diffuser, qui devient parasite. La performance de Keith Rowe et de ses amis est ainsi une tentative pour réhabiliter ces bruits que l’amateur de radio cherche constamment à éliminer. Et c’est une réussite : la richesse du matériau sonore est indescriptible. Il couvre tous les registres, du plus grave au plus aigu, du plus sourd au plus strident. Les timbres et les textures rivalisent avec ceux d’un véritable orchestre. De leur superposition surgissent parfois des bribes de mélodies et de discours, comme si la radio en tant que médium cherchait à reprendre ses droits. Mais il est trop tard. Ces mélodies et ces discours sont désormais anodins.
Les timbres et les textures rivalisent avec ceux d'un véritable orchestre
Alors que la masse sonore s’amplifie, que sa texture se complexifie, l’un des improvisateurs lève les mains, hésite un moment, puis commence à modeler par des mouvements rapides et précis les ondes sonores qui planent autour des antennes hérissant la table. La performance, qui avait été jusqu’ici singulièrement statique, se fait alors autant visuelle que sonore : les spectateurs, fascinés, suivent avidement les évolutions de ces mains dans l’air, cherchant à voir la musique autant qu’à l’entendre. Ils se sont à peine rendu compte que les autres musiciens se sont tus, laissant la masse sonore patiemment élaborée pendant près d’une heure s’apaiser, puis s’éteindre.
Un moment d’hésitation, de recueillement peut-être, et les applaudissements retentissent. En 1937, John Cage écrivait, avec une lucidité prophétique : "Je crois que l’usage du bruit dans la production musicale va se développer et se généraliser jusqu’à ce que nous arrivions à une musique produite à l’aide d’instruments électriques." [2] [N:Q] lui a encore une fois donné raison.
Sophie Pécaud
À écouter :
[N:Q], November Quebec, Esquilo, Nantes, 2005.
[1] Keith Rowe, entretien avec Dan Warburton, 22 avril 2001, in Paris Transatlantic Magazine, n°12, janvier 2001.
[2] John Cage, The future of music : credo, in Silence, Wesleyan University Press, Middletown, 1961, p. 3.
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