
Albert Jacquard : "Le surhomme, c’est toi, plus moi"
Albert Jacquard à La Chapelle sur Erdre, Février 2007.
Devant un public conquis, Albert Jacquard, en inlassable pédagogue, a plaidé une nouvelle fois pour un humanisme à la frontière des sciences et de l’altruisme.
Albert Jacquard est un érudit rompu à l’exercice de la vulgarisation. En une heure, sa voix frèle aura su persuader ses 600 auditeurs de prendre conscience de la place de l’humain dans l’univers et de la nécessité de l’engagement.
« Ni optimiste, ni pessimiste, volontariste »
L’homme s’est fait connaître par ses livres de vulgarisation, ses chroniques radio quotidiennes, mais aussi ses prises de position en faveur des plus démunis. « Quand je suis là, les flics sont plus gentils » explique-t-il avec malice à propos de son soutien actif à Droit au Logement. On sait en revanche moins que l’ex-polytechnicien couvert de titres et de mérites, a quitté le monde de la génétique pour marquer son refus de tout brevetage du vivant.
Ce n’était pourtant pas le militant qui était invité à La Chapelle sur Erdre, mais le docteur pluridisciplinaire, lecteur de Saint François d’Assise et d’Einstein ; le philosophe engagé.
A l’origine de l’événement, la sortie de Mon Utopie -son cinquantième livre-, mais surtout l’annonce de Jardins d’Eden, provisoirement. Programmée en Mars à Capellia, ce ‘cirque chorégraphié’ de la compagnie rouannaise L’Eolienne s’inspire conjointement de l’œuvre de Jacquart et de celle Théodore Monod.
Une conscience extasiée mais jamais exaltée.
L’ancien membre du comité national d’éthique a profité de ce point de départ poétique pour redémontrer sa vision des choses, qui n’a guère changé en vingt ans : une philosophie abordable, pétrie de sciences exactes, de poésie, et d’une foi catholique si discrète...qu’elle fait l’économie du Créateur.
C’est en se fondant sur le concept de ’complexité’, qu’il partage avec Edgar Morin, que Jacquard a élaboré cette pensée où convergent l’admiration pour la richesse de l’Univers et l’éloge de la diversité humaine.
En se fondant sur le concept de complexité, Jacquard élabore sa pensée : admiration pour la richesse de l'Univers et éloge de la diversité humaine.
Avocat d’une ’citoyenneté planétaire’ il plaide pour une révolution des esprits. Evoquant les défis du futur, la destruction de la biosphère, la menace nucléaire, et l’hégémonie de la pensée capitaliste, il admet : « Je n’ai pas de solution : mon objectif, ce n’est pas de construire la société de demain, c’est de montrer qu’elle ne doit pas ressembler à celle d’aujourd’hui. »
Celui qui fut aussi rapporteur à la cour des comptes admet modestement « Je n’arrive pas à comprendre l’économie ». Il s’inscrit pourtant en faux contre certaines théories hypocritement rationnelles. Il condamne ainsi le QI, les notes, les palmarès sportifs, et tout ce qui vise à transformer l’humain en chiffres. Pour lui, le darwinisme social, le mythe de la compétition ou la justification du capitalisme sauvage sur la base de la ‘sélection naturelle’ sont autant d’hydres à éradiquer.
De là sa réflexion sur le concept de valeur. Prenant l’exemple du pétrole, il statue : « le concept de valeur est indéfinissable ». Il se fait ainsi discrètement l’écho de ses amis, les théoriciens de la décroissance, qui soulignent les bienfaits écologiques et durables d’un or noir au prix fort.
« Entre le vrai et le faux, il y a l’indécidable. »
Mais la pensée de Jacquard résiste-t-elle toujours à la contradiction ? C’est dans ses réponses aux questions du public que cette figure charismatique de la pensée moderne révèle malgré lui ses limites.
Dans son monde édénique, exempt de compétition, le mal et les vices semblent éradiqués. Cela n’implique-t-il pas la fin du temps, comme le suggèra un spectateur intimidé. La question de celui-ci, « Y-a-t-il évolution sans compétition ? », ne trouvera pas vraiment de réponse.
Parallèlement, puisque ‘philosopher, c’est apprendre à mourir’, l’issue finale devient, selon Jacquard, une ‘rencontre’ apaisante avec la Mort. A le croire certains mourraient prématurément jeunes, et d’autres en leur temps. Dès lors, pourquoi lutter farouchement, comme il l’exige, contre les maladies et les effets de la vieillesse ?
Aux interrogations du public sur le sujet, Jacquard ne répondra guère, pas plus que sur la pérennité de l’humanité. Le vieux sage s’en sort pas une postulat logique : « Certaines questions n’ont pas de réponses car elles n’ont pas de sens. »
Renaud CERTIN /Photo : Florence GARNIER
Retrouvez les chroniques d’Albert Jacquard sur France Culture et en podcast.
La plupart de ses ouvrages sont publiés dans la collection Points-Seuil.
"Jardins d’Eden, provisoirement", cirque chorégraphié de la compagnie L’Eolienne, d’après les œuvres de A.Jacquard et T. Monod, ven. 23 mars 2007, Salle Capellia, La Chapelle sur Erdre.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses