
Rencontre
Attention : véto mécontent !
Interview avec le docteur Hallopé
Fait exceptionnel dans le monde de la médecine animale : nos vétérinaires ont fait grève l’automne dernier et n’ont assuré que les urgences. Impossible d’acheter donc le paquet de croquettes habituel des monstres : mais possibilité de se faire dépanner en échantillons gratuits. Le docteur Hallopé, vétérinaire nantais officiant depuis un quart de siècle en cœur de ville, nous explique les motivations profondes de ce mouvement inédit.
Fragil : Le 6 novembre dernier, les vétérinaires de France répondant à l’appel de leur syndicat ont fait grève et n’ont assuré que les urgences : une première pour la profession ?
Docteur Hallopé : Tout à fait, on n’avait jamais fait ça. Je suis dans le métier depuis 25, 30 ans. Ce n’était pas une grève il y a 40 ans, c’était une petite manifestation de colère, c’est tout. Une grande première oui, ça a été très surprenant, parce ça a été très bien suivi. 8000 personnes sur Paris à manifester, et ça c’est très bien passé. Et toutes les autres structures comme nous, avec qui on travaille en association, n’ont assuré que les urgences.
Fragil : Pourquoi un projet de loi visant à restreindre la délivrance d’antibiotiques pour les vétérinaires, et en quoi est-ce pénalisant pour vous ?
Docteur Hallopé : Le projet de loi, on ne le comprend pas nous ! Il faut savoir que dans la profession il y a toujours eu une guéguerre entre les vétérinaires et les pharmaciens, c’est quelque chose de très vieux. C’est assez récurrent, tous les 5 ou 6 ans ils essaient de reprendre une part de marché et là ce qui s’est passé c’est que cette loi a été faite dans notre dos en août. Elle a été annoncée 15 jours avant le mouvement de grève et ça touchait essentiellement les vétérinaires ruraux. (...)
Le ministère de l’agriculture justifie son projet en expliquant que l’administration d’antibiotiques dits critiques entraînerait des résistances chez l’homme. Il faut savoir qu’en zone rurale il y a des moutons, des vaches destinés à la consommation humaine et il y a toujours une part de résidu de l’antibiotique (…), c’est-à-dire une vache qui a une mammite et qui va recevoir un traitement local à base d’antibiotique, le lait ne va pas pouvoir être vendu puisqu’il sera impropre à la consommation à cause des résidus d’antibiotique dans le lait. Dans la viande on peut avoir ce même problème notamment pour le porc. C’est un animal très fragile avec un système immunitaire qui ne se défend pas forcément bien, donc dès qu’ils sont un petit peu malades cela peut toucher tout un élevage. (…). C’est une question d’hygiène alimentaire, tout animal de son vivant qui a été traité, malheureusement on peut retrouver les antibiotiques au niveau des résidus. Pour moi, c’est très paradoxal par rapport aux élevages bio où théoriquement l’animal ne doit pas recevoir de telles molécules, il s’avère que, quand un animal est malade, en fonction de de celles-ci, il va être abattu. Au moment de l’abattage, il va libérer des toxines qui vont se retrouver dans la viande (...). Dans ces animaux qui n’ont pas reçu de traitement antibiotique, où l’inspecteur vétérinaire estime que la viande est propre à la consommation, on y trouve quand même des toxines, et pour moi ces toxines sont aussi dangereuses que les résidus d’antibiotiques. Ça, c’est mon propre avis en tant que vétérinaire, je ne mange pas de la viande bio !
C’est une question d’hygiène alimentaire, tout animal de son vivant qui a été traité, malheureusement on peut retrouver les antibiotiques au niveau des résidus
Fragil : Pourquoi vous interdire la délivrance des antibiotiques, plutôt que de revoir en amont leur qualité ?
Docteur Hallopé : On est dans un domaine similaire à la médecine, où il y avait des clips anti antibiotiques il n’y a encore pas si longtemps…
Fragil : Les antibiotiques, ce n’est pas automatique ?
Docteur Hallopé : C’est ça ! On rentre aussi dans une logique de santé autant chez les humains que chez les animaux, d’utiliser les antibiotiques d’une manière raisonnable. C’est-à-dire que face à la maladie d’un animal, il ne faut pas prendre des antibiotiques de dernière génération, il faut prendre des antibiotiques de première intention et si le traitement antibiotique n’est pas adapté, ne marche pas, faire des recherches bactériologiques pour identifier les bactéries, pour trouver un antibiotique qui sera sensible.
Fragil : Quelle est la différence entre les multiples générations d’antibiotiques ?
Docteur Hallopé : Avec les antibiotiques de dernière génération, qui sont beaucoup plus performants et réservés à des pathologies bien ciblées, on doit les utiliser. Je me base là-dessus seulement en seconde intention, quand nos antibiotiques classiques qui avaient peu d’effets secondaires n’ont pas réagi.
Fragil : Les antibiotiques de dernière génération sont de plus en plus agressifs et ont des effets de plus en plus ciblés ?
Docteur Hallopé : Exactement. Par exemple, sur l’infection urinaire d’un chat, on va faire une analyse et on ne va pas demander forcément un antibiogramme puisque cela coûte cher. C’est-à-dire isoler les germes, les identifier et après tester leur sensibilité aux antibiotiques. Ça, d’emblée, on ne va pas le faire, donc on va utiliser un antibiotique de première intention, si le traitement marche, super ! Par contre si le traitement ne marche pas, il est nécessaire de faire cette analyse. Une bactériologie, pour identifier les germes et faire un antibiogramme pour voir la sensibilité de la bactérie aux antibiotiques du marché. Et là, on nous dira effectivement que le médicament de première intention ne pourrait pas marcher puisque cette bactérie isolée présente une antibiorésistance. Mais malheureusement, parfois, sur une infection urinaire, on va d’emblée mettre un antibiotique de troisième génération alors que celui de première génération aurait très bien pu marcher.
Mais malheureusement, parfois, sur une infection urinaire on va d’emblée mettre un antibiotique de troisième génération alors que celui de première génération aurait très bien pu marcher
Fragil : L’impact, notamment financier, est-il réellement plus important sur les animaux de consommation humaine ?
Docteur Hallopé : Il faut savoir qu’en zone rurale malheureusement, vu le contexte économique, les agriculteurs traitent en amont. Ils vont voir leur véto et ils prennent les crèmes sur les mammites des vaches, et eux-mêmes vont traiter, avant le passage du vétérinaire.
Fragil : Ne faudrait-il pas revoir le problème avec l’éleveur, plutôt que d’interdire au vétérinaire la délivrance d’antibiotiques ?
Docteur Hallopé : Il y a toujours une concertation entre le vétérinaire et l’éleveur. L’éleveur explique souvent qu’avec une vache ayant une mammite, il ne va jamais faire un traitement général. Cela va toujours se limiter à un traitement local, et après si ça ne va pas mieux le vétérinaire est là. Mais ils voulaient éviter cette vente de médicaments, parce que les tubes anti-mammite en sont malgré tout, et sont directement accessibles aux éleveurs.
Fragil : Et pourquoi cette situation vous a-t-elle tellement mis en colère ? En quoi cela impacte-t-il votre travail ?
Docteur Hallopé : Ils ont commencé par les antibiotiques, et après il y aura d’autres classes de médicaments qui présentent des résidus, qui ont une certaine toxicité. Pendant notre cursus scolaire, nous avons des heures et des heures de pharmacie, de pharmacologie, à ce moment là on ne devient que des vétérinaires et on ne sera plus pharmaciens…
Fragil : Pensez-vous que les pharmaciens classiques soient suffisamment formés pour délivrer des antibiotiques à usage vétérinaire ?
Docteur Hallopé : Non. Je vais prendre l’exemple très simple sur la pilule des chattes, nous on ne la fait plus ici. On ne la prend plus, la pilule c’est pour arrêter les chaleurs des chattes et on sait que cette pilule est énormément dosée, donc il y a un dérèglement total du système hormonal sexuel, et ce sont des chattes qui dans le temps présentent des infections de l’utérus et des tumeurs mammaires. Et le pharmacien délivre, délivre, délivre… De ces effets secondaires, il vend sans informer.
Fragil : Il y eu une poursuite du mouvement, malgré le recul du gouvernement. Pensez-vous qu’il y aura d’autres lois à ce sujet dans le futur ?
Docteur Hallopé : Je pense que le problème est un peu traité, ils ont compris que sur les médicaments, ça reviendra, c’est récurrent. Une guerre entre pharmaciens et vétos, cela fait des années que ça ressort : la distribution, la vente anti-parasitaire doit revenir au pharmacien… Mais là, c’était plus grave, à propos des antibiotiques. Nous, on était un petit peu touchés au niveau des animaux de compagnie, on avait plus le droit de prescrire les antibiotiques de dernière génération (…) Cela voulait dire que, face à un client, on devait s’excuser et annoncer que l’on ne pouvait plus faire telle injection (…) Et après vous allez chercher vos médicaments chez le pharmacien. Surtout, on fait beaucoup de service de garde, et il fallait trouver la pharmacie de garde capable de délivrer en temps et en heure le médicament prescrit.
Cela voulait dire que, face à un client, on devait s'excuser et annoncer que l'on ne pouvait plus faire telle injection
Fragil : On entend les gens dans votre cabinet vous appeler « docteur », mais quelle formation avez-vous ?
Docteur Hallopé : Notre thèse nous permet de nous installer. Le doctorat est universitaire. Pour s’installer, il faut notre diplôme de véto suivi d’une thèse sur un sujet particulier en collaboration avec la faculté de médecine. C’est-à-dire qu’on se retrouve face à un jury au moment de notre thèse, avec le président de la fac de médecine. On a une formation sur la pharmacie, sur la pharmacologie, le devenir des médicaments, leur bio disponibilité, je ne pense pas que les pharmaciens aient cette formation-là, concernant les animaux.
Fragil : Pensez-vous que votre cause ait été entendue ?
Docteur Hallopé : Au niveau médiatique ? Pas trop, les grandes chaînes de télévision peut-être, mais je ne suis pas au courant. Notre clientèle s’y intéresse oui (...) elle nous pose des questions, pour savoir pourquoi on a été manifester, ou si on est peut-être encore, en colère…
Pour aller plus loin :
Projet de loi de l’Assemblée nationale
Dossier du Syndicat national des Vétérinaires d’Exercice Libéral
Décryptage : la bête noire des vétos par lepharmacien.fr
Interview réalisée par Agnès Foissac
Crédit photos : Agnès Foissac et Christopher Sessums
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