
Esperanto : à vos mots, prêts ? Parlez !
Premiers pas d’espéranto
Séduits, hésitants ou réfractaires à la langue du Docteur Espoir ne peuvent se soustraire à l’exploration sur le terrain. L’espéranto est prié de décliner son identité. Le psychologue Claude Piron, auteur du livre Le défi des langues, l’un de ses fervents défenseurs, nous fournit "ses papiers" pour mieux se confronter à la réalité, entre les lignes, au sein des mots.
L’espéranto déclaré d’utilité publique ? Cette interrogation réveille la langue et le goût pour l’explication de Claude Piron. Il défend la neutralité de l’espéranto à l’égard de toutes les idéologies : "il ne dépend d’aucune église et n’est lié à aucun courant politique". Face à cette indépendance proclamée sans ambiguïté, le stand de publicité à la fête de "L’Huma" suscite alors stupeur et tremblements. Le psychologue plaide sans contradiction que "la présence de l’espéranto à cette réunion n’a pas de valeur symbolique. Le pape l’emploie aussi pour prononcer ses voeux à Pâques et à Noël. Il est parlé quotidiennement à Radio Pékin et à Radio Varsovie, mais il n’est pas pour autant à la solde du gouvernement chinois ou de la politique pro-occidentale de la Pologne."
Notre interlocuteur rectifie les jugements hâtifs. Les points sur les "i", les idées fausses au placard, les confusions démasquées : l’approximation n’a pas sa place pour s’exprimer sur cette notion qu’il pratique depuis son adolescence. Reniant les mythes que le temps et la méconnaissance ont fondés, il règle ici les comptes aux rapprochements hasardeux. "Ceux qui croient à l’équation espéranto = paix sont naïfs et aveugles. De nombreux pays se partagent le même idiome et se déchirent pourtant (voir la Bosnie, le Cambodge, le Rwanda). D’ailleurs on se dispute et on s’insulte en espéranto comme dans n’importe quelle langue."
Selon lui, adieu le mythe de Babel ("il n’y a aucune prétention à rammener l’humanité à un monde idyllique qui n’a jamais existé"). Bienvenue au syndrôme de Babel ; "maladie psychique, collective ou sociale qui empêche les gens de raisonner, de se renseigner sur le problème linguistique." D’après le linguiste, la clef du silence éloquent des instances politiques, éducatives et des médias se cache dans ce "blocage psychologique". Pour s’en libérer, seuls "une prise de conscience, une poussée d’honnêteté intellectuelle, une réflexion sérieuse créent l’émulation nécessaire à une comparaison dans un contexte réel de l’état de la communication." Ce représentant de la communauté espérantophone révèle ici le désir profond d’être écouté ( à défaut d’être compris) par les gouvernements, l’Union européenne. Les discours pour les interpeller sont sans détours. Leurs mots, directs, ne connaissent pas le tremplin de la langue de bois égarant l’auditeur dans une sombre forêt de confusions.
Halte au mariage de noms sans affinités tels que mondialisation et espéranto. L’anthithèse du "langage vecteur d’égalité" se nomme "fracture sociale provoquée par le développement croissant de l’Anglais". L’espéranto, qui se place plutôt côté alter-mondialiste, prétend-il au qualificatif d’"universel" ? "Non plus. Cette idée est à proscrire. Il peut donner l’impression que la langue veut prendre la place des autres comme l’euro s’est subsitué aux monnaies nationales".
Le contexte socio-politique ne sonne pas particulièrement l’heure de l’ouverture. Les termes "communauté" et "nation" se sont parés d’un sens fort en voulant regagner ses lettres de noblesse. Le blason linguistique s’affiche au quotidien. Une pensée pour l’écolier cotoyant l’hymne national de l’école aux matchs de sport internationaux le confirme. Pour Claude Piron, Une distinction s’établit naturellement : "Bien sûr ces manifestations sont opposées à l’idéal qui anime les usagers de l’espéranto. Jusqu’ici, les nationalistes extrèmes où les supportes exaltés ne se sont pas interressés à l’espéranto." A bon entendeur, les portes sont ouvertes aux tympans réceptifs, le nationalime restera au vestiaire.
La voie de l’espéranto au milieu des autres voix
La langues fait partie intégrante de la vie du linguiste depuis son enfance. Ses professeurs, confrontés à cette création artificielle, se partageaient entre incompréhension et méconnaissance. Les échanges créatifs sont nés essentiellement par les connaissances mondiales. "Mon identité a été influencée par mes contacts épistolaires avec un Chinois, un Brésilien, un Japonais...Une ouverture sur d’autres mentalités a été si favorable à la remise en cause de mon éducation et des idées reçues de mon milieu." La découverte de l’autre s’affirme comme argument de poids pour les espérantophones.
Claude Piron va plus loin en qualifiant ces dialogues de "relation partenaire/partenaire", symbole d’équilibre. "Avec l’espéranto, on n’est sur le même pied que l’interlocuteur qui l’aborde lui aussi en tant que langue étrangère. Il n’existe pas de peuples qui puissent dire à ce sujet "ceci est correct, ceci est incorrect". Chaque locuteur obéit à la convention auquel il a adhéré librement."
"Les échanges s’effectuent dans une langue qui suit sans restricition le cerveau en matière linguistique." Concrètement, l’idiome désigné respecte le trait universel de tout cerveau en apprentissage : la généralisation. "L’enfant qui dit "plus bon" au lieu de "meilleur" généralise ce qu’il a repéré dans "plus grand", "plus chaud", "plus fort"..."
Un doute subsiste pourtant : comment une langue si facile à apprendre, dotée d’un nombre limité de racines pour créer les mots, permet réellement de tout exprimer ? La théorie soutenue apparaît d’une simplicité déconcertante : "Ce qui fait la richesse n’est pas le nombre initial mais la liberté et la muliplication des possibilités pour former les mots. Regardez la nature. Tout ce qui vit n’est que la combinaison d’un tout petit nombre d’éléments : carbone, oxygène, hydorgène, azote...Pourtant que de différences entre une fourmi, un dinosaure, un cerveau humain et un marron ! En français les séries de nombres sont toujours limitées ; nous pouvons exprimer l’idée de "douzaine" mais pas l’idée de "a peu près sept". En espéranto, il n’y a pas de trou dans la série."
Pour tous les mélomanes avides de nouvelles sonorités pour décrire leur passion, un autre exemple flattera leur ouïe. "Dans notre langue, il existe un adjectif pour musique (musical) mais pas de verbe. Paradoxalement, pour le terme "chant" vous avez un verbe (chanter) mais pas d’adjectif. Impensable en espéranto ! Aux côtés de "muziko" (musique) et de "muzika" (musical) vous obtenez "muziki" (jouer de la musique). Dans le domaine du chant, "kanti" (chanter), et de "kanto" (chant) vous trouvez "kanta" (relatif au chant, qui a les caractéristiques du chant)." Quand certains s’amusent à créer un vocabulaire nouveau et débridé pour s’affranchir d’un groupe social, l’espéranto puise dans ses ressources. "Les prairies françaises peuvent verdoyer, et les feux rougeoyer mais la mer ne peut pas "bleuoyer" ni un brouillard "grisoyer". Zamenhof, l’initiateur de ce projet, pourrait traduire ces barbarismes par deux mots corrects : "blui" et "grizi".
Les sentiments, états si délicats à traduire, pourraient faire exception à cette démonstration. Ils sont pourtant au rendez-vous dans un usage quotidien. "En ce qui concerne l’affectivité, l’apport de l’espéranto vient des nuances qu’il introduit. Son vocabulaire n’a pas d’équivalent dans d’autres langues. Qualifier l’étendu du verbe "ameti" oblige à utiliser au moins deux expressions (commencer à aimer, aimer un peu). La signification d’ "amikumi" (avoir la joie d’être entre amis, se sentir bien grâce à l’amitié qui nous entoure) se révèle aussi complexe. Les expressions françaises tournent autour du pot, pourtant il s’agit de vécus tout à fait courant..." Chacun peut être rassuré : il ne perdra en aucun l’état émotionnel en s’essayant à cette autre parole. L’apprentissage de l’espéranto a provoqué des rencontres, formé des couples. La séduction est sauve.
Chloé Vigneau
Bloc-Notes
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