
Nourrir le rêve d’intégration
Focus sur l’association Accompagnements Migrants Intégration
Il y a des associations dont l’acronyme a été finement travaillé, histoire d’affirmer ses valeurs dès la première évocation. Accompagnement Migrants Intégration est de celles-là , elle qui proclame la solidarité avec et entre les demandeurs d’asile. L’objectif est leur intégration active dans la société, par le biais du travail, de l’alphabétisation, de l’éducation civique… Et de l’alimentation ! Car oui, faire le marché, cuisiner, se nourrir, cela aussi mène au vivre-ensemble.
On la regarde s’affairer autour d’une table où sont disposées des dizaines de produits alimentaires. Mais la sémillante Catherine Libault n’a jamais rêvé de faire carrière dans la gastronomie. Son truc à elle, l’ancienne bénévole de la Cimade, c’est « l’intégration d’un public d’origine étrangère ». Une cause pour laquelle cette quinquagénaire a monté l’association Accompagnement Migrants Intégration, qu’elle dirige aujourd’hui. Catherine Libault a créé l’AMI pour venir principalement en aide aux demandeurs d’asile, qui selon elle manquaient d’une structure leur étant dédiée. Et en effet, ceux-ci représentent 70 % des personnes accompagnées et accueillies ici.
Contrairement au raisonnement de l’ethnologue Rafael Guillen-Barnett, à l’AMI on vise à l’intégration des demandeurs d’asile. Pour se faire, Catherine Libault s’acharne à leur obtenir des dérogations de travail auprès de l’OFPRA (et parfois cela marche). L’intégration s’exprimant dans bien d’autres domaines, l’AMI donne des cours d’instruction civique, alphabétise, propose des séances de sport... Et organise des dîners, enseigne la préparation des repas, fournit des colis alimentaires : une grande part de l’activité de l’AMI tourne ainsi autour de la nourriture. À tel point qu’on se demande si par ce biais, on ne vise pas bien plus haut que le simple fait de se sustenter.
Alors, ça se lance des Salam Alikoum par là, ça se demande des nouvelles par ici, ça rigole de temps en temps. Un charmant brouhaha s'installe ainsi dès 13h30.
Pour l’heure, ce jeudi après-midi, Catherine Libault est pragmatique. Il le faut, car autour d’elle, dans une ambiance de fourmilière, se joue un des moments-clefs de la semaine : la distribution des colis alimentaires. 150 sont distribués en moyenne par semaine, avec un maximum de 387 quelques semaines auparavant. Toute la communauté s’y presse, et les vingt mètres carrés du hall d’entrée peinent à contenir la foule. Chacun prend son ticket après avoir payé le dû : 1 euro pour les adultes et les enfants, gratuit pour les nourrissons. Et ils attendent. Parfois longtemps.
Se socialiser dans l’action
Alors, ça se lance des Salam Alikoum par là, ça se demande des nouvelles par ici, ça rigole de temps en temps. Un charmant brouhaha s’installe ainsi dès 13h30. On remarque que les femmes et les hommes se sont réparti l’attribution des canapés : ces mesdames, un peu moins volubiles, sont assises à droite en rentrant, ces messieurs à gauche. Au milieu... Encore du monde ! Une forêt de jambes qui se confondent avec des caddies en tissu. Ça discute à tout va, et l’ambiance donne une impression de communauté, bien que divisée entre hommes et femmes. « C’est une grande famille, ici ! » s’enthousiasme Bahman.
Dans cette vaste tribu, l’Azeri occupe aujourd’hui une position particulière. Car lui est trois marches au-dessus. Dans la salle multitâches (cuisine-espace informatique-cours), dont la porte sépare ceux venus chercher leur colis de ceux qui les préparent, Bahman s’affaire. Il pioche dans les cagettes où se trouvent des produits de toute sorte, qui ne sont là que pour être servis avec méthode par une dizaine de bénévoles.
Ceux-là sont dans l’association à double titre : le plus grand nombre est ou a été bénéficiaire de la structure. En dehors de ça, une vingtaine de bénévoles extérieurs à l’année dont un noyau dur de cinq personnes, et un stagiaire, Gilles, pour quelques semaines. Au centre de ce petit monde, Catherine Libault, qui avoue sa suractivité et sa difficulté à déléguer : « Je suis épuisante pour un bénévole, j’ai de quoi les essouffler ».
Bref, ceux qui sont là aujourd’hui ont tous un peu le même parcours que Laure. « Je venais ici en tant que demandeuse d’asile, et puis ça m’a poussé à aider les gens. Comme je n’ai pas de travail, ça ne me dérange pas de venir donner un coup de main ». Gilles défend l’idée de faire participer les étrangers aux tâches communes. « Il y a l’idée que l’intégration est une participation active. Ça passe par le bénévolat, le travail », raisonne l’aspirant éducateur de quarante ans.
Organisation rodée
C’est grâce à ce principe que s’est construite une mécanique savamment huilée. Les rôles sont bien attribués. « Moi ? Je contrôle les tickets », explique Bahman avant d’annoncer vivement à travers la pièce : « 4 personnes, avec le porc ! » Les régimes alimentaires sont respectés. Bhamna demande parfois un deuxième regard à Ahmen sur un ticket à déchiffrer. Pendant ce temps Geretzik se saisit d’une salade, attrape illico un lot de conserves parmi l’empilement vaste et chaotique qu’elles forment sur la table. La tonique Arménienne serait certainement la plus rapide pour concocter les paniers si ce n’était pas un jeu collectif.
Les légumes, le bœuf, moduler ça en fonction du nombre de personnes par colis, elle est rompue à l'exercice
Chacun disparaît à un moment ou à un autre de l’après-midi pour transvaser les produits du camion jusqu’à la salle de préparation. Sauf Amina. Les yeux bleus de l’égyptienne sont attentifs. Les légumes, le bœuf, moduler ça en fonction du nombre de personnes par colis, elle est rompue à l’exercice. Après ça, le trio Ahmen-Bahman-Geretzki met toute son ardeur à remplir rapidement le contenant fourni par le possesseur de ticket.
Et voilà, le colis est prêt. Ahmen rouvre la porte vers l’entrée, verrouillée par un loquet souffreteux. Il surplombe ainsi la petite foule, et le gros sac ou le caddie fourni avec le ticket est vite transbahuté vers son destinataire. Désormais garni pour la semaine. Enfin, pour quelques jours. Trois ou quatre pour l’algérien Kamal, qui vit avec sa femme et son enfant. Son compatriote Lakhdar constate la même durée pour lui et son copain. Idem pour Lova et ses deux enfants (prénom changé). Les jours qui restent avant le jeudi suivant, on se débrouille. Sans trop prêter attention aux saveurs.
Du plaisir dans l’assiette
Car au quotidien, leur rapport à la nourriture mérite qu’on parle de bouffe plutôt que de gastronomie. Pour Mohammed, dont l’exploit est de réussir à tenir cinq jours avec un colis pour deux personnes, il n’est pas question de plaisir. « Non, moi, c’est pour manger, c’est tout ». Kamal le végétarien avoue son penchant pour les yahourts, sans plus de convictions. Lova est, quant à elle, polie pour parler qualité : « Ça peut aller ». Aujourd’hui dans son panier, des conserves discount.
Dans un hier lointain, il y avait autre chose, qui fait s’allumer son regard. Madagascar. « La différence avec maintenant, c’est que je prenais tout bio, et comme je gagnais bien ma vie, je pouvais tout acheter. » On a la désagréable impression de torturer Lova lorsqu’elle confie que son plat préféré, ce sont les « fruits de mer, qui à Madagascar ne sont pas chers du tout ». Question idiote et spontanée : ça lui manque ? Hochement de tête de sa part. Un ange passe. À voir les yeux rêveurs de Lova, il devait porter une cagette de langoustines.
En matière de cuisine, l’exotisme d’une denrée ou d’un plat est toujours relatif à l’endroit d’où l’on vient. La raisonnement est à l’origine des cours de cuisine proposés à l’AMI. Car l’intention, selon Catherine Libault est d’« optimiser l’utilisation des produits alimentaires de base trouvés en France ». On lève un sourcil interrogateur. « Vous savez, quelqu’un qui n’a jamais vu un poireau dans son pays, il ne va pas savoir le cuisiner ! » fait remarquer la directrice de l’association.
à observer la naissance d'un groupe hétérogène mais soudé, on a l'impression de lire les premières pages d'un récit d'intégration, sûrement encore trop court
Une communauté debout dans le goût
Il y a un moment privilégié dans la vie de l’association où nul ne transigera sur le fait de cuisiner un plat typique de son ancien chez-soi. Par exemple, Lova a prévu de cuisiner des Mofo baolina. Cet épisode singulier, c’est le repas de Noël. Le genre de célébration gastronomique où menu rime avec ONU. On peut commencer par un poulet yassa sénégalais, déguster un mezzé arménien et achever sa gourmandise à coups de dessert malgache. « Au lieu d’être comme le reste de l’année à s’adapter à la France, ce jour-là, on inverse ! Les étrangers préparent des plats typiques de leur pays. Et tout le monde goûte ! C’est une façon d’être dans l’échange » assure Catherine Libault.
Attendez. Vous avez dit échange ? « L’intégration exprime davantage une dynamique d’échange, dans laquelle chacun accepte de se constituer partie d’un tout où l’adhésion aux règles de fonctionnement et aux valeurs de la société d’accueil », explique Laetitia Van Eeckhout dans son livre L’immigration. Une définition a priori cohérente avec la méthode de l’AMI, qui promeut l’alphabétisation et le sport pour avoir des langages communs, l’instruction civique pour posséder le bagage national...
Et alors, pourquoi l’alimentation en fil conducteur inconscient ? Parce que la France a la culture de la bonne chère et qu’échanger à ce propos vaudrait son pesant de foie gras sur canapé d’intégration ? À bien écouter Catherine Libault, difficile d’imaginer un postulat aussi franchouillard. Peut-être faut-il voir simplement l’investissement collectif en tout point de cette chaîne alimentaire allant de la banque alimentaire à l’estomac personnel.
Car à voir toutes ces nationalités participer à la constitution d’un groupe, à observer la naissance d’un groupe hétérogène mais soudé, on a l’impression de lire les premières pages d’un récit d’intégration, sûrement encore trop court. Il reste en effet à lire les chapitres suivants : ceux où Lova aurait les moyens de faire connaître le Mofo Baolina à des français autres que ceux de l’AMI. En attendant, elle cuisine déjà le poireau.
Benjamin Belliot-Niget
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