
DES PONTS PAS DES MURS
Qui a peur des migrants ?
Sommet citoyen des migrations
La deuxième conférence euro-africaine était le cadre idéal pour organiser un sommet citoyen sur les migrations. Le 17 octobre s’annonçait comme la journée où l’on cesserait d’entendre seulement les pas des migrants pour écouter leurs voix. Plus de 800 citoyens des quatre coins du monde ont répondu à cet appel. Ils ont demandé l’asile au Palais des Congrès de Montreuil pour débattre, comprendre les migrations, et proposer une autre vision que celle du Pacte européen sur l’immigration et l’asile adopté le 16 octobre par le Conseil européen sur l’initiative de la France. Le micro était enfin ouvert aux migrants et aux associations qui les défendent.
Pour engager le débat et réveiller l’assistance, des personnalités politiques telles que Stéphane Hessel étaient invitées à décliner leur opinion sur ce sujet. Cet ancien résistant et diplomate est l’une des plumes ayant participé à la rédaction de la Déclaration des droits de l’Homme. Fort de ce statut, il a rappelé que l’article 13 de ce texte (1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays) reconnaît les migrations comme des réalités humaines : « Renier les migrations c’est aller à l’encontre de nos pays partenaires et de nos propres pays qui se sont constitués par les migrations ». Dès lors, pourquoi une telle volonté de contrôler ces déplacement naturels ?
Migrants : pourquoi partez-vous ?
L’une des réponses se niche assurément dans l’appréciation faussée des causes qui poussent une personne à émigrer. Sur la table des préjugés, on retrouve pêle-mêle la pauvreté, le faible niveau d’étude ou encore « l’appel d’air » qui serait provoqué par les régularisations. Derrière cette couche apparente et réconfortante d’idées préfabriquées, les « vraies » causes apparaissent, plus dérangeantes. Certes, les migrations correspondent parfois à un schéma culturel où l’accomplissement de soi s’effectue par le voyage. Mais l’essentiel de ce phénomène s’explique par des relations Nord/Sud déséquilibrées.
Les échanges commerciaux tournent encore à l’avantage des pays développés qui imposent leurs conditions sur le marché mondial. Victor Nzuzi, agriculteur congolais, témoigne de cette inégalité : « L’OMC a imposé à l’agriculture africaine d’entrer en concurrence avec les produits européens exportés en Afrique. Cela pose un gros problème pour nous qui n’avons pas accès aux mêmes moyens productifs et aux subventions des agriculteurs européens ».
pour chaque euro reçu, l’Afrique en rembourse trois au titre de la dette
Certains rétorqueront que l’Afrique est tout de même soutenue financièrement par le continent européen mais cette aide n’est qu’un masque qui cache de plus grands scandales. Elle a, par exemple, été dilapidée dans des projets pharaoniques, dits « éléphants blancs », sans compatibilité avec les réalités du terrain, les besoins des populations. Elle a également faire l’objet de pressions de la part des donateurs. Ainsi, dans le cadre des ajustements structurels, les pays africains recevant une aide ont dû obéir au FMI et privatiser de nombreux services publics.
Enfin, il convient de relativiser les sommes versées au continent « en voie de développement ». D’une part, les migrants, par leur épargne et leurs transferts d’argent, font circuler plus de monnaie que le montant total des versements des pays industrialisés aux pays en développement. D’autre part, pour chaque euro reçu, l’Afrique en rembourse trois au titre de la dette.
Sur les côtes du Sénégal
Mais ces recadrages théoriques laissent encore quelques mines empreintes de désapprobation dans l’assistance. Un exemple concret de ces phénomènes est alors proposé à travers le cas du Sénégal expliqué par Mignagne Diouf, coordinateur du Forum Social Sénégalais : « L’agriculture est en baisse au Sénégal à cause des changements climatiques et du désengagement de l’Etat. Les secteurs économiques les plus développés dans mon pays sont : le phosphate, la culture de l’arachide et le tourisme. Mais on constate un accroissement du désarroi du monde rural et un fort exode vers les côtes pour se reconvertir dans la pêche. Ce flot de migrations internes vers le Sud a porté la flotte à 15 000 pirogues artisanales. Chacun d’elle faisait vivre 15 à 30 foyers. Mais les ressources ont été surexploitées et les pêcheurs européens et chinois ont obtenu l’autorisation de venir pêcher vers nos côtes. Les ventes de poissons ont baissé et n’ont pas suffi pour compenser le prix du carburant. Les pirogues se sont transformées en bateaux pour faire passer les candidats au départ vers les Iles Canaries ».
Les migrants sont des ponts entre deux cultures
On pourrait citer d’autres causes de migration telles que les guerres, l’absence de démocratie et les régimes politiques corrompus (voir deuxième volet de ce dossier sur le droit d’asile). Mais les organisateurs ont choisi d’en faire des objets de réflexion dans des ateliers séparés, dans le cadre de cette journée qui se voulait exhaustive.
Frontières idéologiques à franchir
Au vu de cette énumération de causes souvent négligées, un constat s’impose. Le plus grand obstacle pour le migrant n’est pas tant le chemin pour rejoindre une terre sûre qui offre des opportunités mais les kilomètres de préjugés à parcourir, à survoler et à combattre. Une hypothèse s’esquisse dans les murmures de l’assemblée : et si les migrants étaient utiles à leur pays d’accueil ? Chadia Arab, membre d’un réseau d’associations issues de l’immigration marocaine, lance une diatribe favorable à ce point de vue : « Au Nord comme au Sud, le rôle des migrants est impensé. Pourtant ce sont des acteurs de développement qui prennent des initiatives, qui contribuent aux mutations sociales et qui modifient les systèmes identitaires locaux, qu’ils soient marocains ou français. Certains migrants ont une participation citoyenne dans des associations de leur pays d’accueil. Ainsi, ils servent d’outils de compréhension des enjeux des deux sociétés qu’ils représentent. Ils sont des ponts entre les cultures. Il faut nous remettre en question et voir les migrations comme une chance ».
L’essentiel pour nous, peuples du Sud, est d’ouvrir les yeux et les oreilles et de regarder le monde tel qu’il est et non tel qu’il nous est raconté
Faire évoluer nos regards européens… ce travail ne suffira pas à lui seul pour mieux vivre les migrations. Les idéaux faussés des habitants du Sud doivent également être secoués et envoyés en exil quand ils deviennent les moteurs de drames, de migrations qui n’atteignent jamais la terre et se noient dans l’indifférence générale. Le meilleur chantre de cette nécessité est l’ancienne ministre de la culture du Mali, militante active, Aminata Traoré : « L’essentiel pour nous, peuples du Sud, est d’ouvrir les yeux et les oreilles et de regarder le monde tel qu’il est et non tel qu’il nous est raconté. Nous ne sommes pas pauvres mais appauvris, leurrés. Trêve de misérabilisme, l’Afrique devrait se ressaisir ». Ce dernier message s’adressait aux associations présentes mais l’assistance devine alors que ce discours résonne avec tant de force qu’il parviendra aisément à traverser la mer et à migrer jusqu’aux oreilles des candidats au grand voyage.
Chloé Vigneau
Bloc-Notes
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