
Rachid Benzine veut changer le regard sur les origines du Coran
Fragil est allé à la rencontre de Rachid Benzine, islamologue et penseur, polymorphe et inspiré, qui vient de sortir son dernier ouvrage « Le Coran expliqué aux jeunes  ». Dans un contexte marqué par des événements tragiques suscitant des raccourcis tentants, retour sur une pensée complexe qui met à l’honneur la distance critique et la nécessité de s’interroger.
Sur son site internet, une phrase est mise en exergue « Croire n’est pas savoir. C’est aussi aux théologiens eux-même et aux fidèles d’apprendre à croire en Dieu »... S’écarter des évidences partagées, relativiser la toute puissance de la foi, questionner les vérités, cheminer, contextualiser, s’interroger, oser la critique... Telle est la démarche que s’impose Rachid Benzine. Avec son dernier ouvrage Le Coran expliqué aux jeunes, il fait le pari audacieux de poser des questions, à une époque où les crispations idéologiques et identitaires privilégient les réponses.
Ma vocation fondamentale est l'enseignement
La quarantaine souriante, un brin espiègle, Rachid Benzine est un homme simple et ouvert, aux influences multiples. Originaire de Kenitra au Maroc, il est arrivé en France à l’âge de 8 ans, rejoindre son père à Trappes, dans les Yvelines. Ne parlant pas un mot de français à son arrivée, il intègre le CP dans une classe pour les primo arrivants. Malgré ce léger déclassement, son amour de l’école reste intact et sa gratitude à l’égard de sa première maîtresse, Mme Cohen, totale. C’est elle qui lui a permis « d’entrer dans un monde au langage entièrement nouveau ». C’est elle et les enseignants suivants qui lui ont donné l’envie de prolonger leur mission et de la faire sienne.
Mon propre souci c'est comment vulgariser la connaissance
Bon élève, Rachid Benzine débute sa carrière à 22 ans en tant que professeur d’économie. Mais un DEA en sciences politiques sur « la réappropriation identitaire des jeunes musulmans » entérine rapidement un changement de direction, vers les chemins de l’herméneutique coranique. Il faut dire que depuis de nombreuses années, la question de l’interprétation et de l’étude des textes religieux, l’intéressent vivement.
A côtoyer dès l’adolescence des chrétiens investis comme lui dans le champs associatif, ses interrogations se sont multipliées et de nouvelles portes se sont ouvertes. Eugen Drewermann et son ouvrage De la naissance des dieux à la naissance de Jésus-Christ est la première d’entre elles. Suivront de nombreuses autres références aussi variées que complémentaires : Claude Geffré, Karl Barth, Françoise Smyth Florentin, Mohammed Arkoun, Nasr Hamid Abu Zayd, Fazlur Rahman, Abdelkrim Soroush, Olivier Abel, Jacqueline Chaabi ou encore Paul Ricoeur.
Intellectuel à la croisée des cultures et des influences, Rachid Benzine est une figure idéale de syncrétisme. Les trois dédicaces en introduction de son dernier ouvrage en sont un nouveau témoignage. S’y mêlent, un extrait de la sourate 2 du Coran, une citation de Paul Ricœur et des paroles du rappeur Kery James.
C'est le livre que j'aurais aimé lire à l'âge de 15 ans, c'est vraiment toutes les questions que je me posais, simplement je n'avais pas tous ces outils pour pouvoir les dire
Née de la volonté de permettre à d’autres personnes d’oser poser des questions, Le Coran expliqué aux jeunes est loin d’être une simple vulgarisation d’une pensée complexe. Dense et exhaustif , il constitue un ouvrage précieux à destination de tous, croyants et non croyants, musulmans et non musulmans, jeunes et moins jeunes. Organisée sous forme de questions-réponses, cette conversation entre l’auteur et le lecteur est l’occasion d’une pédagogie active et stimulante, destinée à faire dialoguer le Coran et l’islam d’un côté, les sciences humaines de l’autre.
A la question, « Peut-on dire que l’objectif du livre est d’ouvrir les questions ? », la réponse fuse, évidente : « Ah oui ! L’objectif de ce livre c’est de faire en sorte que Dieu puisse toujours demeurer une question et que les musulmans cessent d’apporter des éléments de réponse définitifs. [...] Dieu est d’abord une expérience du divin, une expérience toujours ouverte et jamais terminée. Une invitation à se mettre en chemin et à renouveler sans cesse, son regard et son approche. »
Parce qu'il appartient à l'histoire des hommes, il convient de ne pas emmurer le Coran dans une compréhension figée
Rachid Benzine, tout au long de son ouvrage et plus largement de son travail de recherche, dessine des pistes de réflexion destinées à éviter tout risque d’idolâtrie du texte. Selon l’auteur, le Coran, quelque soit le caractère sacré qu’on lui confère, possède aussi une dimension humaine donc relative et contingente qu’il s’agit d’identifier et de comprendre.
Rachid Benzine le rappelle : le Coran s’inscrit dans la longue histoire de l’homme et de la pensée et en ce sens, il ne constitue donc pas seulement un événement religieux mais bien aussi historique. Connaître l’endroit, la langue, le contexte, l’époque, l’univers dans lequel il vit le jour est indispensable pour éclairer le texte et lui redonner toute sa vigueur, son sens et sa vivacité.
Ensuite, il est aussi le résultat d’un passage de l’oral à l’écrit : le Coran, est une Parole devenue texte après la mort du prophète Mahomet. « Le texte est toujours une trace qui nous donne comme horizon la parole, mais la parole, nous ne l’avons pas », note Rachid Benzine. Il est donc primordial de ne pas circonscrire le sens du Coran à une interprétation seulement littérale mais bien au contraire de rechercher à travers lui et sa récitation, la parole originelle. Limiter la parole de Dieu, par nature inépuisable et au delà de tout, à la seule lettre du Coran, c’est tomber dans la « textolâtrie ». Adorer Dieu ce n’est pas adorer le texte. Et désacraliser le texte ne signifie pas ôter tout caractère sacré à son message.
Parallèlement, il ne faut pas oublier non plus que cette révélation s’est articulée dans le langage humain d’une manière particulière, entre langage mythique et poésie. Le Coran utilise des images, des métaphores qui n’ont pas vocation à décrire une réalité mais bien au contraire à ouvrir à « un au delà du réel (…), à des valeurs, des vérités, un sens de la vie ». En conclusion, « l’Ecriture est une trace de la parole. Une trace indispensable. Mais comme toute trace elle est l’objet de quête, de recherche donc aussi d’incompréhension et de compréhension toujours incomplète », indique Rachid Benzine.
Croiser les approches religieuse, historique, critique et littéraire, c’est se donner les moyens de cette quête. C’est avancer dans « l’univers multiple » du Coran le cœur ouvert et l’œil aux aguets sans jamais prétendre tout savoir, sans jamais s’arrêter. C’est, selon Rachid Benzine, retrouver « Allâh » (nommé 1697 fois dans le Coran) et ne pas se limiter à « l’islam » (cité 7 fois). Car « quand on cite l’islam on pointe vers des constructions sociales contingentes qu’on prend pour des absolus » remarque l’islamologue, citant Mohammed Arkoun.
Fidèle à son mentor à l’égard duquel il dit avoir une grande dette de sens, Rachid Benzine attache une attention toute particulière à la diffusion de son discours hors des murs de l’université .« Ça me vient d’Arkoun, la parole était son royaume ». En tant qu’universitaire et croyant, il souhaite aussi que son approche soit entendue dans les mosquées et par un certain nombre de prédicateurs religieux. Car profondément, ce qui l’intéresse « c’est comment ce savoir là va descendre dans l’espace public et féconder la foi et l’espace public »
Rachid Benzine, un islamologue au service de l’insurrection prophétique
Pour Rachid Benzine, le Coran est le résultat d’une « subversion prophétique ». Il vient remettre en question les habitudes, les hiérarchies, les vérités érigées d’une société pour l’ouvrir à un nouvel avenir. Il consacre l’avènement d’une nouvelle proposition qui est faite aux hommes, le début d’une nouvelle histoire. C’est un élan au service de la vie et de la création. « La subversion prophétique dit : vous n’avez d’autres souverain que Dieu. Mais les gens remplacent cette souveraineté de Dieu par la tradition, constate Rachid Benzine. Il faut donc subvertir la tradition car, être fidèle à Dieu, c’est perpétuer cette subversion originelle que propose Mahomet. »
Ses recherches et son discours sont dans cette droite lignée. Il se garde bien de proposer aux croyants de nouvelles vérités ou des versets dit plus « modernistes ». Loin de toute tentation apologétique, il souhaite simplement changer le regard qu’on porte sur les origines du Coran. Car « en changeant le regard qu’on a sur la fondation du Coran, on change la fondation de tout ce qui vient après et là c’est pas du bricolage, c’est de la dynamite ! » Une invitation à bousculer sa manière de voir et de penser le Coran, une invitation à revisiter son rapport au divin, « un appel à vivre, toujours à déchiffrer. »
Cette désacralisation subversive du texte, qui passe par un mélange d’ approches critiques est non seulement nécessaire mais indispensable. Le religieux a besoin d’être critiqué car il y a une distance entre Dieu et la représentation que nous avons de lui. Et parce qu’aujourd’hui plus qu’hier certains religieux menacent le vivre ensemble. Pour l’islamologue : « quand on voit la dimension humaine de ce texte là, ce prophète, la manière dont fonctionne la société arabe de l’époque, ça va vers plus d’humanité ! Cette désacralisation, elle est au service de l’homme ! ».
Missionnaire de la réconciliation, Rachid Benzine l’est sans doute un peu, beaucoup. Car ainsi qu’il l’écrivait déjà avec Christian Delorme dans son premier ouvrage, il espère encore et toujours que se fera davantage entendre une « symphonie pour une humanité réconciliée ».
Elise Jaunet
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