
Dossier Fragil : Le numérique demain (2/5)
Du journalisme numérique au numérique médiatique
Comment penser le numérique de demain ? Pour Fragil, Paul Vassé est allé à la rencontre de spécialistes de la question. Leurs réflexions vous sont livrées dans un dossier en cinq volets. Après "Politique numériquement incorrecte", Fragil s’intéresse aux rapports entre journalisme et numérique.
Éloignés et proches, journalisme et numérique s’affectent l’un l’autre sur des rapports différents. On parle de crise de la presse avec l’avènement du numérique, cependant elle est loin d’être présente sur tous les supports. D’un autre côté, la façon dont est représenté le numérique dans les médias n’est pas toujours des plus adroites. Pour y voir plus clair, Fragil a pris contact avec Sabine Blanc, journaliste pour La Gazette , passé par OWNI, spécialisée sur le numérique, la sécurité, les applications web de datajournalisme et infographies, l’editing et le community management.
Le numérique dans les médias
Force est de constater que la représentation du numérique dans les médias généralistes ne peut pas se faire de la même façon lorsqu’on parle d’économie, de consommation ou de politique. « Quand on est dans un média généraliste, on n’a pas beaucoup le temps d’approfondir le sujet », analyse Sabine Blanc. « Du coup, par rapport à des sujets plus traditionnels, il faut vraiment border les choses techniquement pour éviter de dire des bêtises. »
Encore trop récent et malgré son omniprésence, le numérique est bien souvent abordé dans les médias généralistes que sous aspect économique.
Encore trop récent et malgré son omniprésence, le numérique est bien souvent abordé dans les médias généralistes que sous aspect économique. On parle de quelque chose qui favorise la croissance, mais on ne réfléchit que très rarement au fond. « C’est nouveau, ça fait de l’innovation, ça fait de la croissance. On en vient à du techno-solutionnisme », poursuit la journaliste. C’est la considération que tous les aspects de la société ne sont que des problèmes à résoudre grâce à la technologie.
Il y a trop peu de journalistes spécialisés dans les médias généralistes pour parler des sujets du numérique. « Il y a beaucoup d’effets d’annonce avec la technique. Il faut innover, il faut faire des choses nouvelles tout le temps. Il faut avoir le temps de se poser, pour pouvoir mesurer l’impact politique au sens premier du terme. Il ne faut pas sauter sur la première nouveauté venue et réfléchir. » Dans un tel schéma, une information sera reléguée sans forcément que le temps soit pris pour l’approfondir.
Les médias dans le numérique
L’avènement du numérique a porté un coup dur à la presse papier en France. Pour Sabine Blanc, le numérique et le net en particulier permet énormément de choses dans ce domaine. On voit apparaître la fin du cloisonnement entre journaliste et non-journaliste. Ce que Patrice Flichy présente dans son livre Le Sacre de l’amateur. « Quand j’étais en école de journalisme, j’ai découvert les blogs et “wouah”. Je n’avais plus à attendre qu’on prenne ma pige. Je veux raconter des choses, je le peux et potentiellement il y a une audience. » Les journalistes voient souvent l’arrivée de ces amateurs d’un mauvais œil, marchant sur les plates-bandes des professionnels. Sabine Blanc n’est pas de cet avis et voit là un enrichissement avec des blogueurs de grande qualité.
C’est devenu plus facile de faire de la vidéo, de l’audio ou de la data visualisation, le tout améliorant la forme des productions. Les journalistes ont tout intérêt à se doter de compétences multimédias.
Selon la journaliste, le numérique permet une ouverture de la profession. Cette ouverture, les journalistes en bénéficient vis-à-vis d’autres professions, ne serait-ce que par le traitement multimédia. C’est devenu plus facile de faire de la vidéo, de l’audio ou de la data visualisation, le tout améliorant la forme des productions. Les journalistes ont tout intérêt à se doter de compétences multimédias.
L’accès à l’information a énormément changé aussi. Le travail est facilité. On en vient à se demander comment on cherchait des infos 10 ans auparavant. Le crowdsourcing se développe aussi. Il était déjà plus ou moins présent avec le courrier des lecteurs, mais maintenant une enquête ou un appel aux lecteurs sur Internet démultiplie l’impact. C’est à double tranchant car il faut fournir un travail en amont et avoir des sources triées. Si on a « une sorte de mini rédaction en réseau, alors ça facilite le travail. » indique Sabine Blanc. « Après s’il faut vérifier ligne après ligne toutes les données envoyées par les gens, ça peut parfois prendre moins de temps de faire soi-même. »
Il y a des métiers remplaçables par des robots. Je ne vois pourquoi le journaliste serrait une profession un peu à part avec une aura. Dans ce cas-là, qu’ils aillent gueuler contre les caissières qui sont remplacées par des machines.
De nouvelles formes de journalisme sont apparues comme le datajournalisme. Les robots, ces algorithmes qui écrivent des articles par milliers le temps d’une soirée sont aussi de la partie avec des articles purement factuels sans aucune analyse derrière. Les robots n’en sont pas (encore) capables. Ils permettent de se débarrasser des tâches répétitives, inintéressantes et donc automatisables laissant ainsi la place et le temps de se concentrer sur de réelles plus-values. « Peut-être qu’effectivement, ça va aboutir à moins d’emplois », avance Sabine Blanc. « Mais pour moi, l’enjeu est de savoir si on a bien traité l’info ou pas. Que ce soit des robots ou des hommes. Il y a des journalistes qui le prennent mal, car ils se rendent compte subitement qu’ils sont remplaçables par des machines. Leur orgueil en prend un coup, mais c’est comme ça. […] Ils ont une haute opinion de leur métier et si on peut te remplacer, c’est qu’il y a un petit problème. Il y a des métiers remplaçables par des robots. Je ne vois pourquoi le journaliste serrait une profession un peu à part avec une aura. Dans ce cas-là, qu’ils aillent gueuler contre les caissières qui sont remplacées par des machines. » s’amuse la journaliste.
Futurologie
Depuis une décennie, la vente de journaux papier est en forte diminution. Dans le documentaire Vers un monde sans papier, diffusé sur ARTE (ci-dessous), la fin du papier est annoncée d’ici environ 20 ans, selon les pays. Il existe bien sûr des résistants comme le Canard enchaîné ou autres qui ne propose pas de version web. On voit aussi que la presse magazine a encore bonne mine.
Le modèle du tout gratuit sur Internet a longtemps été la norme pour les sites d’informations. Les revenus publicitaires étaient alors suffisants. Aujourd’hui, c’est beaucoup moins le cas. Les sites se tournent vers deux modèles prédominants. Le premier est de revenir à un modèle payant, garantissant la lecture en ligne sans publicité grâce au premium. Le second modèle reste celui de la publicité et se tourne vers des titres dits clickbait pour attirer le chaland vers de l’infotainment souvent de qualité moyenne.
Le lecteur est lui aussi acteur de ce qu’il souhaite voir. Il a le choix entre le gratuit sponsorisé, qui met en doute l’indépendance du média et le payant qui se détache de toute influence marketing.
Le gouvernement et les « lobbyistes » s’acharnent à vouloir sauver le papier en essayant de trouver des fonds où il y en a. Le papier à cette valeur sacrée encore en France et en Europe. Il faut effectuer un renouvellement, comme a pu le faire Franck Annese avec ses magazines Causette, So Film et So Foot.
L’avenir du journalisme est assurément numérique. Les journalistes doivent faire une grande part de travail sur le renouvellement pour ne pas être de simples producteurs de contenus qui pourront de toute façon être remplacés par des robots. Le lecteur est lui aussi acteur de ce qu’il souhaite voir. Il a le choix entre le gratuit sponsorisé, qui met en doute l’indépendance du média et le payant qui se détache de toute influence marketing.
Paul Vassé
Ce dossier continue la semaine prochaine. Prochain volet : Comment l’éducation aux médias fait du numérique une priorité. Retrouvez Paul Vassé sur Twitter : @not_hochon.
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