
SOCIETE
Toumi Djaidja : « Je ne suis pas gardien du temple  »
Il y a des rencontres qui ne laissent pas indifférents. Celle-ci en fait partie. Dans le cadre de la Journée de l’égalité des droits et des territoires organisée à la Manufacture des Tabacs de Nantes par le Centre Interculturel de Documentation, Toumi Djaidja, initiateur de la Marche de 1983, était présent. Il a accepté de répondre à quelques questions en toute simplicité. Il parle tout bas, comme en confidence. Messe basse partagée en face à face comme pour mieux nous persuader que sa parole se doit d’être répandue, qu’elle peut panser les plaies d’un monde rongé par la discorde. Et lorsqu’on essaie de l’entraîner sur un chemin de traverse, il nous ramène à son obsession : semer une parole d’espoir, toute en utopie.
Lors de la commémoration des 30 ans de la Marche en 2013 vous avez souhaité que ce moment soit un moment fort politiquement, une occasion à saisir. L’a-t-il été ?
Cela a été important pour moi d’affirmer dans une lettre à François Lamy, alors ministre de la Ville, non pas destinée à l’homme que je respecte, mais à sa fonction, que depuis 20 ans la politique de la Ville a failli. Il y a eu plus de coups de frein que de coups d’accélérateur. Et pourtant la société française a changé, des choses énormes ont été accomplies. La commémoration aurait pu être l’occasion de transformer l’essai. Elle ne l’a pas été. Je voudrais souligner la symbolique des chiffres : il y a 30 ans le gouvernement était socialiste, aujourd’hui aussi. Il y avait quelque chose à saisir. Le courage politique a manqué alors que c’est primordial.
Suite à la remise du rapport Mechmache / Bacqué sur la ville, une nouvelle politique de la ville a été impulsée avec la mise en place des contrats ville. Quel est votre point de vue sur ce nouveau chantier ?
La question que l'on est en droit de se poser : les politiques se donnent-ils les bonnes priorités ?
Il y a une volonté de placer la politique de la ville au centre des débats. Déjà il y a 30 ans, à la suite de la Marche, le rapport Dubedout à Grenoble avait posé les fondements de la politique de la ville. Si cette politique est encore au centre aujourd’hui c’est que les problèmes n’ont pas été vraiment traités, parfois sur des choses élémentaires. Ce manque de courage politique me gêne. Pourtant en 1981 François Mitterand avant son arrivée au pouvoir avait affirmé qu’il supprimerait la peine de mort, et il l’a fait. Ce fut un acte de courage politique. Aujourd’hui c’est ce que le législateur doit trouver en ce qui concerne la question de l’égalité qui est un chantier permanent. La question que l’on est en droit de se poser : les politiques se donnent-ils les bonnes priorités ?
Alors, comment continuer à marcher aujourd’hui ?
On marche toujours d’une façon ou d’une autre. Symboliquement marcher c’est aller vers l’autre. Dans un pays qui se veut de cohésion, il est important d’être ensemble. Marcher, c’est établir des passerelles avec l’autre, en étant semblable et différent. Il est important de continuer à avoir cet idéal pour la France de toutes les couleurs, terme que j’ai lancé à la France il y a 30 ans. C’est un idéal rassembleur, pas un discours creux qui divise, scinde. L’association SOS Racisme a scindé la France en deux : les racistes et les non racistes. Pour moi, ce n’est pas la France. Ce pays possède une capacité incroyable. Des changements radicaux ont eu lieu : mon père et mes enfants ne vivent pas les mêmes choses ici. Je ne partage pas l’avis de ceux qui disent que rien n’a changé. L’idéal de la Marche est un absolu dont tout le monde a besoin partout dans le monde. C’est une sorte de recherche de Graal dont toute société humaine a besoin. Aucun pays n’a réglé le problème des inégalités. Il y a 30 ans la rencontre lors de la Marche avec des petites mains, femmes et hommes, a permis de donner du sens à cet idéal, de le construire. Aujourd’hui, je ne marche plus, mais je cours pour délivrer ce message. Et je constate que le maillage associatif, sa générosité, a contribué à donner un sens à cet idéal. Les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain. Ce message, je me sens obligé de le délivrer, car on a besoin de rêver. C’est comme ça, on ne peut pas changer sa nature profonde. Les témoignages, récits des expériences et souffrances délivrés lors de la Marche ont fait naître une réelle compassion et une communion avec l’autre.
Le risque n’est-il pas de provoquer des déceptions face à la quête d’un Graal mythique par définition irréalisable ?
Je ne suis pas gardien du temple. L'essentiel est d'apporter un témoignage essentiel pour les générations nouvelles, de donner un sens, des perspectives.
Je ne suis pas gardien du temple. L’essentiel est d’apporter un témoignage essentiel pour les générations nouvelles, de donner un sens, des perspectives. Le bourreau raffole des victimes. Être dans une position victimaire est très dangereux. La domination est une forme d’inégalité, mais il faut se battre. Il y a 30 ans on a réussi à faire que la Marche soit une réalité. La force de l’action non violente est redoutable. Cela a été une révélation pour moi notamment lors du sit in que nous avons organisé face aux forces de l’ordre. Il en va de même pour la grève de la faim. Il est essentiel d’aller vers un idéal de concorde apaisée, pacifiée.
Certains vous reprochent d’être passé à côté de l’histoire par votre refus de vous engager en politique. que leur répondez- vous ?
L’engagement de chacun peut être multiple. Ce n’est pas parce qu’on ne s’engage pas en politique que l’on n’est pas engagé. On me dit : tu as disparu depuis 30 ans. Mais ce n’est pas parce que je ne suis pas sur le devant de la scène que j’ai cessé d’œuvrer pour l’égalité. L’engagement politique ne m’inspire pas. Pour moi, c’est le versant humain qui prime. Il y a 30 ans ce versant était malmené. Les mamans dont les enfants ont été tués il y a 30 ans (je pense en particulier à Younès, 9 ans) n’ont jamais demandé vengeance. Elles ont demandé justice. Aujourd’hui il ne faut pas avoir de la violence en soi ou de la haine, car cela déconstruit. Un regard bienveillant pour ce pays, notre pays, est important ainsi que de la compassion, car cette République une et indivisible est fragile. On doit tous contribuer à la renforcer, car cette idée amplifiée à l’infini donne une société meilleure. Les choses ne viennent pas forcément du haut vers le bas, c’est aussi une responsabilité individuelle.
Vous avez voulu lancer un message de paix et d’amour à la France, votre pays, à la fin de la Marche. pensez-vous que ce message a été entendu ?
Oui, tout à fait. La Marche n’a été qu’une déclaration d’amour à ce pays. Depuis 30 ans les personnalités préférées des Français sont Yannick Noah, Omar Sy, Zidane, l’abbé Pierre. Cette générosité est partout. Il ne faut pas faire une fixette sur le point noir sur la page blanche. Je me plais à imaginer une société à taille humaine et ça, ce n’est pas une utopie, ça reste à construire. Il est important de s’en donner les moyens. On ne doit pas être l’otage du système ou des extrêmes qui sont comme les deux lames d’un même ciseau. Il y a d’autres alternatives.
Que répondez-vous aux détracteurs de l’empowerment, le pouvoir d’agir des citoyens, mis en avant dans le rapport Mechmache / Bacqué, qui y voit un risque de communautarisation de la société ?
Je n’ai pas vraiment de réponse. Ce qui m’importe c’est la masse silencieuse face aux techniciens de la politique de la ville qui couchent sur papier des rapports, théories, bonnes ou mauvaises, peu importe. Quand on prend de l’altitude et qu’on regarde la France d’en haut, on voit cette France de toutes les couleurs qui est dans des postes à responsabilité ce qui n’était pas le cas il y a 30 ans. Aujourd’hui, il me plaît de m’adresser à cette masse silencieuse et tranquille, intégrée, qui vit tous les jours dans cet idéal de concorde apaisée face à la discorde imposée.
Propos recueillis par Nathalie Guillotte Photos : Elise Jaunet
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